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Accidents du travail successifs : dès lors que le dernier accident a aggravé les conséquences d’un accident antérieur, l’incapacité de travail existant à la suite du dernier accident doit être évaluée dans son ensemble

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 mars 2010, R.G. 2008/AB/51.058

Mis en ligne le vendredi 4 juin 2010


Cour du travail de Bruxelles, 29 mars 2010, R.G. 2008/AB/51.058

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 29 mars 2010, la Cour du travail de Bruxelles est amenée à rappeler le principe en matière d’évaluation d’accidents du travail successifs : dès lors que le dernier accident a aggravé les conséquences d’un accident précédent et que l’incapacité constatée à la suite du dernier accident a au moins celui-ci pour cause, il y a lieu d’apprécier l’incapacité dans son ensemble. La Cour additionne, en conséquence, le taux accordé pour le premier accident à celui accordé pour le second par l’expert, ce dernier taux ne visant que l’aggravation.

Les faits

Monsieur R. fut victime d’un premier accident du travail en date du 26 mai 1997. Cet accident est responsable d’une décompensation de son état lombaire antérieur, décompensation portant à la fois sur le volet orthopédique et sur le volet neurologique, vu l’existence d’une atteinte neurogène.

Les conséquences de cet accident étant débattues entre parties, une procédure judiciaire fut introduite, menant à la désignation d’un médecin expert. A l’issue de l’expertise, celui-ci proposa de fixer le taux d’incapacité permanente à 14 %, eu égard aux répercussions professionnelles et économiques de la décompensation de l’état antérieur et de l’atteinte neurogène. Ce taux fut, en son temps, contesté par l’entreprise d’assurances, contestation rejetée par le Tribunal du travail qui entérina les conclusions de l’expert par un jugement du 15 janvier 2002.

Ultérieurement, le 6 mai 2002, Monsieur R. est victime d’un nouvel accident du travail, portant également sur la région lombaire.

Une contestation quant aux séquelles subsistant à la suite de cet accident survenant à nouveau, une nouvelle action est introduite devant le Tribunal, qui désigne le même expert que précédemment. A l’issue de son expertise, l’expert constate que les lésions portent sur le même siège que celui du premier accident. Il précise cependant que l’aggravation porte cette fois exclusivement sur le volet neurologique (aggravation de l’atteinte neurogène déjà constatée antérieurement), précisant que le taux fixé pour le premier accident ne réparait que les séquelles « orthopédiques » et non les séquelles neurologiques.

Il fixe le pourcentage de l’accident de mai 2002 à 9%, précisant qu’il s’agit de l’aggravation dépendant exclusivement de cet accident.

A l’issue de ce rapport d’expertise, Monsieur R. demande au Tribunal de fixer les conséquences de l’accident de mai 2002 à 23%, s’agissant d’un taux cumulé de 14% + 9%.

Le Tribunal du travail refuse de suivre l’intéressé et fixe donc les conséquences de l’accident du 6 mai 2002 à 9%, soit le taux proposé par l’expert.

Position des parties en appel

Monsieur R. interjette appel du jugement, faisant valoir qu’il y a lieu d’appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’accidents successifs. Il soulève en effet que l’incapacité qui subsiste à la suite du second accident de mai 2002 doit être fixée en cumulant l’incapacité subsistant après le premier accident de 1997 avec celle engendrée exclusivement par le second, de mai 2002.

L’entreprise d’assurances s’oppose au cumul des taux, arguant que le siège des lésions serait différent, de sorte que l’on ne pourrait parler d’aggravation par le second accident des séquelles du premier. Elle se fonde à cet égard sur la précision donnée par l’expert dans le second rapport, selon lequel l’aggravation est neurologique et non orthopédique. A titre subsidiaire, elle conteste la demande de cumul des taux avancée par Monsieur R. Elle avance par ailleurs que cette méthode consiste à lui imposer d’indemniser deux fois le même dommage (l’entreprise d’assurances étant également celle du premier accident).

Position de la Cour du Travail

Sur le plan des principes, la Cour du travail rappelle que, en application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit apprécier l’incapacité permanente de travail telle qu’elle résulte à l’issue du second accident dans son ensemble, dès lors que l’incapacité constatée a celui-ci pour cause - même partielle. Ceci résulte des principes applicables en matière de causalité et d’indemnisation forfaitaire.

La Cour examine ensuite les conclusions du rapport d’expertise et constate que celle-ci établit que l’accident de mai 2002 a aggravé les conséquences du premier accident. La Cour note par ailleurs que l’expert limite cette aggravation au volet neurologique et qu’il soutient que, en ce qui concerne le taux attribué au premier accident, il ne réparait que les séquelles orthopédiques. La Cour constate cependant que pareille ventilation ne ressort nullement du premier rapport d’expertise tandis que le libellé des séquelles, tel que repris pour chacun des accidents, démontre qu’il n’y a pas une nouvelle lésion en ce qui concerne le dernier accident. Elle constate ainsi que le siège des lésions se situe dans la région lombaire L5-S1, que pour les deux accidents il est question d’une atteinte neurogène et que l’expert a fait référence au même article du BOBI.

Vu les mentions du rapport d’expertise, constatant l’aggravation par le dernier accident des séquelles du premier accident, la Cour estime qu’il y a lieu d’apprécier l’incapacité de travail subsistant dans son ensemble. Elle procède en conséquence au cumul des taux et fixe l’incapacité subsistant à la suite du dernier accident à 23% comme demandé par la victime.

Intérêt de la décision

La question de l’évaluation de l’incapacité permanente en cas d’accidents successifs est très largement balisée par une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
L’arrêt commenté constitue une application à un cas d’espèce de la règle de la globalisation en cas d’accidents successifs. La Cour rappelle ainsi opportunément que dès lors que le dernier accident a aggravé les conséquences du premier accident et que l’incapacité subsistant a au moins le dernier accident pour cause, il y a lieu d’évaluer l’incapacité permanente subsistant à la suite du dernier accident dans son ensemble, c’est-à-dire sans aucune soustraction de l’indemnisation qui avait déjà été retenue pour le premier. En d’autres termes, l’indemnisation du dernier accident doit tenir compte de l’ensemble des effets incapacitants des lésions telles qu’elles se présentent à ce moment là, même si une partie d’entre elles a déjà fait l’objet d’une réparation par le biais d’indemnités accordées pour les accidents précédents.

Relevons encore qu’en l’espèce, la Cour valide ainsi la méthode d’appréciation de l’incapacité dans son ensemble par le cumul du taux attribué au premier accident et de l’aggravation engendrée par le second.


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