Terralaboris asbl

Légalité de la présomption d’exposition au risque figurant dans l’arrêté royal du 5 janvier 1971

Commentaire de C. trav. Mons, 16 juillet 2009, R.G. 21.274

Mis en ligne le jeudi 31 décembre 2009


Cour du travail de Mons, 16 juillet 2009, R.G. n° 21.274

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 16 juillet 2009, la Cour du travail de Mons, saisie d’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour un chauffeur de bus, rejette la position de l’autorité selon laquelle la présomption d’exposition au risque figurant dans l’arrêté royal du 5 janvier 1971 serait illégale.

Les faits

Un conducteur-receveur de bus est mis en congé de maladie, après seize ans d’activité. Il sera indemnisé en tant qu’invalide jusqu’à l’âge de la pension de retraite. Entretemps, ayant introduit une déclaration de maladie professionnelle (trépidations dans la conduite des autobus), il se voit reconnaitre un pourcentage d’invalidité permanente (15%) par le Service de Santé Administratif (actuellement MEDEX), pour maladie professionnelle ostéo-articulaire due aux vibrations mécaniques. Cette décision du S.S.A. remonte au 20 janvier 1983. L’autorité n’a cependant jamais fait de proposition d’indemnisation. L’intéressé cite, dès lors, beaucoup plus tard, étant en mars 2006, devant le tribunal du travail, aux fins de faire admettre l’invalidité permanente de 15% à dater du 18 juin 1982, date de la demande.

La position du tribunal

Par jugement du 25 juin 2008, le tribunal du travail de Mons fait droit à la demande et fixe le taux d’incapacité global à 30%, étant 15% d’incapacité permanente partielle majoré de 15% pour les facteurs socio-économiques. Le tribunal considère ne pas devoir recourir à une expertise, s’estimant suffisamment informé de la problématique, et ce à partir de travaux d’expertise effectués dans d’autres procédures similaires. Le tribunal considère que la reconnaissance de la maladie professionnelle, ainsi que la fixation du pourcentage d’invalidité et de la date à laquelle la maladie présente un caractère de permanence sont des éléments de la compétence du seul S.S.A., dont les décisions sur les aspects médicaux s’imposent à l’autorité. Pour le tribunal, ceci fait que l’expertise médicale n’est pas nécessaire. Considérant également que la notion d’ « invalidité permanente » n’est pas adéquate, il fixe lui-même le taux des facteurs socio-économiques à 15%.

La position des parties en appel

L’autorité (S.R.W.T.) considère à titre principal qu’il y a lieu de contester la présomption d’exposition au risque qui figure dans l’article 4, aliéna 2 de l’arrêté royal du 5 janvier 1971. En outre, elle sollicite à titre subsidiaire la désignation d’un expert, dans la mesure où l’exposition doit être vérifiée concrètement, et ce indépendamment de la décision du S.S.A. Se pose en effet non seulement la question technique de la mesure des vibrations auxquelles le travailleur a été exposé mais également celle de la suffisance de celles-ci dans chaque cas particulier.

La S.R.W.T. considère également que le taux de 15% fixé par le S.S.A. tient déjà compte des facteurs socio-économiques (que le tribunal a ajoutés).

Quant au travailleur, il sollicite la confirmation du jugement, plaidant, en ce qui concerne la présomption d’exposition, qu’elle doit trouver à s’appliquer.

La position de la Cour

L’article 4, alinéa 2 de l’arrêté royal du 5 janvier 1971 relatif à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles dans le secteur public contient une présomption selon laquelle jusqu’à preuve du contraire est présumé avoir exposé la victime au risque professionnel de la maladie tout travail effectué dans les administrations, services, organismes et établissements (pendant toute ou partie de la période au cours de laquelle elle appartenait à l’une des catégories de bénéficiaires visées par l’arrêté).

