Terralaboris asbl

Réduction de cotisations de sécurité sociale dans le cadre des accords en faveur de l’emploi – C.C.T. n° 60 – conditions

Commentaire de C. trav. Liège, 27 novembre 2009, R.G. 35.430 et 35.564

Mis en ligne le mercredi 14 avril 2010


Cour du travail de Liège, 27 novembre 2009, R.G. 35.430 et 35.564

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 27 novembre 2009, la Cour du travail de Liège examine les effets de la carence du Roi, vu l’absence des mesures d’exécution de l’article 6 de la loi du 3 avril 1995, et ce eu égard aux dispositions qui ont du être prises, en conséquence, par la loi du 13 février 1998 portant des dispositions en faveur de l’emploi.

Les faits

L’ONSS introduit une action contre une société en paiement de cotisations sociales pour deux trimestres de l’année 1995 et l’ensemble des trimestres de l’année 1996, et ce suite à un avis rectificatif du 25 mai 1999, avis en vertu duquel l’Office entend récupérer les réductions de cotisations dont la société a bénéficié dans le cadre des accords en faveur de l’emploi. Il s’agit des mesures de la convention collective de travail n° 60 du C.N.T. et de la loi du 3 avril 1995 portant des mesures visant à promouvoir l’emploi. Ces mesures sont applicables pour chaque travailleur engagé après le 31 décembre 1994 à une croissance nette de travailleurs calculée par rapport au trimestre correspondant de l’année antérieure. Le litige tourne autour du terme « croissance nette du nombre de travailleurs ». Dans le texte initial, était prévue l’obligation de rembourser les avantages perçus indument s’il s’avérait que la croissance nette du nombre de travailleurs était intervenue en conséquence de transferts « au sein d’entreprises qui appartiennent au même groupe ou à la même entité économique ». Le Roi était tenu de définir le champ d’application de cette exclusion.

En l’espèce, la société en cause avait été exploitée par une personne physique et, à partir du 1er trimestre 1995, sous la forme d’une S.A. Celle-ci reprit les 21 travailleurs occupés auparavant dans l’entreprise et le secrétariat social introduisit une demande de réduction des cotisations sociales, en conséquence. Ce type de cession d’entreprise ne paraissait pas visé par l’article 6 de la loi du 3 avril 1995.

Vu la carence du Roi, une nouvelle définition intervint dans la loi du 13 février 1998 portant des dispositions en faveur de l’emploi et celle-ci exclut alors l’octroi de réduction en visant les situations résultant « de l’absorption ou de la fusion de un ou de plusieurs employeurs » ainsi que « du transfert de personnel qui a donné lieu dans le chef de l’employeur cédant à une diminution du volume de travail en comparaison avec le trimestre précédant le transfert ».

La loi du 13 février 1998 rétroagit au 1er janvier 1995 (article 30, § 1er). Cette rétroactivité visait, dès lors, la société qui se trouvait clairement exclue du bénéfice des mesures de réduction de cotisations sociales.

Le jugement a quo

Par jugement du 13 novembre 2007, le Tribunal du travail de Liège fit partiellement droit à la demande de l’ONSS. Il rappela d’abord que la constitutionnalité de l’application rétroactive de la loi du 13 février 1998 avait été admise par la Cour constitutionnelle (CA, 22 janvier 2003, arrêt n°6/2003). La Cour constitutionnelle y admit que l’objectif de la loi permettait cette rétroactivité, étant de favoriser la croissance nette de l’emploi par des réductions de cotisations de sécurité sociale.

En l’espèce, le Tribunal a constaté l’absence de création d’emploi et, au contraire, la diminution du nombre de travailleurs occupés.

Pour le premier juge, la société savait, dès le début, qu’elle ne pouvait bénéficier de l’avantage. Celle-ci mettant par ailleurs la responsabilité du secrétariat social en cause, le Tribunal relève que celui-ci avait avisé l’ensemble de ses affiliés, dans sa publication professionnelle, du caractère aléatoire de la réduction de ces cotisations et de la possibilité de contestations ultérieures. La responsabilité de celui-ci n’est dès lors pas retenue.

Position de la Cour

La Cour rappelle, d’abord, le principe général de la non rétroactivité de la loi, celui-ci étant la sauvegarde indispensable des intérêts individuels et la base fondamentale de la sécurité juridique.

En ce qui concerne les dérogations à ce principe, la Cour retient une d’entre elles, étant relative aux lois d’ordre public. Pour celles-ci, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 3 juin 1966 (Cass., 3 juin 1966, Pas. 1966, I, 1258) la règle selon laquelle une nouvelle loi d’ordre public ou relative à un service public est, comme toute loi, immédiatement applicable à tous les effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne. Le caractère spécial de la loi est impuissant à la rendre applicable aux situations antérieures définitivement accomplies, sauf si elle a été déclarée applicable avec effet rétroactif à de telles situations.

En l’occurrence, la Cour constate que l’article 28, § 1er de la loi du 13 février 1998 s’applique à dater du 1er janvier 1995. S’il n’indique pas comment interpréter l’article 6 de la loi du 3 avril 1995, il vient cependant modifier la définition du groupe d’entreprises visé. Ce n’est dès lors pas une loi interprétative, celle-ci faisant corps avec la disposition interprétée, laquelle est censée avoir toujours eu le sens défini. Il s’agit au contraire d’une loi rétroactive puisqu’une formulation antérieure a été remplacée. La Cour déplore ici un procédé « particulièrement funeste et dommageable pour la sécurité juridique des parties », utilisé afin de combler un vide juridique laissé par la carence du pouvoir exécutif. Ce faisant, il y a modification avec effet rétroactif des effets d’une situation antérieure définitivement accomplie. Cependant, s’agissant d’une loi d’ordre public, la Cour admet que cette rétroactivité n’était pas interdite, d’autant que la Cour constitutionnelle est intervenue par son arrêt du 22 janvier 2003.

En l’espèce, la Cour constate que le passage de l’exploitation en personne physique à une forme de société commerciale n’a pas entrainé d’accroissement du nombre de travailleurs occupés, au contraire.

La Cour rejette encore un argument invoqué par la société, relatif au principe de bonne administration, relevant que ce principe, certes consacré par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 mars 1992 (Cass., 27 mars 1992, R.C.J.B., 1995, p. 57 + note GEELHAND), se borne en fin de compte à garantir le respect des attentes légitimes des citoyens à voir l’administration respecter les règles de conduite qu’elle s’est données.

Enfin, la Cour ne retiendra aucune faute dans le chef de l’ONSS ni dans celui du secrétariat social.

Intérêt de la décision

La Cour du Travail de Liège se penche assez longuement sur des questions de principe récurrentes : la distinction entre une loi interprétative et une loi rétroactive et les dérogations au principe général de la non rétroactivité des lois. Elle dessine également les contours du principe de bonne administration.


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