Terralaboris asbl

Charge de la preuve en cas de revision ou de suppression du revenu d’intégration sociale ou de l’aide sociale

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, 19 janvier 2010, R.G. 09/3157/A

Mis en ligne le mardi 30 mars 2010


Tribunal du travail de Charleroi, 19 janvier 2010, R.G. 09/3157/A

A.S.B.L. TERRA LABORIS – Mireille JOURDAN

Dans un jugement du 19 janvier 2010, le Tribunal du travail de Charleroi rappelle qu’une décision de revision ou de suppression des prestations sociales accordées par le CPAS doit être fondée sur une preuve certaine et non sur des soupçons.

Les faits

Reconnu apatride par jugement du Tribunal de première instance de Tournai du 6 octobre 2004, un demandeur d’aide bénéficie d’un certificat d’inscription provisoire au registre des étrangers jusqu’au 26 juin 2008. Après avoir introduit une demande de régularisation de séjour (article 9, alinéa 3 de la loi du 15 décembre 1980) en juillet 2006 en vue d’obtenir le regroupement familial, il bénéfice du revenu d’intégration depuis octobre 2006. Le 25 février 2009, il demande une aide financière, aux fins d’acheter de l’électroménager (une machine à laver et un frigo). Il ressort du rapport qui sera fait par l’assistante sociale suite à une visite au domicile que le logement comprend notamment une grande télévision à écran plat, un home cinéma et de la « belle vaisselle ». Le demandeur disposerait également d’un véhicule Audi A4 et serait habituellement bien habillé.

Suite à ces constatations, le Comité spécial du service social du CPAS de Charleroi supprime d’office le revenu d’intégration au taux chef de famille et décide de récupérer l’indu du mois de mars. La motivation de sa décision est que les conditions de vie constatées au domicile font apparaître l’existence de ressources non déclarées et incontrôlables. Le Comité spécial refuse par ailleurs l’aide sociale pour l’achat d’un frigo et d’une machine à laver.

Après cette décision, le demandeur introduit une nouvelle demande de revenu d’intégration le 16 avril 2009 et un nouveau rapport social est alors établi, dont il ressort notamment que toutes explications sont données quant à l’origine du véhicule Audi (cédé gracieusement par un membre de la famille), des vêtements portés (en réalité achetés au marché), ainsi que sur le mode de vie : achat de nourriture très bon marché, dettes envers le fournisseur d’énergie ainsi qu’envers le propriétaire.

La décision de refus est cependant confirmée et le CPAS va également rejeter une nouvelle demande d’aide qui sera introduite en juin 2009.

Recours est introduit contre la dernière des ces décisions par requête déposée au greffe du Tribunal du travail le 24 août 2009.

Position du Tribunal

Dans ce jugement, c’est l’article 16, §1er de la loi du 26 mai 2002 que le Tribunal examine plus particulièrement, étant que, pour l’octroi du revenu d’intégration sociale, l’ayant-droit doit déclarer toutes les ressources dont il dispose, quelle qu’en soit la nature ou l’origine. Peuvent également être prises en considération, selon les conditions fixées par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres, les ressources des personnes cohabitantes.

Le Tribunal constate que c’est sur le soupçon de l’existence de ressources incontrôlables que le revenu d’intégration sociale a été supprimé, vu que les conditions de vie constatées lors de la visite effectuée au domicile du demandeur paraissaient incompatibles avec le revenu d’intégration.

Le Tribunal retient que, dans un tel cas, c’est au CPAS à établir la réalité de ses assertions concernant les ressources du demandeur ou d’autres membres de sa famille, cohabitants.

C’est en effet la jurisprudence constante : lorsque le Centre prend une décision de revision ou de suppression du revenu d’intégration sociale ou de l’aide sociale qui était accordé(e), il doit prouver que l’intéressé ne satisfait plus à l’une des conditions légales. Le bénéficiaire a quant à lui un devoir de collaboration et de participation à l’administration de la preuve. Il n’a cependant pas la charge de celle-ci (le Tribunal citant notamment Trib. trav. Charleroi, 16 avril 1996, R.G. 48.197/R ; Trib. trav. Liège, 2 mai 1980, R.G. 82.704 ; Trib. trav. Namur, 8 juin 1978, R.G. 18.779 ; C.E., 15 janvier 1981, n° 20.859, cité par F. FUNCK in « Le Conseil d’Etat, juge de l’aide sociale », C.D.S., 1993, n° 2, p. 156 et n° 60, p. 162). Le Tribunal rappelle que ces principes valent encore en cas de nouvelle demande après une renonciation antérieure de l’intéressé.

A défaut pour le CPAS d’établir que le demandeur a exercé ou exercerait une activité professionnelle non déclarée de nature à avoir une influence non négligeable sur ses droits (une telle activité étant ou ayant été génératrice des revenus ou, encore, ayant rendu le demandeur peu ou non disponible sur le marché du travail), la décision de revision ou de suppression ne peut être prise.

En l’espèce, les soupçons d’activités non déclarées reposent uniquement dans les constatations matérielles faites quant à la description du domicile, de la voiture et des vêtements. Le Tribunal relève qu’aucun contrôle des explications données par le demandeur n’a été effectué, ni sur l’origine, les conditions d’acquisition, la valeur de ces quelques objets, non plus que sur l’identité exacte du propriétaire, et ce alors que la famille compte, selon les périodes, entre 8 et 13 personnes.

Le Tribunal retient encore que d’autres constatations figurant dans le rapport social infirment des conditions d’aisance, vu que les appareils électroménagers dont le coût du renouvellement était demandé (frigo et machine à laver) étaient hors d’usage et que les enfants dormaient sur le sol dans le living, sur des matelas.

Enfin, l’endettement était confirmé, de telle sorte qu’il y a lieu de faire droit au recours.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Charleroi vient confirmer les obligations du CPAS en matière de preuve de l’existence de ressources qui seraient non déclarées. Cette preuve doit être certaine et une décision de revision ou de suppression – que ce soit du revenu d’intégration sociale ou de l’aide sociale – ne peut être fondée sur de simples soupçons ou des appréciations subjectives.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be