La Cour considère qu’il y a lieu de retenir cette présomption, même si la question a déjà été débattue vu que cette présomption a été édictée par un arrêté royal et non par la loi, conformément aux articles 1349 et 1350 du Code civil. La Cour rappelle à cet égard qu’il a déjà été jugé qu’elle ne devait pas être appliquée, à défaut de certitude juridique sur la question de savoir si l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967 a délégué au Roi le pouvoir de l’établir (C. trav. Liège, 19 oct. 2000, R.G. n° 28.043.199, Chron. D.S., 2002, p. 393 et suivantes).

La Cour du travail de Mons estime cependant que cette présomption est légale et ceci vu la combinaison des articles 1er et 2, dernier alinéa (actuellement art. 2, alinéa 6) de la loi du 3 juillet 1967 ainsi que les dispositions auxquelles il est renvoyé dans les lois coordonnées le 3 juin 1970.

L’article 1er de la loi du 3 juillet 1967 dispose en effet que le régime institué par la loi est rendu applicable par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil de ministres, aux conditions et dans les limites qu’Il fixe en faveur des travailleurs désignés par la loi. Il en résulte que le Roi est habilité à fixer les conditions et les limites de l’application du régime légal d’indemnisation de la maladie professionnelle.

L’article 2 de la loi renvoie aux lois coordonnes le 3 juin 1970 et, dans le secteur privé, pour les maladies professionnelles figurant dans la liste (ce qui est le cas en l’espèce), la victime a la charge de la preuve de l’exposition au risque, sous réserve de l’article 32, alinéa 4, qui prévoit une présomption réfragable d’exposition au risque dans l’hypothèse d’un travail effectué dans les industries, professions ou catégories d’entreprises énumérées par le Roi. Cette disposition (art. 32, al. 4) des lois coordonnées instaure bien une présomption et confie au Roi le soin d’en préciser le contenu.

En vertu du pouvoir qui a lui a été délégué par l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967, le Roi a ainsi pu reprendre dans l’article 4, alinéa 2 de l’arrêté royal du 5 janvier 1971, la présomption légale d’exposition au risque professionnel de la maladie (prévue à l’article 32, alinéa 4 des lois coordonnées le 3 juin 1970) mais l’a étendue à tout travail effectué dans les administrations, services, organismes et établissements du secteur concerné. La Cour renvoie ici à la doctrine et la jurisprudence (C. trav. Liège, 16 févr. 2004, R.G. n° 31.141-02 et F. DEMET et cts, « Les maladies professionnelles », De Boeck, 1996, p. 157). La Cour précise encore que pour certains auteurs, la présomption trouvant à s’appliquer dans la filière fermée, c’est-à-dire aux maladies professionnelles qui figurent sur la liste, le système a pour but de tenir compte de la multiplicité des affections qui peuvent toucher un membre du personnel au sein du même service public (J. JACQMAIN, note sous C. trav. Liège, 19 oct. 2000, cité).

La Cour précise encore que la Cour de cassation n’a pas mis en doute la légalité de ladite présomption, en tout cas pour les maladies de la liste. Elle renvoie à l’arrêt du 9 novembre 1998 de la Cour suprême (Pas., 1998, I, p. 1123) et conclut que la présomption est instituée par le législateur et non par le Roi. Il n’y a dès lors pas excès de pouvoir au sens de l’article 108 de la Constitution, étant admis que le Roi peut prendre des dispositions dont le contenu n’a pas été préalablement déterminé par la loi, pour autant que la loi ne le lui ait pas expressément interdit et qu’Il se conforme ainsi à l’esprit et à l’économie de la loi.

Intérêt de la décision

L’arrêt aborde une problématique spécifique au secteur public, étant la disposition de l’arrêté royal du 5 janvier 1971 qui contient une présomption réfragable d’exposition au risque de maladie professionnelle.

La Cour opte, par une lecture combinée des articles 1 et 2 de la loi du 3 juillet 1967 ainsi que 30 et 32 des lois coordonnées le 3 juin 1970, pour la légalité de la présomption, mécanisme qui lui paraît conforme au vœu du législateur.

La présente espèce concerne une maladie de la liste, s’agissant ici d’une maladie ostéo-articulaire. La question de l’application de la présomption aux maladies hors liste n’est pas tranchée par cet arrêt.


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