Terralaboris asbl

Conditions du droit à l’indemnité de rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er mars 2010, R.G. 2008/AB/51.245

Mis en ligne le jeudi 28 octobre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 1er mars 2010, R.G. n° 2008/AB/51.245

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 1er mars 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations fixées par la Directive 2001/23 en cas de transfert d’entreprise.

Les faits

Une ouvrière entre en service d’une société de restauration en qualité d’aide-cuisinière, par contrat signé le 5 juin1998 (à temps partiel). Son temps de travail sera progressivement augmenté et à partir du 1er mars 2001 elle preste à temps plein.

L’employeur assure un service de catering dans le restaurant d’entreprise d’une importante société de la région bruxelloise.

Dans le courant du deuxième semestre 2004, la société déménage et confie l’exploitation de son restaurant d’entreprise à une autre société. Les activités de la société employeur de la travailleuse prennent fin le 30 juin 2004. L’intéressée reçoit un document C4 sur lequel il est mentionné que son occupation a pris fin à cette date et que le motif du chômage est « reprise société ».

L’intéressée introduit une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles.

Procédure devant le tribunal

L’ouvrière demande paiement de diverses sommes : une indemnité de rupture du contrat, une indemnité due au non-respect d’une convention collective de secteur (CP 302) égale à six mois de rémunération, une indemnité pour licenciement abusif et des dommages et intérêts provisionnels de 1.000€ vu le non-respect des dispositions de la CCT 32bis. Cette demande est dirigée vers la société cessionnaire. A titre subsidiaire, elle demande condamnation de son employeur (cédant) à une indemnité de rupture de contrat et à une indemnité pour licenciement abusif.

La contestation essentielle va porter sur l’existence ou non d’un transfert d’entreprise.

Par jugement du 21 décembre 2007, le tribunal du travail admet celui-ci et déclare la demande recevable mais partiellement fondée et condamne la société cessionnaire au paiement de l’indemnité de rupture et de l’indemnité pour licenciement abusif, montants à majorer des intérêts légaux et judicaires sur le net. La demande dirigée contre le cédant est déclarée non fondée.

Position des parties devant la Cour du travail

La société cessionnaire, condamnée au paiement des sommes ci-dessus interjette appel du jugement et demande la réformation de celui-ci. En ordre subsidiaire, elle demande que soit posée une question à la Cour de justice des Communautés Européennes.

La travailleuse introduit un appel incident dans lequel elle demande qu’il soit fait droit à la totalité de sa demande, qui n’a été accueillie que partiellement par le tribunal. Elle reformule en conséquence ses chefs de demande comme elle l’avait fait devant le premier juge.

La position de la Cour

La Cour commence par rappeler que la position des parties a considérablement évolué au cours de la procédure, puisque devant elle il n’est plus contesté qu’il y ait un transfert d’entreprise au sens de la convention collective de travail 32bis conclue au sein du Conseil National du travail le 7 juin 1985. Pour la Cour il y a dès lors lieu d’examiner les conséquences de ce transfert en l’espèce.

L’article 7 de la convention collective de travail dispose que les droits et obligations qui résultent pour le cédant de contrats de travail existant à la date du transfert au sens de la convention collective sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire. Pour la Cour, il en découle deux conséquences importantes.

Tout d’abord, ceci signifie que les contrats de travail sont transférés du cédant au cessionnaire. Ce transfert des contrats de travail existant au moment du transfert a pour conséquence que les travailleurs entrent automatiquement au service du cessionnaire. Les contrats de travail qui existent au moment du transfert d’entreprise passent donc de plein droit au cessionnaire, et ce nonobstant le refus de ce dernier d’exécuter ses obligations (la Cour rappelant la jurisprudence de la Cour de justice dans l’affaire Rotsart de Hertaing – arrêt du 14 novembre 1996 n° 365/94, J.T.T., 41996, p. 496 ainsi que diverses décisions de cours du travail).

Par ailleurs, une deuxième conséquence est que le transfert libère le cédant des droits qu’avaient les travailleurs à son égard au moment du transfert de l’entreprise ou de la partie d’entreprise qui a été cédée. L’article 3, § 1er de la Directive 77/187 du 14 février 1977 (actuellement 2001/23 du 12 mars 2001) doit être interprété en ce sens qu’à la date du transfert le cédant est en principe libéré des obligations découlant des contrats de travail par le fait du transfert lui-même. Il n’est tenu que des dettes qui existent au moment du transfert et pas de celles qui surviendront après celui-ci.

En l’espèce, la Cour constate donc que le cessionnaire est devenu du fait du transfert l’employeur de l’ouvrière et que, par le même fait, le cédant a perdu la qualité d’employeur de cette dernière. Par ailleurs, le cédant n’est tenu de payer les dettes qu’à concurrence de celles qui existaient au moment du transfert.

Quant au cessionnaire, qui conteste devoir une indemnité de rupture et une indemnité pour licenciement abusif au motif que l’ouvrière n’aurait pas été licenciée par lui, il est exact les dispositions de la Directive 2001/23 et de la convention collective de travail 32bis ne valent que pour les travailleurs de l’entreprise transférée ou de la partie d’entreprise transférée. C’est à tort, en l’occurrence, que le cessionnaire fait grief à l’intéressée de ne pas apporter la preuve qu’elle aurait appartenu à la partie de l’entreprise transférée. Il ressort en effet des éléments de fait (fiche de travailleur, document C4, etc.) que tel est bien le cas.

Cependant, l’article 39, § 1er, alinéa 1 de la loi du 3 juillet 1978, qui prévoit le paiement d’une indemnité de rupture en cas de fin d’un contrat de travail à durée indéterminée, sans motif grave et sans prestation de préavis et l’article 63, qui règle les conditions de débition de l’indemnité pour licenciement abusif supposent tous deux que l’employeur ait mis un terme au contrat de travail.

Reprenant par ailleurs les exigences de preuve dans le chef d’un demandeur en justice, la Cour conclut qu’il appartient au travailleur qui demande le paiement d’une indemnité d’établir que l’employeur a mis un terme au contrat de travail. La Cour considère en l’espèce que l’intéressée n’apporte par une telle preuve et particulièrement qu’elle ne s’est pas présentée chez le cessionnaire pour exécuter le contrat de travail qui avait été transféré.

La Cour rappelle enfin que la protection de la Directive ne vaut pas lorsque l’intéressé après le transfert ne poursuit pas l’exécution de son activité professionnelle pour compte du cessionnaire (arrêt Foreningen af Arbejdsledere i Danmark du 11 juillet 1985, n° 105/84, Jur. 1985, 2639). Il en résulte que, une telle preuve n’étant pas apportée, les indemnités ne sont pas dues.

Par ailleurs, la demande est également déclarée non-fondée en ce qu’elle vise le cédant, celui-ci n’étant tenu que des dettes existant au moment du transfert et non de celles survenant après celui-ci.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations des parties en cas de transfert d’entreprise et, en tout état de cause, il insiste sur l’exigence de preuve de l’existence d’une rupture dans le chef du concessionnaire, si le travailleur entend prétendre à l’indemnité de rupture. L’arrêt ne se prononce pas davantage sur les conditions d’octroi de l’indemnité pour licenciement abusif dans cette espèce, vu l’absence de preuve apportée par le travailleur de la fin du contrat à l’initiative de l’entreprise cédante.


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