Terralaboris asbl

Incarcération suite à l’exercice d’une activité illégale (trafic) : absence de droit aux indemnités de maladie

Commentaire de C. trav. Mons, 14 mai 2009, R.G. 19.839

Mis en ligne le mercredi 14 avril 2010


Cour du travail de Mons, 14 mai 2009, R.G. 19.839

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 14 mai 2009, la Cour du travail de Mons rappelle ce qu’il y a lieu d’entendre par activité exercée au sens de l’article 100, §1er, alinéa 1er de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994.

Les faits

Un couple, dont le mari bénéficiait d’indemnités d’incapacité au taux « avec personne à charge », est incarcéré en Espagne pour trafic de stupéfiants. Le couple a été arrêté sur l’autoroute, revenant vers la Belgique.

Un an et demi plus tard, l’épouse est libérée et rentre seule en Belgique, son époux restant incarcéré.

Lui est réclamé, ultérieurement, un indu au motif que, du fait de l’incarcération, ne pouvait être considéré comme ayant charge de famille mais comme isolé.

L’intéressé introduit un recours.

Le jugement du Tribunal du travail

Par jugement du 28 juin 2005, le Tribunal du travail considère que, si la loi prévoit que l’incarcération du titulaire ne lui fait pas perdre le droit aux indemnités au taux « avec personne à charge », elle ne prévoit pas le maintien de celles-ci lorsque le cohabitant est également incarcéré. Le titulaire n’établissant pas que son épouse est restée à sa charge financièrement pendant l’incarcération, il ne peut demander le bénéfice des indemnités calculées à ce taux. C’est en effet lui qui a la charge de la preuve de la dépendance financière du cohabitant.

Appel du jugement est interjeté.

Position des parties en appel

Le demandeur originaire fait valoir qu’une décision du juge de paix l’a condamné au paiement d’une pension alimentaire, en août 2005, de telle sorte qu’il devait être considéré comme titulaire avec personne à charge.

Position de la Cour du travail

La Cour statua dans un premier arrêt du 10 janvier 2008 mais rouvrit les débats, essentiellement sur deux points, étant de permettre au demandeur de justifier d’une part la date à laquelle il avait quitté le territoire belge et de s’expliquer sur l’obtention ou non de l’autorisation qu’aurait dû donner son médecin-conseil (organisme assureur) vu le séjour temporaire à l’étranger et, d’autre part, sa cessation d’activité. La Cour avait en effet relevé que l’incarcération était consécutive à un trafic de stupéfiants. Etait également demandée la décision de justice espagnole.

Position de la Cour dans son arrêt du 14 mai 2009

La Cour va reprendre les contours de la notion d’« activité » au sens de la réglementation concernée.

Il s’agit d’une part des articles 100, §1er et 136, §1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et d’autre part de son arrêté d’exécution du 3 juillet 1996.

Il ressort en effet de ces dispositions que, pour bénéficier des indemnités lors d’un séjour à l’extérieur du territoire national, l’assuré social doit avoir été autorisé préalablement par le médecin-conseil à effectuer ce séjour, tout en conservant sa résidence principale en Belgique. A cette exigence, un tempérament a été apporté par l’arrêté royal du 19 juin 1998, qui précise que cette autorisation n’est plus requise pour les personnes qui tombent sous le champ d’application du règlement CEE 1408/71 du 14 juillet 1971. Cette nouvelle disposition règle les séjours temporaires dans un autre Etat membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen.

En l’espèce, la Cour relève que les intéressés ont été appréhendés sur l’autoroute en Espagne. De leurs déclarations, il ressort qu’ils n’ont jamais eu l’intention de séjourner en Espagne. Ils font valoir que leur présence sur le sol espagnol, liée à l’incarcération, résulte d’un cas de force majeure, de telle sorte qu’il ne leur était pas possible de solliciter l’autorisation du médecin-conseil.

Sur ce point, la Cour relève que la notion de séjour temporaire n’implique pas une intention quelconque de se fixer sur le territoire de l’état étranger et que, par ailleurs, les conditions de la force majeure ne sont pas réunies puisque celle-ci exige la survenance d’un événement imprévisible et insurmontable, indépendant de la volonté humaine et qui ne peut être provoqué par elle, ce qui ne peut certes être le cas d’une incarcération trouvant son origine dans un comportement délictueux.

Mais la Cour se penche également sur la question de savoir s’il y a eu cessation d’activité, permettant de considérer qu’il y avait incapacité de travail.

Après avoir examiné les données de l’espèce (dont il ressort que le trafic est bel et bien établi), la Cour reprend les éléments en droit de la définition de l’activité exigée. Elle rappelle qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 23 avril 1990, J.T.T., 1990, p. 466), aucune disposition ne définit ce qu’il y a lieu d’entendre par « activité » ou « travail » ou « activité professionnelle ». Cependant, le terme « activité » ne doit pas être confondu avec les deux autres. Par activité au sens de la disposition en cause, il faut comprendre toute occupation orientée vers la production de biens ou de services, permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique, que ce soit pour soi-même ou pour autrui. Il importe peu que l’activité soit occasionnelle, exceptionnelle, de minime importance, faiblement rémunérée ou même motivée par l’intention de rendre service. La Cour rappelle ici la doctrine de Ph. GOSSERIES (Ph. GOSSERIES, « L’incapacité de travail des salariés et des indépendants en assurance indemnités obligatoire », J.T.T., 1997, p. 81 et décisions citées).

Il va, pour la Cour, dès lors s’agir de toute activité à caractère productif effectuée dans le cadre de relations sociales, et ce même si l’activité est accomplie sans rémunération au titre de service d’ami, et la Cour renvoie ici encore à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 18 mai 1992, J.T.T., 1992, p. 401).

La Cour donne dès lors son interprétation du terme « activité » au sens de la l’article 100, étant qu’il présente une analogie très grande avec le terme « travail ». Pour la Cour, n’admettre que les activités déployées dans un cadre légal reviendrait à ajouter à l’article 100. En l’espèce, le couple a exercé une activité au sens de cette disposition légale, qui doit être entendue comme visant toute occupation orientée vers la production de biens et de services, occasionnelle, exceptionnelle ou même sans rémunération.

La Cour décide dès lors du caractère indu de l’intégralité des indemnités versées. La mutuelle ayant, dans le cadre de la réouverture des débats, formé une extension de demande reconventionnelle, portant sur le remboursement de la totalité des indemnités, la Cour fait droit à cette demande.

Intérêt de la décision

Dans un cas certes particulier, la Cour du travail de Mons est amenée à définir la notion d’activité au sens de la réglementation en matière de soins de santé et indemnités. Elle retient l’acception la plus large.


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