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Modification unilatérale de la fonction et pouvoirs du juge statuant au provisoire

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 15 juin 2010, R.G. 18.615/2009

Mis en ligne le mardi 21 septembre 2010


Tribunal du travail de Bruxelles, 15 juin 2010, R.G. 18.615/2009

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un jugement du 15 juin 2010, le Tribunal du travail de Bruxelles est saisi d’une demande en application de l’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire, dans le cadre d’une procédure de résolution judiciaire, qui vise également à ce qu’il soit fait interdiction à l’employeur d’occuper la travailleuse à une fonction autre que celle exercée avant la modification. Le Tribunal accueille la demande de mesures urgentes et provisoires, ordonnant à la société de poursuivre l’occupation selon certaines modalités.

Les faits

Madame K. a été engagée début des années 80 en qualité d’ouvrière. Depuis début 2008, elle preste comme employée.

Elle connaît une période d’incapacité fin 2009, au cours de laquelle l’employeur lui notifie sa décision de mettre fin au contrat moyennant la prestation d’un préavis de 18 mois. Un litige est toujours en cours entre les parties concernant la réalité de l’incapacité de travail.

Dans le cadre de l’exécution du préavis, la travailleuse se plaint d’une modification unilatérale de ses fonctions. La contestation porte sur le caractère principalement intellectuel ou manuel des fonctions exercées avant ladite modification.

Elle introduit en conséquence une procédure judiciaire en vue de faire constater la résolution judiciaire du contrat de travail, moyennant dommages et intérêts. Dans le cadre de son action, elle vise par ailleurs l’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire, sollicitant que le Tribunal fasse interdiction à la société de la faire travailler dans une fonction autre que celle de chef de production. A titre subsidiaire, elle demande que le Tribunal ordonne la suspension du contrat de travail, jusqu’à ce qu’une décision définitive puisse être rendue sur la demande de résolution judiciaire. Cette dernière demande a été in fine abandonnée dans le cadre de la procédure.

La position du Tribunal

Le Tribunal est donc appelé à statuer sur les pouvoirs du juge dans le cadre des mesures provisoires qu’il peut prendre sur pied de l’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire.

Sur le plan des principes, et après avoir rappelé les thèses doctrinales en présence, le Tribunal estime qu’afin d’éviter de rendre un jugement définitif, il n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de la demande principale et, dès lors, ne peut procéder à un examen approfondi des éléments juridiques et factuels du dossier, l’examen de ceux-ci restant sommaire. Il considère que les droits dont la protection est demandée via la mesure provisoire doivent être suffisamment probables, et ce prima facie. La mesure décidée ne peut par ailleurs porter définitivement atteinte aux droits des parties, et ce eu égard au caractère provisoire de la mesure.

En ce qui concerne les droits invoqués par la travailleuse, le Tribunal relève que celle-ci se fonde sur l’article 20, 1° de la loi du 3 juillet 1978 (qui consacre l’obligation pour l’employeur de faire travailler dans les conditions convenues) ainsi que sur l’article 1134 du Code civil, contenant le principe d’exécution de bonne foi des conventions.

Le Tribunal en conclut dès lors qu’il y a lieu d’examiner, prima facie, les conditions de travail convenues, qui s’imposent à l’employeur, étant entendu que les tâches liées à la fonction peuvent faire l’objet d’un certain aménagement de la part de celui-ci, tandis que la nature de la fonction et le niveau de responsabilité du travailleur doivent en tout état de cause être maintenus.

Le Tribunal relève par ailleurs, quant à l’objection de l’employeur selon laquelle la mesure provisoire porterait atteinte au fond du litige, que tel n’est pas le cas, dès lors que le juge appelé à se prononcer sur la résolution judiciaire aura, nonobstant les mesures provisoires décidées, la possibilité de trancher librement quant à l’existence d’une faute et de sa gravité, telle qu’invoquée par la travailleuse.

Ayant répondu à cet argument, le Tribunal examine ensuite, d’une manière sommaire, les éléments du dossier permettant d’appréhender la fonction. Il en retient que celles-ci étaient principalement intellectuelles et non manuelles, et ce au travers de divers éléments de l’espèce (avenant au contrat de travail consacrant le statut d’employée, fiches de paie et classification professionnelle sectorielle, disposition d’un bureau et d’une ligne fixe personnelle à l’inverse des ouvriers de la chaîne de production, personne de contact pour les occupations intérimaires, fonction de supervision,…).

Le Tribunal retient donc une fonction d’ordre principalement intellectuel en rapport avec l’organisation, la supervision et le contrôle de la production, ce qui n’exclut pas quelques tâches manuelles à la chaîne elle-même. Le Tribunal refuse cependant de reconnaître la fonction « chef de production », et ce toujours dans le cadre de l’examen sommaire des droits.

Dans le cadre de la mesure provisoire sollicitée, le Tribunal fait donc injonction à l’employeur de conserver la fonction, telle que décrite, quoiqu’il reste libre de déterminer le détail des tâches et les modalités d’exécution tout en respectant les caractéristiques essentielles de la fonction.

Enfin, sur la demande de mesure d’instruction formulée à titre subsidiaire, le Tribunal estime qu’il est trop tôt pour y faire droit, la demande étant étroitement liée au fond, notamment quant au libellé des faits à prouver.

Intérêt de la décision

Cette décision présente un intérêt évident. Elle s’inscrit en effet dans le cadre d’une procédure en résolution judiciaire, initiée par la travailleuse, au motif d’une modification importante de la fonction exercée. L’on sait que, dans le cadre de la procédure en résolution, le contrat de travail se poursuit pendant la durée de la procédure, laquelle peut être assez longue. Se pose dès lors la question des conditions dans lesquelles la poursuite du contrat de travail pourra être effectuée, pendant ladite procédure.

La décision confirme que des mesures urgentes et provisoires, sur la base de l’article 19, alinéa 2, C.J., peuvent être demandées, pour autant que l’examen sommaire et prima facie des éléments du dossier permette au Tribunal de rendre une décision provisoire quant à ce.

Notons par ailleurs que le Tribunal avait rendu une première décision, par jugement du 6 mai 2010, par lequel il avait admis que la procédure des débats succincts peut trouver à s’appliquer. La combinaison des deux décisions ouvre donc une voie pour l’aménagement d’une situation d’attente dans le cadre de la prestation d’un contrat pendant la durée d’une procédure en résolution judiciaire.


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