Terralaboris asbl

La décision prise par un agent incompétent est nulle, nullité qui emporte l’inexistence de la décision de récupérer l’indu

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 avril 2009, R.G. 46.641W

Mis en ligne le mercredi 27 janvier 2010


Cour du travail de Bruxelles, 22 avril 2009, R.G. 46.641W

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 22 avril 2009, la Cour du travail de Bruxelles estime qu’est nulle pour incompétence de son auteur une décision prise par un agent à qui l’administrateur général de l’ONEm avait délégué un pouvoir de signature de la correspondance ordinaire. En conséquence, la décision de récupération de l’indu prise est inexistante. Par contre, la Cour doit se prononcer sur les droits et examine si l’intéressé pouvait bénéficier des allocations de chômage au taux « isolé » (non pour une période).

Les faits

Monsieur A., bénéficiaire d’allocations de chômage, vivait avec ses parents, rue V. En mars 1993, il déménage dans un flat et se déclare isolé. En mai 1993, il quitte ce logement et rejoint l’immeuble où ses parents habitent, selon lui dans un appartement séparé. Il maintient sa déclaration d’isolé.

En février 1995, ses frères achètent un immeuble de rapport, dans lequel la famille s’installe (rue P.G.). Monsieur A. maintient sa déclaration d’isolé, logeant dans une mansarde équipée d’un coin cuisine et partageant les sanitaires avec ses parents. Il a une domiciliation séparée mais les compteurs sont tous communs.

Une enquête est ensuite réalisée par l’ONEm, sur la situation rue P.G., au cours de laquelle l’intéressé ne peut présenter ni contrat de bail ni preuve de paiement d’un loyer. A cette suite, l’ONEm prend une décision le 6 juin 1997, le considérant comme cohabitant à partir du 25 mai 1993, ordonnant la récupération des allocations de chômage de décembre 1994 à juin 1997 et appliquant une sanction d’exclusion de 26 semaines, pour déclaration inexacte.

La décision du tribunal

Le Tribunal confirme la décision de l’ONEm, sauf en ce qui concerne la sanction, limitée à 13 semaines d’exclusion.

La position des parties

En appel, Monsieur A. demande l’annulation de la décision, pour incompétence dans le chef de son auteur. Il conteste par ailleurs avoir été cohabitant, ainsi que la période retenue par l’ONEm (qui, quoique n’ayant fait qu’une enquête sur la situation familiale rue P.G., vise également la période antérieure, lorsqu’il habitait rue V.). Il soutient également que la sanction est nulle, faute d’avoir été motivée quant à sa hauteur.

La décision de la Cour

La Cour examine en premier lieu la question de la nullité pour incompétence de l’auteur de la décision. Elle relève qu’en vertu de l’article 142 de l’A.R. du 25/11/1991, c’est le directeur du bureau de chômage qui prend les décisions et qu’il peut déléguer une partie de ses pouvoirs au personnel du bureau. Au sens de l’article 1er , 5° de l’arrêté, est directeur le directeur ou les agents désignés par l’administrateur général de l’ONEm.

En l’espèce, la décision a été signée par un assistant administratif, lequel avait, selon les délégations de pouvoirs communiquées par l’ONEm, reçu délégation de l’administrateur général de signer la correspondance ordinaire concernant le service pour lequel il est compétent. La Cour relève que les décisions sur les droits aux allocations de chômage ne sont pas des correspondances ordinaires. L’agent n’a pas été désigné pour prendre les décisions et le directeur ne lui a délégué aucun pouvoir.

En conséquence, la décision a été prise par un personne sans pouvoir pour ce faire, de sorte qu’elle est nulle.

La Cour note que cette décision ne la dispense pas d’examiner le fond du litige, ne pouvant rétablir Monsieur A. dans ses droits que si la réglementation l’y autorise. La Cour examine donc si l’intéressé prouve sa qualité d’isolé.

