Terralaboris asbl

Emploi subsidié : le licenciement intervenant au motif de la fin de la subvention est-il licite ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 juin 2010, R.G. 2008/AB/51.406

Mis en ligne le vendredi 1er octobre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 21 juin 2010, R.G. n° 2008/AB/51.406

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles relatives à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 en matière de coût du travail et de nécessités de fonctionnement de l’entreprise.

Les faits

Un ouvrier est engagé en 2002 comme ouvrier auxiliaire de cuisine avec contrat de travail à durée indéterminée, et ce dans le cadre d’un plan Activa. L’emploi est ainsi subsidié du fait de la réduction des cotisations patronales et de l’intervention mensuelle de l’ONEm dans le salaire net (+/- 450€). Trois ans plus tard, le licenciement de l’ouvrier intervient, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 35 jours de rémunération. Le document de chômage C4 indique comme motif : ″fin de contrat plan Activa″.

L’intéressé fait intervenir son organisation syndicale, qui demande une indemnité pour licenciement abusif de six mois conformément au prescrit de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Position du tribunal

Par jugement du 26 juin 2008, le tribunal du travail de Nivelles condamne l’employeur, à l’indemnité ainsi qu’aux intérêts légaux depuis la date du licenciement et des intérêts judiciaires. Il considère que l’employeur n’apporte pas la preuve que le licenciement est justifié par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Les documents déposés par l’employeur à cet égard ne sont pas pertinents, le tribunal estimant que la réalité des nécessités invoquées devait être établie par les bilans, les comptes de résultats, etc.

Position des parties devant la Cour

L’employeur fait grief au jugement d’avoir statué l’ultra petita, au motif que l’argumentation du travailleur devant le tribunal, dans sa citation introductive d’instance, ne portait pas sur la contestation de la réalité des nécessités économiques mais sur le point spécifique du licenciement intervenu du fait de la suppression d’une aide publique. Il fait également valoir que le coût salarial d’un travailleur peut constituer un critère valable de licenciement, l’employeur étant le seul à pouvoir apprécier les impératifs économiques de l’entreprise : en l’espèce, il s’agit d’une entreprise de petite taille occupant cinq personnes dont son fils et lui-même et les nécessités d’une saine gestion impliquent, pour lui, de pouvoir anticiper les problèmes économiques susceptibles de surgir. Il conteste devoir maintenir en service un travailleur engagé dans le cadre d’un plan Activa au-delà de la période couverte par le plan. Ceci signifierait pour lui que les motifs de licenciement seraient restreints à ceux liés à l’aptitude ou à la conduite du travailleur.

Quant à l’ouvrier, il demande la confirmation du jugement, soutenant d’une part une contestation en ce qui concerne la réalité des nécessités de fonctionnement de l’entreprise et d’autre part l’illicéité du licenciement intervenant au seul motif de la suppression de l’aide publique.

Position de la Cour

La Cour commence par rappeler le mécanisme de l’article 63. En ce qui concerne le premier argument de l’employeur, la Cour constate que l’acte introductif visait bien à examiner, conformément aux critères de cette disposition, si le licenciement était justifié par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise. La Cour voit d’ailleurs confirmation de ce fait dans un document que l’employeur avait adressé lui-même après la rupture. Elle en déduit que, de l’aveu de ce dernier, le licenciement ne reposait dès lors nullement sur son attitude ou sur sa conduite.

La Cour en vient alors à la preuve des nécessités qu’elle devrait examiner et constate que les documents demandés par le premier juge ne sont toujours pas produits en appel et que de ce fait l’argument essentiel, étant la baisse du chiffre d’affaires d’environ 12% ne peut être retenu. Or, selon la Cour, une telle information pourrait ressortir aisément des déclarations TVA, des documents comptables de l’entreprise ainsi que des comptes de résultats. Le refus de déposer ces documents est compris, par la Cour, comme un aveu de l’inexistence de cette baisse du chiffre d’affaires.

La Cour déplore également que les documents qui lui sont soumis n’ont pas de valeur probante suffisante : ainsi un extrait du registre du personnel, un document manuscrit qui reprend la liste des établissements ne faisant plus partie de la clientèle de l’employeur, un extrait du livre de validation pour le chômage économique, des documents divers portant sur la faillite de certaines sociétés, etc. Ces éléments sont jugés insuffisants pour établir les nécessités de fonctionnement.

A partir des informations, la Cour constate néanmoins que, en tout cas, la perte d’un client bien déterminé, si elle est avérée, n’a pas l’impact qui lui est donné.

La Cour termine en rappelant deux principes :

  • La notion de nécessité de fonctionnement de l’entreprise ne se confond pas avec l’intérêt ou les bénéfices de l’exploitant. La Cour précise que le seul fait que le licenciement d’un ouvrier déterminé est bénéfique pour l’entreprise parce qu’il peut être remplacé par un ouvrier avec un coût salarial inférieur ne constitue pas une telle nécessité de fonctionnement et est en règle considéré comme abusif au sens de l’article 63. La Cour reprend les travaux parlementaires (Doc. Parl., Ch. 1968-1969, Rapport de la commission, n° 270/7, 117) et rappelle le tempérament à cette règle, étant la possibilité pour l’employeur de démontrer que le coût salarial du personnel (ou de certains membres de celui-ci) risque de mettre en cause la compétitivité de l’entreprise, voire sa survie.
  • Par ailleurs, le fait de licencier un ouvrier engagé dans le cadre d’un plan (en l’occurrence plan Activa) offrant une intervention publique dans le coût salarial, au seul motif de la fin de cette intervention est abusif, en l’absence de tous autres motifs.

Intérêt de la décision

L’arrêt commenté reprend les principes applicables dans une problématique délicate, étant celle du coût salarial de certains travailleurs et son impact sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Le principe, comme la Cour le relève, étant en l’occurrence que l’intérêt de l’entreprise ne se confond pas avec celui de l’exploitant et que le motif du remplacement du travailleur par un autre plus jeune, au coût salarial moins élevé, ne rencontre pas une nécessité de fonctionnement de l’entreprise. L’arrêt tranche également la question du licenciement pour un autre motif, qui ne peut davantage être retenu comme constituant de telles nécessités, étant la fin de l’intervention d’une aide publique dans le coût salarial. Cette intervention a en effet comme but de replacer des travailleurs dans le marché du travail et non de fournir des emplois au rabais, permettant de les licencier, sans plus, dès la fin de l’intervention et éventuellement de les remplacer par d’autres permettant l’octroi des mêmes aides ou d’aides similaires. Ce procédé n’est pas licite, au sens de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail et donne lieu au paiement d’une indemnité pour licenciement abusif.


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