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Distinction ouvrier / employé : le tribunal du travail de Bruxelles pose une nouvelle question à la Cour constitutionnelle

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 22 avril 2010, R.G. 13.229/08

Mis en ligne le mardi 24 août 2010


Tribunal du travail de Bruxelles, 22 avril 2010, R.G. n° 13.229/08

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 22 avril 2010, le tribunal du travail de Bruxelles renvoie, à titre préjudiciel, une affaire devant la Cour constitutionnelle, sur la constitutionnalité des délais de préavis et l’application du jour de carence pour les ouvriers.

Les faits

Un travailleur est occupé dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, après avoir presté dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs.

Il est licencié par lettre recommandée du 3 avril 2008, avec préavis de 28 jours calendrier à prester.

Le motif du chômage tel que repris sur le document C4 est une « réorganisation ».

La société donnera, avant l’intentement de la procédure, comme explication, le souhait de ne pas poursuivre sa collaboration avec l’intéressé vu son comportement professionnel.

L’objet de la demande

Le demandeur introduit une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles, demandant une indemnité compensatoire de préavis de six mois, une indemnité pour licenciement abusif et des arriérés de rémunération correspondant essentiellement à un jour de carence.

La décision du tribunal du travail

En ce qui concerne le licenciement abusif, le tribunal du travail retient qu’il est amené à vérifier la réalité des faits invoqués et à voir si ces faits sont bien ceux qui ont fondé le licenciement.

La société faisant état d’un manque de motivation, le tribunal va, d’abord, constater que certains griefs (retards) sont anciens et ne permettent pas, pour ce motif, de constituer les motifs réels de licenciement. L’employeur faisant également grief à l’intéressé de ne pas s’être conformé à de nouvelles procédures internes, le tribunal retient, avec le demandeur, que, si des manquements avaient existé, ils auraient dû faire l’objet d’avertissements et qu’un comportement prétendument permanent mais qui n’est pas dénoncé avant le licenciement ne permet pas d’en vérifier la réalité ni à fortiori le lien avec la décision de rupture.

Le tribunal fait dès lors droit à la demande du travailleur et fixe la base de calcul de l’indemnité conformément à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération.

Mais c’est essentiellement sur l’indemnité de préavis complémentaire que le tribunal se penche, l’intéressé ayant demandé le même traitement qu’un travailleur sous statut d’employé, en ce qui concerne le délai de préavis.

Rappelant que c’est au juge qui pose la question préjudicielle d’apprécier si la réponse est utile à la solution du litige, le tribunal considère que l’invalidation de l’article 59 de la loi du 3 juillet 1978 aurait effectivement une conséquence sur l’appréciation du bien-fondé de la prétention du demandeur.

La société rappelle, pour sa part, que la Cour constitutionnelle a déjà été saisie d’une telle question et, pour la première fois, dans une affaire où elle a rendu un arrêt le 8 juillet 1993 (arrêt n° 56/93). Elle y avait considéré que la distinction entre les deux catégories de travailleurs se justifiait, se référant essentiellement à l’objectif de la loi du 3 juillet 1978 et à la construction du système.

Le tribunal relève cependant que la Cour a eu égard dans cet arrêt au « poids de l’histoire », en plus de l’objectif du législateur de 1978, dont il rappelle quand même qu’il a voulu rapprocher de façon progressive les statuts d’ouvrier et d’employé. La Cour a admis dans son arrêt qu’existe une différence de traitement mais tout en pointant le fait qu’il serait injustifié d’instituer celle-ci aujourd’hui sur la base du critère retenu à l’époque.

Le tribunal va dès lors reposer à la Cour la question de savoir si aujourd’hui les articles 59 et 82 de la loi du 3 juillet 1978 violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils fixent un délai différent pour le préavis donné à un ouvrier et un employé ayant l’un et l’autre la même ancienneté, c’est-à-dire si cette distinction se justifie toujours en 2010.

Enfin, se pose également une question relative à l’octroi d’une rémunération pour un jour de carence. Le tribunal rappelle les termes de l’article 52, § 1er, alinéa 2 de la loi du 3 juillet 1978, qui prévoit que lorsque la durée de l’incapacité de travail n’atteint pas 14 jours, le premier jour ouvrable de la période d’incapacité de travail est un jour de carence et n’est, de ce fait, pas rémunéré. La situation de l’employé visé à l’article 70 de la loi est cependant distincte.

Le demandeur ayant vu ici aussi une autre discrimination, le tribunal interroge également la Cour sur la question de savoir si les articles 52, § 1er et 70 de la loi violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, contrairement à l’employé sous contrat à durée indéterminée et dont la période d’essai a pris fin, l’ouvrier, se trouvant dans la même situation contractuelle, se voit compter un jour de carence en cas d’incapacité de travail résultant d’une maladie autre que d’une maladie professionnelle ou d’un accident autre qu’un accident du travail ou qu’un accident survenu sur le chemin du travail, et ce lorsque la durée de l’incapacité n’atteint pas 14 jours.

Intérêt de la décision

Le jugement du tribunal du travail du 22 avril 2010 relance la discussion, sur la question de préavis des employés et ouvriers, interrogeant, la Cour constitutionnelle sur la justification du maintien d’une différence de traitement aujourd’hui. Le débat relatif à la différence de traitement en matière de préavis est complexe et l’arrêt de la Cour est attendu sur cette question, qui a fait l’objet, en plus de son arrêt du 8 juillet 1993, d’un second, rendu en date du 21 janvier 2001 (arrêt 84/2001).

Affaire à suivre donc …


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