Terralaboris asbl

Occupation dans le secteur privé et le secteur public –législation applicable et règles de réparation.

Commentaire de C. trav. Liège, 5 janvier 2010, R.G. 2009/AL/36.202

Mis en ligne le lundi 7 juin 2010


Cour du travail de Liège, 5 janvier 2010, R.G. n° 2009/AL/36.202

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 5 janvier 2010, la Cour du travail de Liège, saisie d’un litige relatif à une exposition au risque professionnel d’un travailleur statutaire d’un organisme d’intérêt public, pose la question de l’identification du débiteur de la réparation dans une telle hypothèse, dès lors que cette exposition avait débuté lors de son occupation dans le secteur privé.

Les faits

Un travailleur a presté dans le secteur privé en qualité de chauffeur livreur pendant une quinzaine d’années et devient ensuite manutentionnaire pour un CPAS, et ce jusqu’en 1979. Il devient alors brancardier, pour ce même CPAS, jusqu’en 1985 et ensuite exerce les mêmes fonctions jusque 2005 pour le CHU de Liège, au service duquel il est devenu agent statutaire le 1er octobre 1990.

En 2006, il introduit une demande de réparation (dans le secteur public) d’une maladie dans le système ouvert, étant une polyarthrose vertébrale. Il a à ce moment pris sa pension de retraite.

En date du 14 novembre 2006, le FMP prend une décision de rejet, au motif qu’il n’est pas établi que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

Un recours est dès lors introduit.

Le jugement du tribunal du travail de Liège

Le travailleur introduit sa demande à la fois contre le Fonds des maladies professionnelles et le CHU. Il demande paiement des indemnités légales à partir du 9 octobre 2003. Dans ses conclusions, il va demander son indemnisation à partir du 27 mai 1991.

Par jugement du 23 octobre 2008, le Tribunal du travail de Liège ordonne une expertise sur l’exposition au risque pendant tout ou partie de la période au cours de laquelle il a appartenu à une des catégories de personnes visées à l’article 2 des lois coordonnées le 3 juin 1970 ou pendant la période au cours de laquelle il a été assuré en vertu de l’article 3 des mêmes lois. L’expert est également chargé de déterminer la date de la dernière exposition et de préciser le lien de casualité, ainsi que de fixer le point de départ et les taux d’incapacité.

La position des parties en appel

Le CHU interjette appel, invoquant que la procédure prévue a l’arrêté royal du 5 janvier 1971 n’a pas été respectée à son égard, qu’il ne doit pas intervenir, dans la mesure où la loi du 3 juillet 1967 relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles dans le secteur public ne lui a été rendue applicable que par arrêté royal du 2 juin 1993 et que, si la maladie a pris cours avant 1991, seul le FMP doit réparer. Il fait encore valoir que mettre l’indemnisation à sa charge serait discriminatoire et, enfin, il soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité.

Quant au travailleur, il affirme avoir introduit sa demande dans le secteur public, le CHU étant tenu à réparation. Il conteste également l’existence d’une discrimination dans le chef du CHU et considère que le lien causal est établi. Il s’oppose à la mise hors cause du Fonds des maladies professionnelles, qui considère ne pas devoir intervenir, au motif que la dernière exposition s’est déroulée dans le cadre de l’activité exercée au sein du CHU.

La position de la Cour

En premier lieu, la Cour considère qu’il ressort des éléments du dossier que le travailleur a introduit valablement une demande de réparation dans le secteur public.

Celui-ci n’a pas pris de décision, la Cour constatant cependant que le principe du préalable administratif semble avoir été respecté pour ce qui concerne la demande introduite par le travailleur mais que l’instruction n’ait pas été poursuivie et la Cour s’inquiète, dès lors, de la raison de l’absence de décision suite à l’introduction de la demande. La Cour rappelle que les juridictions du travail sont compétentes pour apprécier les décisions rendues mais ne peuvent prendre celles-ci en lieu et place de l’autorité.

Elle demande également la preuve de la notification par le Fonds des Maladies Professionnelles à l’autorité de la décision qu’il a prise de son côté.