En ce qui concerne la situation au 8 mai 1995 (date de l’installation rue P.G.), la Cour constate que Monsieur A. vivait sous le même toit que ses parents, partageant, au sein de la même maison, la sonnette, les sanitaires et, faute de compteur individuel ou de passage, les consommations de gaz, d’eau et d’électricité. La Cour écarte également l’existence d’un bail (celui produit pendant la procédure n’ayant pas été invoqué lors de l’audition) et constate l’absence de preuve de paiement des loyers ou des charges.

Sur la base de ces éléments, la Cour retient une présomption sérieuse de cohabitant, non renversée par l’existence d’un coin cuisine dans la mansarde, d’autant que Monsieur A. ne produit aucune preuve de dépenses ménagères personnelles, permettant d’attester de l’usage du coin cuisine. Le seul fait de disposer d’une boite à lettre et d’une domiciliation distincte ne suffit pas.

La Cour retient donc la cohabitation au 8 mai 1995. Pour la période antérieure, la Cour estime qu’aucun élément ne permet de douter des déclarations de Monsieur A. quant à son statut d’isolé, l’ONEm n’ayant fait ni contrôle ni investigation pour cette période. Or, note la Cour, à défaut d’enquête, Monsieur A. n’a pas conservé de preuve de son organisation ménagère et n’est évidemment plus en mesure de le faire en 2009. La Cour reconnaît donc le statut d’isolé pour cette période.

En ce qui concerne la sanction, la Cour constate qu’elle est annulée vu le vice affectant la décision elle-même (incompétence de son auteur) et qu’il ne lui est pas demandé d’en prononcer une. Elle reconnaît le droit aux allocations à partir du jour où la sanction a été appliquée par l’ONEm.

En ce qui concerne la durée de la récupération, en réponse à la demande de limitation de la période, la Cour refuse de reconnaître la bonne foi, non prouvée selon elle. Elle considère également que la fraude n’est pas établie (pour étendre la prescription à 5 ans), la déclaration faite par Monsieur A. selon laquelle il vivait seul ne suffisant pas à la démontrer.

Elle n’ordonne cependant aucune récupération vu le vice affectant la décision. Elle rappelle que statuer sur les droits aux allocations n’implique pas d’ordonner la récupération de l’indu, tandis qu’il n’existe pas de décision implicite d’ordonner pareille récupération (l’arrêt cite Cass., 3 janvier 2005, S. 04.0018.F).

Elle note par ailleurs que, en vertu de l’article 7, § 13, al. 2, de l’arrêté-loi du 28/12/1944, pour échapper à la prescription, une décision de récupération d’indu doit être prise dans les trois ans. C’est donc le « C29 » qui constitue l’acte interruptif, même si le montant de la récupération n’y est pas indiqué. La Cour constate qu’en l’espèce, la décision a été prise le 6 juin 1997 mais que, ayant été annulée par l’arrêt, il faut constater que l’ONEm n’a pas pris de décision. Or, le délai est complètement écoulé au moment où la Cour se prononce, de sorte que le droit de l’ONEm de récupérer l’indu est prescrit. La Cour note qu’elle n’a pas à se prononcer sur une telle action, dès lors qu’elle n’en a pas été saisie (celle-ci n’ayant pas été formalisée par l’ONEm).

Intérêt de la décision

La Cour confirme que l’incompétence de l’agent ayant pris la décision entraîne la nullité de celle-ci, en ce compris en ce qu’elle ordonne la récupération. Et en tire les conséquences sur le plan du droit de l’ONEm d’encore ordonner la récupération. Vu l’ancienneté des faits, celui-ci est reconnu comme prescrit. Aussi, si la nullité de la décision n’empêche pas les juridictions du travail d’examiner les droits de l’intéressé et de statuer comme aurait pu le faire le bureau de chômage, elle a cependant des conséquences sur la récupération éventuelle de l’indu et sur la sanction.

Sur le taux des allocations de chômage, l’examen de l’espèce fait par la Cour confirme que les déclarations de l’intéressé doivent être retenues, sauf si d’autres éléments permettent de présumer la cohabitation, auquel cas, l’intéressé doit alors prouver effectivement gérer seul les principales questions ménagères.


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