Terralaboris asbl

Conditions d’octroi des indemnités : exigence d’une capacité de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 septembre 2009, R.G. 48.134

Mis en ligne le lundi 4 janvier 2010


Cour du travail de Bruxelles, 17 septembre 2009, R.G. n° 48.134

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 17 septembre, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles en matière de preuve ainsi que les conditions d’octroi des indemnités d’invalidité, rappelant essentiellement que le demandeur doit avoir eu une capacité de travail pour faire valoir ses droits dans ce secteur.

Les faits

Une dame N. est tombée en incapacité de travail le 19 novembre 2002. Celle-ci est admise par le médecin-conseil de son organisme assureur. Le 18 septembre 2003, celui-ci conclut encore à une incapacité jusqu’au 31 mai 2004.

Entretemps, le 4 décembre 2003, le Conseil médical de l’invalidité a notifié à Mme N. une décision constatant qu’elle n’est plus incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, et ce à partir du 10 décembre 2003. La motivation de la décision est que la cessation des activités n’est pas la conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels.

La décision prise par le CMI l’a été sur la base du rapport établi par le médecin-conseil de la mutualité. Celui-ci a précisé qu’il « supput(ait)e » qu’il n’y avait jamais eu de réelle capacité de gain pour le marché normal du travail. Il relève notamment que les études ont été inachevées et qu’il y a des antécédents personnels et familiaux. Il constate cependant ne pas avoir pu vérifier les précisions souhaitées au niveau de l’inscription au chômage. En tout état de cause il ne relève, dans ses informations, aucune consultation psychologique ou psychiatrique depuis 1996. En conséquence, il a demandé que le dossier soit examiné par le CMI.

La procédure

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail qui, par jugement du 15 octobre 2004, désigne un expert, lui demandant de vérifier si la demanderesse présentait avant sa première tentative d’insertion professionnelle un état préexistant justifiant à lui seul une incapacité supérieure à 66% avant toute insertion sur le marché général de l’emploi fût-ce par le biais d’une inscription auprès de l’ONEm. Dans la négative, s’il ne devait pas y avoir d’état antérieur, le tribunal demande, dans la mission d’expertise, un avis sur les questions habituelles en cas de contestation d’une incapacité.

Suite au rapport de l’expert désigné, le tribunal du travail va déclarer le recours non fondé.

L’appel

La demanderesse originaire interjette appel, demandant à la Cour de dire pour droit qu’elle ne présentait pas un tel état préexistant avant sa première tentative d’insertion professionnelle et de dire également pour droit qu’à la date du 10 décembre 2003, son état de santé ne lui permettait l’accès à aucune activité professionnelle, son état s’étant plutôt aggravé depuis lors. Elle fait valoir, en conséquence, qu’elle est rentrée dans une phase d’incapacité de travail de durée indéterminée et très probablement définitive.

Elle fait également divers griefs au rapport d’expertise, qui avait conclu à un état préexistant justifiant à lui seul l’incapacité de plus de 66%.

L’INAMI considère, pour sa part, devoir demander la confirmation du jugement, relevant la conclusion de l’expert judiciaire, sur l’état antérieur. Il renvoie également l’intéressée au service public compétent pour les personnes handicapées.

Position de la Cour du travail

La Cour va examiner en détail chacune des conditions d’octroi des indemnités d’invalidité. La question est en effet de savoir si la demanderesse peut bénéficier de celles-ci - ce qui implique qu’elle ait eu une capacité de travail - ou si elle doit dépendre exclusivement du secteur résiduaire de l’aide aux personnes handicapées.

La décision du CMI se fonde sur la circonstance que la cessation des activités n’est pas la conséquence directe du début ou de l’aggravation de la lésion ou de troubles fonctionnels.

La Cour reprend l’article 100, § 1er de la loi coordonnée, qui définit le travailleur incapable de travailleur comme celui qui a cessé toute activité en conséquence directe du début ou de l’aggravation de ses lésions ou troubles fonctionnels dont il est reconnu qu’ils entraînent une réduction de sa capacité de gain (à un taux égal ou inférieur au tiers).

Il convient dès lors, pour la Cour, d’examiner successivement la question de la charge de la preuve, celle du début ou de l’aggravation de lésions ou troubles fonctionnels, et, enfin, la notion de capacité de gain au sens légal.

Sur le premier point, c’est le demandeur qui doit établir qu’il répond aux conditions pour que l’état d’invalidité lui soit reconnu, s’agissant d’une décision du CMI de refus (Cass., 24 oct. 1973, Pas., I, p. 209). La Cour précise qu’en cas de doute sur l’existence d’une des conditions exigées, la partie demanderesse échoue dans sa demande.

L’octroi des indemnités est subordonné à l’existence ou l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’incapacité au travail est totale, celle-ci étant établie par divers documents médicaux. En outre, est présente une aggravation, elle-même démontrée par les pièces médicales et le rapport d’expertise.

La question la plus délicate est de déterminer s’il y avait en l’espèce capacité de gain.

La Cour rappelle qu’il faut entendre par là la capacité d’acquérir par son travail des revenus pouvant contribuer aux besoins du travailleur et de sa famille. La demanderesse avait bénéficié d’allocations de chômage depuis le 1er avril 1996 et ce jusqu’au 19 novembre 2002 lorsqu’elle tomba en incapacité de travail reconnu par ma mutuelle. Il peut également y avoir perte de capacité de gain si le travailleur perd le bénéficie des allocations de chômage du fait de l’apparition ou de l’aggravation de troubles ou de lésions fonctionnels qui ont donné lieu à cette incapacité.

Les allocations de chômage ne peuvent en effet être octroyées que si le travailleur établit son aptitude au travail au sens de la législation AMI, et ce en vertu de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (art. 60).

La Cour constate en l’espèce que, lorsqu’elle a été admise au chômage en 1996 (ou même ultérieurement pendant la période 1996 à 2002), à aucun moment l’aptitude au travail de la demanderesse n’a été mise en doute. Il va même apparaître, dans le cadre de la procédure, qu’une courte période de travail sera identifiée.

La Cour constate par ailleurs qu’en novembre 2002 un traitement médicamenteux psychotrope est prescrit, et ce pour la première fois.

Il en résulte que la cessation d’activité (en l’occurrence perte du droit aux allocations de chômage) répond à la condition de la perte de capacité telle que prévue par l’article 100 de la loi coordonnée.

En ce qui concerne l’avis de l’expert, la Cour va considérer qu’il contient une conclusion s’écartant de ses conclusions préliminaires, plus nuancées. Rappelant encore qu’elle ne peut se contenter de supputations pour écarter les éléments objectifs du dossier établissant l’aggravation d’une situation pathologique au moment du début de la période d’incapacité, ainsi qu’une capacité de gain lorsqu’a débuté celle-ci, la Cour s’écarte de l’avis de l’expert et réforme le jugement du tribunal.

Intérêt de la décision

La décision de la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles en matière de preuve ainsi que les conditions d’octroi des indemnités et, particulièrement, la question de l’exigence d’une capacité de gain dans le chef du demandeur. A supposer une telle capacité inexistante, aucun droit ne peut être exercé dans le secteur des soins de santé et indemnités.


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