Sur la décision prise par le FMP, la Cour relève qu’aucune demande ne lui a été adressée directement et qu’il n’avait dès lors pas à notifier une telle décision. Il constate que celle-ci a été prise dans le cadre des lois coordonnées le 3 juin 1970, et en particulier l’article 30bis, référence étant faite, quant à la procédure, à l’arrêté royal du 26 septembre 1996 qui détermine la manière dont sont introduites et instruites les demandes de réparation et de revision. L’article 6 de cet arrêté royal se réfère aux demandes introduites dans le cadre et conformément à l’arrêté royal du 21 janvier 1993, qui règle la question en ce qui concerne le personnel des administrations provinciales et locales affiliées à l’ONSS et énonce qu’une telle demande vaut demande au sens de l’arrêté de 1993 pour l’application de l’article 48quater des lois coordonnées le 3 juin 1970. Cette disposition des lois coordonnées prévoit quant à elle que, lorsqu’un travailleur est victime d’une maladie professionnelle et qu’il peut pour celle-ci faire valoir des droits dans les deux régimes (secteur privé et secteur public), la totalité de la réparation à laquelle il peut prétendre doit être assurée exclusivement dans le cadre de la législation sous laquelle la victime a été exposée en dernier lieu au risque professionnel. La référence est faite à la date de la demande qui donne lieu à la première réparation du risque.

La Cour poursuit en constatant que les motifs invoqués par le FMP pour solliciter sa mise hors cause sont qu’il y a eu exposition au risque professionnel de la maladie dans le secteur public avant la demande. La Cour relève également qu’il existe dans la loi du 3 juillet 1967 une disposition (article 20 quinquies) qui règle la question de l’exposition au risque dans les deux secteurs et que celle-ci également prévoit que la totalité de la réparation intervient exclusivement dans le cadre de la législation applicable au moment de l’exposition au risque professionnel en question avant la date de la demande donnant lieu à la première réparation. En l’espèce, la Cour constate que la demande n’a pas été introduite après l’entrée en vigueur de la loi du 29 avril 1996 portant des dispositions sociales, loi qui a inséré dans les lois coordonnées du 3 juin 1970 l’article 48 quater et que, en conséquence, la totalité de la réparation doit être prise en charge par l’un ou l’autre régime.

Que la maladie ait débuté, ainsi que le prétend la victime, en mai 1991 et que la réparation soit sollicitée depuis cette date n’est pas de nature à tenir l’article 48 quater en échec (de même que l’article 20 quinquies de la loi du 3 juillet 1967). La Cour précise que c’est justement vu les difficultés de déterminer l’employeur et l’activité précise exercée et ayant donné lieu à la maladie (ou à l’aggravation de la maladie) professionnelle qu’il y a eu volonté chez le législateur de simplifier les règles en mettant la réparation à charge d’un seul régime.

Elle relève également qu’il n’y a aucune disposition légale prévoyant la prise en charge de la maladie dans le cadre de la loi applicable au secteur (privé ou public) dans lequel le travailleur prestait au moment de l’apparition de la maladie et / ou au moment de la réparation de celle-ci. Le régime applicable est déterminé en fonction de la date de la demande et de la dernière exposition au risque professionnel.

En l’espèce, le travailleur était dans le secteur public et il y a lieu de se référer dès lors à la loi du 3 juillet 1967 qui, pour la totalité de la réparation, sera applicable.

De la même manière, si le travailleur avait été exposé au risque de maladie alors qu’il était en activité dans le secteur privé, ce serait au FMP d’intervenir.

Enfin, sur la discrimination que le CHU vante, étant qu’il devrait intervenir pour une période plus importante que celle de l’occupation dans le secteur public, la Cour retient qu’il ne peut y avoir ici de discrimination, la règle s’appliquant tout aussi bien dans l’hypothèse où ce serait le secteur privé qui serait appelé à réparer. Il n’y a pas de discrimination si la même règle s’applique à des personnes ou des institutions se trouvant confrontées à des situations identiques ou semblables.

La Cour ne tranche cependant pas définitivement, ordonnant une réouverture des débats aux fins d’être mieux éclairée quant au débiteur de la réparation.

Intérêt de la décision

Cette décision rappelle la disposition de l’article 48 quater des lois coordonnées le 3 juin 1970 ainsi que l’article 20 quinquies de la loi du 3 juillet 1967, qui règlent l’hypothèse où une victime d’une maladie professionnelle (de la liste ou dans le système ouvert) peut faire valoir ses droits dans les deux régimes : la loi applicable est celle sous laquelle la vitime a été exposée en dernier lieu au risque professionnel, la référence étant faite à la date de la demande qui donne lieu à la première réparation.

Cette situation peut entrainer l’obligation de réparer plus – ou moins – que ne l’impliquerait la durée de l’occupation du travailleur dans le régime en cause.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be