Terralaboris asbl

Contrôle de la recherche active d’emploi : « approche contractuelle », principe d’exécution de bonne foi et respect du principe d’égalité

Commentaire de C. trav. Mons, 3 février 2010, R.G. 21.341

Mis en ligne le lundi 27 septembre 2010


Cour du travail de Mons, 3 février 2010, R.G. n° 21.341

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 3 février 2010, la Cour du travail de Mons, appelée à se prononcer sur une décision de réduction d’allocations de chômage en raison du non-respect du contrat, confirme l’approche contractuelle préconisée par la Cour de cassation, tout en y appliquant le principe d’exécution de bonne foi des conventions. Celui-ci n’ayant pas été respecté par le chômeur, la Cour se penche ensuite sur la constitutionnalité de la sanction, vu notamment l’absence de prise en considération des données concrètes de l’espèce (contrat partiellement et non totalement inexécuté). Diverses questions sur ces points sont posées aux parties, dans le cadre d’une réouverture des débats.

Les faits

Madame D., née en 1977 et vivant seule avec deux enfants à charge, est bénéficiaire d’allocations de chômage depuis 2000. Elle dispose d’un diplôme d’études secondaires professionnelles ainsi que d’une qualification en habillement. Elle fait l’objet d’un premier contrôle quant à sa recherche active d’emploi en décembre 2005. Vu qu’elle prouve qu’elle cherche activement du travail, l’entretien conclut à l’existence d’efforts suffisants pour s’insérer sur le marché de l’emploi.

Elle est reconvoquée, à l’issue de la période de seize mois, pour un nouvel entretien en date du 29 mai 2007, portant sur les efforts faits pendant la période du 29 mai 2006 au 28 mai 2007.

Alors qu’elle se présente avec un C.V., des annonces, une lettre de postulation type, un document d’inscription à l’ORBEm, qu’elle précise être inscrite dans trois agences d’intérim et qu’elle a été en incapacité de travail du 13 septembre 2006 au 26 février 2007, l’agent de l’ONEm estime que les efforts fournis ne sont pas suffisants. Elle est dès lors invitée à signer un premier contrat, incluant notamment l’obligation de (1) suivre les annonces et répondre à deux offres d’emploi par mois et (2) faire une candidature spontanée par mois.

Elle est par ailleurs vue, à la suite de l’entretien, par le médecin de l’ONEm, qui conclut à une inaptitude temporaire légèrement réduite de 1 à 10%, du 1er septembre 2007 jusqu’à tout le moins le 20 septembre 2008.

Le deuxième entretien a lieu le 30 octobre 2007. Il apparaît, quant aux deux engagements susmentionnés, que l’intéressée n’a pas respecté formellement la fréquence, n’ayant pas posé d’acte en juin 2007 suite à l’hospitalisation de son enfant mais ayant in fine posé plus d’actes de candidature au total que ce qui était demandé.

Malgré les éléments complémentaires apportés non visés par le contrat (inscription auprès d’agences d’intérim, d’une société, demande de documentation quant à une formation, …) le contrat est considéré comme non respecté. La décision est reportée et l’intéressée est reconvoquée pour le 3 décembre 2007. Elle s’explique à cette occasion sur l’absence de recherches en juin, du fait de la maladie de l’enfant et ajoute des éléments complémentaires (suivi d’une session d’orientation professionnelle du 30 novembre au 6 décembre 2007).

L’évaluation négative est confirmée lors de cet entretien, du fait qu’elle n’a pas respecté la fréquence prévue dans le premier contrat.

À cette suite, le directeur du bureau de chômage décide de réduire le montant des allocations, du fait du non-respect dudit contrat.

Madame D. introduit un recours après du tribunal du travail.

La position du tribunal

Le tribunal constate que le seul manquement est relatif à la fréquence des démarches imposées quant aux réponses aux offres d’emploi et aux candidatures spontanées. Le tribunal relève cependant qu’il était demandé 15 démarches étalées sur 5 mois, tandis que Madame D. avait effectué 26 démarches sur 4 mois.

Constatant par ailleurs que Madame D. s’est montrée active pendant toute la période, posant des démarches supplémentaires et ayant d’ailleurs trouvé un emploi à partir de janvier 2008, le tribunal estime que le recours doit être accueilli. Il annule ainsi la décision administrative.

La position des parties devant la Cour

L’ONEm a interjeté appel du jugement. Outre des critiques sur le jugement quant au caractère réellement actif de la recherche d’emploi de Madame D., l’ONEm se fonde sur l’arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2008, faisant grief au premier juge d’avoir outrepassé les pouvoirs de contrôle tels que fixés par cet arrêt (absence de contrôle en opportunité).

Madame D. sollicite quant à elle la confirmation du jugement dont appel, réaffirmant les efforts de recherche active d’emploi et estimant avoir agi avec loyauté et bonne foi dans l’exécution du contrat.

