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Contrôle du licenciement d’une travailleuse enceinte : critères du licenciement abusif et/ou de la protection de maternité ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 juin 2010, R.G. 2008/AB/51.931

Mis en ligne le vendredi 17 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 17 juin 2010, R.G. n° 2008/AB/51.931

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’un motif de licenciement peut être licite au sens de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 mais contraire à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 sur la protection du licenciement de la travailleuse enceinte.

Les faits

Une ouvrière, couturière, seule salariée d’un magasin, se retrouve en chômage économique pour manque de travail. Un mois après les notifications faites par son employeur, elle transmet à la société un certificat médical attestant qu’elle est enceinte. Elle se représente au travail le surlendemain et, ses employeurs étant absents, elle les appelle aux fins d’obtenir des instructions.

Le couple de patrons se présente au magasin et éclate une dispute, suite à laquelle d’une part l’intéressée se rend à la fois à la police et chez un médecin et d’autre part l’employeur licencie, la lettre de rupture faisant état notamment d’une « crise d’hystérie » de l’intéressée sur place.

La travailleuse réclamera, devant le tribunal du travail, notamment (en sus d’autres sommes) une indemnité de protection prévue à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 et une indemnité de licenciement abusif d’ouvrier.

Position du tribunal

Le tribunal du travail ne fait droit à aucune de ces deux demandes, déclarant cependant fondées celles relatives à d’autres montants dus au titre de rémunération. Il fait droit à une demande reconventionnelle relative à une facture non payée par la travailleuse, celle-ci s’étant engagée à régler ce montant dès qu’elle en aurait la possibilité.

Position des parties devant la Cour du travail

La travailleuse maintient l’ensemble de ses demandes formées devant le premier juge, la société (agissant par la voie d’un curateur vu la faillite intervenue entre-temps) demandant la confirmation pure et simple du jugement, sauf sur un poste mineur.

Position de la Cour du travail

La Cour du travail est saisie essentiellement de la double demande d’indemnité pour licenciement abusif et pour indemnité de protection de maternité.

Sur la première, elle rappelle le mécanisme légal, étant qu’est abusif le licenciement effectué pour des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite de l’ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités de l’entreprise, de l’établissement ou du service. La Cour rappelle les règles en matière de preuve, étant que la preuve de l’existence des motifs invoqués incombe à l’employeur.

Reprenant les éléments du dossier, la Cour constate qu’est avérée une violente dispute, le jour des faits dans le magasin, la gérante ayant haussé le ton et s’étant énervée, ayant fait des menaces (selon l’ouvrière). Ayant par ailleurs été mordue par le chien de la gérante au mollet droit, l’ouvrière finit par avoir une crise de nerfs.

La Cour constate également que la rupture du contrat fut notifiée peu de temps après, avec préavis et que les gérants se rendirent également à la police aux fins de déposer plainte pour coups et blessures. Ils donnèrent une version tout à fait différente de la dispute, faisant grief à l’intéressée d’avoir feint d’être estropiée suite aux morsures du chien, de s’être infligée des griffes à l’aide d’une agrafeuse, etc.

La Cour en déduit que le licenciement présente manifestement un lien avec la conduite de l’ouvrière, même si les parties sont contraires en fait. Il est en effet avéré que l’ouvrière – qui le reconnaît elle-même – a perdu le contrôle d’elle-même et a eu une « crise de nerfs ». La Cour relève également que la gérante portait des hématomes aux deux bras et, en outre, qu’elle présentait une réaction nerveuse à l’agression.

Tout en retenant que la gérante est peut-être également responsable des événements, la Cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle il n’est pas nécessaire que le comportement de l’ouvrier soit fautif pour être un motif licite (arrêts des 22 janvier 1996, J.T.T. 1996, p. 236 ; 6 juin 1994, Pas., 1994, I, p. 562 ; 7 mai 2001, J.T.T., 2001, p. 407). Dès lors qu’il est avéré que le congé notifié présente un lien avec la conduite de l’intéressée, le licenciement ne peut être considéré comme abusif.

Par contre, en vertu de l’article 40 de la loi du 16 mars 1971, l’employeur qui occupe une travailleuse enceinte ne peut faire un acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf pour des motifs étrangers à l’état physique. Il a également la charge de la preuve des motifs.

A défaut de prouver un motif étranger à l’état de grossesse, l’indemnité forfaitaire est due.

La Cour rappelle qu’il ne s’agit pas dans cette hypothèse, de sanctionner le licenciement abusif de la travailleuse enceinte mais bien d’interdire à l’employeur de la licencier, sauf pour des motifs étrangers. Le contrôle judiciaire des motifs s’opère ici d’une manière totalement différente que dans le cadre de l’article 63 : le licenciement d’une ouvrière pour un motif lié à sa conduite peut ne pas être abusif mais par contre être contraire à l’interdiction de licencier contenue à l’article 40 de la loi du 16 mars 1971, s’il n’apparaît pas étranger à l’état de grossesse.

Or, en l’espèce, la chronologie des faits confirme que l’employeur avait été informé de celle-ci et que, lorsque l’ouvrière s’est présentée au travail (alors qu’il n’est pas établi qu’elle s’y soit rendue délibérément un jour de suspension du contrat pour manque de travail), une altercation est intervenue, altercation dont les raisons demeurent obscures. Selon l’intéressée, l’origine de celle-ci est liée à l’annonce de sa grossesse, ce qui n’a pas été valablement démenti. La Cour conclut que l’employeur ne pouvait faire un acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail à partir du moment où il avait été informé de l’état de grossesse. Dans la mesure où il n’établit pas que les événements en cause et le licenciement qui s’en est suivi sont intervenus pour des motifs étrangers à cet état, l’indemnité légale de protection est due.

La Cour considérera encore – sans préciser davantage sa conclusion à cet égard – qu’il n’y a pas lieu d’inclure dans la rémunération de base le pécule et la prime de fin d’année.

Par contre, les intérêts sur l’indemnité sont dus à compter de la date de la rupture, l’indemnité de protection devant être considérée comme une rémunération au sens de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération.

Enfin, sur la demande reconventionnelle - question également intéressante – la Cour acte que le curateur reconnaît l’illégalité du prélèvement qui avait été effectué sur la rémunération de l’intéressée, vu la dette de celle-ci concernant la facture en cause. La société est donc débitrice de ce montant. N’ayant cependant formulé sa demande reconventionnelle que en dehors du délai légal d’un an après la cessation du contrat, elle doit être déboutée, la demande reconventionnelle n’ayant pas bénéficié de l’effet interruptif de la citation introductive d’instance, vu qu’elle n’est pas un simple moyen de défense découlant de celle-ci.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est indéniable, vu que peu d’affaires permettent de préciser l’articulation entre l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et l’article 40 de la loi du 16 mars 1971. La décision de la Cour est ici très nuancée et utile à cet égard. Sans vouloir entrer dans un travail de comparaison entre les deux textes, rappelons à propos de l’article 40 qu’il permet en principe un contrôle du motif de licenciement avant l’intentement de la procédure judiciaire puisqu’il prévoit que, à la demande de la travailleuse, l’employeur doit lui en donner connaissance par écrit. Ce motif liera donc l’employeur, contrairement aux motifs pouvant être invoqués dans le cadre de l’article 63. Enfin, il n’est pas inutile de souligner que l’article 63 dispose expressément que le cumul entre les deux indemnités n’est pas autorisé.


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