Terralaboris asbl

Représentant de commerce : qualité et droit à l’indemnité d’éviction

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 juin 2010, R.G. 2009/AB/51.951

Mis en ligne le vendredi 17 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 23 juin 2010, R.G. n° 2009/AB/51.951

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 23 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’évolution de la notion de représentation commerciale ainsi que les conditions de débition de l’indemnité d’éviction.

Les faits

Un employé est engagé en 2004 en tant que délégué commercial chargé de démarcher des clients et de visiter ceux déjà acquis à la société afin de proposer la commande de produits. Il s’agit d’une activité de commerce de vente en gros et en détail de spécialités italiennes.

Le délégué est licencié un peu plus de deux ans plus tard, pour motif grave, des actes de concurrence déloyale lui étant reprochés.

Il introduit une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles.

Le litige porte sur la contestation du motif grave, la qualité de représentant de commerce permettant l’obtention d’une indemnité d’éviction, ainsi que sur une indemnité pour abus de droit.

Position du tribunal

L’employé obtient en très grande partie gain de cause, le motif grave étant rejeté et la qualité de représentant de commerce lui ayant été reconnue, après qu’un apport suffisant de clientèle a été constaté, la société ne démontrant pas l’absence de préjudice. Le tribunal rejette cependant l’indemnité pour abus de droit.

La société interjette appel du jugement et l’employé introduit un appel incident.

Position de la Cour du travail

La Cour du travail examine, dans un premier temps, la question de l’exercice d’une activité concurrente, invoquée par l’employeur comme à la base du motif grave. La Cour ne tranche pas définitivement celle-ci, autorisant des enquêtes.

Cependant, sur la notion de représentation commerciale et sur le droit à l’indemnité d’éviction, elle se prononce définitivement.

Elle commence par rappeler que le statut de représentant de commerce n’est applicable qu’à l’employé qui exerce ses fonctions de représentant en ordre principal et de manière continue, la notion de représentation commerciale devant cependant faire l’objet d’une interprétation restrictive. Ainsi, n’est pas chargé essentiellement de négocier des affaires l’employé qui est chargé de trouver des clients et d’assurer le suivi des projets, non plus qu’un responsable de vente. Le représentant doit en effet être distingué d’un vendeur.

La définition de la représentation commerciale a cependant évolué, doctrine et jurisprudence admettant également, de manière générale, que la définition doit comprendre non seulement la prospection et/ou la visite de la clientèle mais également la négociation d’affaires avec celle-ci. La prospection étant une action de départ et la visite une action de continuité, l’exercice de l’une et de l’autre justifient la qualification de représentation commerciale. La Cour souligne cependant qu’il faut en sus pouvoir conclure des affaires et que l’employé que ne dispose pas de ce pouvoir, ou à tout le moins de celui de négocier, n’est pas un représentant de commerce. Négocier implique de faire des démarches, des discussions et des pourparlers en vue d’arriver à un accord. Il s’agit d’actes matériels et juridiques.

Pour la Cour, est un représentant celui qui visite et prospecte des clients pour leur présenter un produit même si ceux-ci ne passent pas commande à l’occasion de cette démarche mais que, par la suite, ils sont invités à le faire directement auprès de la société employeur (mais non s’il s’agit d’une société intermédiaire). C’est le but de l’activité et non son résultat qui est en cause.

La Cour donne encore quelques exemples, étant un chauffeur-livreur qui peut se révéler être en réalité un représentant de commerce s’il exerce les missions ci-dessus ; par contre, le promoteur de vente qui ne conclut pas des affaires, l’employé qui visite des agences de voyage qui, à titre d’intermédiaire, vendent des assurances d’assistance voyage aux souscripteurs, les « merchandisers » qui réapprovisionnent les magasins et veillent que les produits soient mis en valeur, etc. n’ont pas le statut de représentant à défaut de conclusion d’affaires.

En l’espèce, la Cour constate que l’intéressé démarchait des clients nouveaux, visitait les anciens clients pour leur proposer de commander des produits et, de ceci, elle conclut que le critère n’est pas la qualification donnée au contrat (délégué commercial) mais la fonction exercée. En l’espèce, étant chargé de prospecter et de prendre des commandes, l’intéressé avait bien la qualité de représentant.

En ce qui concerne l’indemnité d’éviction, après avoir rappelé l’article 101 de la loi du 3 juillet 1978, la Cour se penche sur l’apport de clientèle, apport qui doit être établi, si le contrat ne contient pas de clause de non-concurrence, qui constituerait une présomption d’un tel apport.

L’employé a dès lors la charge de la preuve de cet apport et, pour apprécier celui-ci, la Cour rappelle qu’il y a lieu d’opérer une comparaison entre la consistance de la clientèle à la date de prise de fonction et à celle de fin du contrat. Il ne faut cependant pas tenir compte de premiers contacts n’ayant pas encore abouti au moment où le contrat prend fin.

La notion de clientèle mérite également quelque attention puisque l’on entend par clients à la fois ceux découverts par le travail de démarchage et ceux fournis par l’entreprise suite à des opérations de publicité, activités promotionnelles, etc. Peu importe que les clients aient été apportés suite à l’activité du représentant. Le critère est que celui-ci ait conclu une affaire. En outre, il faut que la clientèle puisse être fidélisée.

La Cour rappelle ensuite qu’un apport n’est pas retenu si la clientèle est insignifiante. Elle nuance cependant cette considération relevant qu’il n’est pas exigé qu’elle soit importante. Tout va dès lors être une question d’appréciation de l’apport, examen dans lequel vont intervenir divers critères : durée de l’occupation du représentant, nature du produit, nombre potentiel d’acheteurs, longueur du processus de vente, comparaison avec les chiffres d’affaires des autres représentants, etc.

Enfin, il faut tenir compte de l’exigence d’un préjudice, l’employeur qui souhaite être exonéré de son obligation de payer l’indemnité d’éviction pouvant établir l’absence de préjudice dans le chef de l’employé, qui n’aurait pas perdu la clientèle suite au licenciement. Pour établir celle-ci, l’employeur doit prouver que la clientèle a suivi le représentant, qui serait passé la concurrence, etc.

Pour toutes ces questions, la Cour du travail donne moultes décisions de jurisprudence en illustration des règles appliquées.

En ce qui concerne les espèces tranchées, tout en rappelant que ? si le motif grave était retenu, l’indemnité d’éviction ne serait pas due, la Cour retient néanmoins que sous cette réserve il y aurait lieu de l’allouer, l’employé établissant par une liste (forcément unilatérale) l’apport en cause et la société n’établissant pas l’absence de préjudice. Sur cette deuxième question, l’employé expose qu’il n’a pas retrouvé de travail pendant quinze mois après le licenciement. Il était associé d’une sprl depuis plusieurs années, société qui n’avait pas pour objet l’import-export de produits alimentaires mais était tournée vers l’événementiel.

Ce n’est qu’environ trois ans après le licenciement que celle-ci a ajouté entre autres à son objet social la vente en gros et en détail de l’import-export dans l’alimentation et le vin, notamment dans le secteur de l’horeca. La Cour va en conclure que pendant la période qui a suivi immédiatement le licenciement, l’employé n’a pu valoriser la clientèle apportée et, en conséquence, en principe,l’indemnité serait due.

Intérêt de la décision

Cette décision foisonne de références jurisprudentielles sur chacune des questions abordées. Elle est dès lors particulièrement précieuse pour le praticien qui est confronté à la problématique de la représentation commerciale. L’affaire devra connaître une suite, puisque la Cour a ordonné des enquêtes sur l’existence d’actes éventuels de concurrence déloyale.


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