La position de la Cour

Sur le plan des principes, la Cour du travail de Mons, après avoir rappelé les dispositions légales applicables et le contexte dans lequel la réglementation a été adoptée, part de l’arrêt du 9 juin 2008 de la Cour de cassation, faisant du contrat signé dans le cadre de la procédure de contrôle la loi des parties. La Cour rappelle dès lors que les juridictions du travail ne peuvent remettre en cause le caractère adéquat ou adapté des engagements souscrits, leur tâche se limitant à la vérification de la conformité matérielle aux dispositions du contrat.

La Cour rappelle par ailleurs un arrêt qu’elle a rendu en date du 11 décembre 2008 (R.G. 20.623), qui rappelait le principe d’exécution de bonne foi des conventions, qui implique la vérification des termes du contrat en tenant compte des obligations découlant de ce principe, à savoir les obligations de loyauté, de pondération et de collaboration, obligations d’ailleurs reprises dans le vade-mecum des facilitateurs.

La Cour précise en conséquence examiner le respect des troisième et quatrième engagements litigieux au regard de ces principes.

La Cour vérifie dès lors concrètement ce qu’il en est et constate que, en ce qui concerne la réponse aux offres d’emploi, il n’y en a pas eu pour juin et juillet 2007 (mais plus que nécessaire les autres mois) et, en ce qui concerne les candidatures spontanées, une absence pour juin et septembre (avec également augmentation du nombre sur les autres mois).

La fréquence n’ayant pas été respectée, la Cour estime qu’il y a non-respect des engagements, relevant par ailleurs que l’envoi des candidatures spontanées, manquant en juin et septembre 2007, ont été réactivées après la réception de la convocation au deuxième entretien.

La Cour considère dès lors qu’il n’y a pas eu exécution du contrat de bonne foi, dès lors que l’intéressée n’a pas respecté le principe même de la réglementation, qui impose un effort continu de recherche d’emploi. Elle considère également que l’appréciation globale préconisée par Madame D. est contraire au principe d’exécution de bonne foi de la convention.

La Cour réforme dès lors le jugement en ce que celui-ci avait considéré l’évaluation négative non justifiée.

La Cour se prononce ensuite sur la sanction.

Elle précise que, si l’on doit suivre « l’approche contractuelle » préconisée par la Cour de cassation, il y a lieu d’en tirer l’ensemble des conséquences, soit notamment d’appliquer l’article 1231 du Code civil (réglementant la clause pénale et permettant au juge de la réduire, notamment lorsque l’obligation principale a été exécutée en partie).

En l’espèce, la Cour constate que la réglementation fixe une sanction indépendamment de toute considération d’espèce alors même que, selon le principe constitutionnel d’égalité, des personnes dans des situations différentes ne peuvent être traitées d’une manière similaire.

La Cour s’interroge par ailleurs sur la conformité au principe d’égalité de la similarité de la sanction, que le contrat n’ait pas du tout été respecté ou qu’il n’ait été respecté que partiellement.

Elle rouvre en conséquence les débats afin d’en assurer le caractère contradictoire de ceux-ci sur les points soulevés d’office, à savoir la nature de la sanction prévue par la réglementation, l’adéquation ou la disproportion entre la situation individuelle de l’intéressée et la durée de la réduction de ses allocations ainsi encore que la conformité au principe constitutionnel d’égalité de la sanction, en ce qu’elle est identique pour ceux qui exécutent partiellement ou qui n’exécutent pas du tout le contrat.

Dans l’hypothèse où il y aurait disproportion dans la durée de la réduction du taux, la Cour invite encore les deux parties à s’expliquer d’une part sur les conséquences qu’il convient d’en tirer, à savoir l’annulation ou l’adaptation de la réduction et de l’autre, en cas d’annulation, sur la question de savoir si la Cour a un pouvoir de substitution lui permettant de prendre une nouvelle sanction, adaptée aux circonstances.

Intérêt de la décision

L’on peut constater au travers de cet arrêt que la Cour du travail de Mons suit « l’approche contractuelle » découlant de l’arrêt de la Cour de cassation cité et limitant dès lors son examen au respect des engagements contenus dans le contrat et non à leur adéquation par rapport au profil de l’intéressée. Un contrôle judiciaire plus pointu n’est cependant pas absent, puisqu’au regard de l’application du principe d’exécution de bonne foi des conventions et des différents devoirs en découlant pour les parties, la Cour peut encore être amenée à exercer son pouvoir d’appréciation quant au respect du contrat (dans le cas d’espèce, cela n’a rien changé pour l’intéressée).

Enfin, l’approche contractuelle est poussée jusqu’à son extrême, dans l’appréciation des sanctions elles-mêmes.

Si l’on ne peut que regretter la position adoptée par la Cour de cassation, qui ôte en définitive aux juridictions du travail tout pouvoir d’appréciation quant à l’adéquation des contrats au profil des chômeurs ou aux circonstances de l’espèce, l’on ne peut que se réjouir de voir les magistrats faire preuve d’inventivité pour rétablir une certaine égalité des parties.

En l’espèce, reste donc en suspens la décision finale à prendre sur la question de la sanction. Il est intéressant de noter que l’arrêt concerne une travailleuse bénéficiant d’allocations de chômage au taux « ménage », soit la catégorie où les indemnités sont non supprimées mais réduites.

Affaire à suivre donc.


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