Terralaboris asbl

Absence de cumul entre les sanctions administratives et une sanction ordonnée par une juridiction pénale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 août 2010, R.G. 2002/AB/43.540

Mis en ligne le vendredi 5 novembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 11 août 2010, R.G. 2002/AB/43.540

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 11 août 2010, la Cour du travail de Bruxelles est confrontée à la question de la possibilité pour l’ONEm de demander la condamnation à des sanctions administratives d’exclusion alors que les faits ont fait l’objet d’un jugement correctionnel, condamnant le chômeur à une amende. La Cour considère que le principe non bis in idem doit trouver application, de sorte que les sanctions administratives prises sur pied des articles 153 et 154 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne peuvent être admises.

Les faits

Madame C. est bénéficiaire d’allocations de chômage depuis 1991. En 1995, elle précise, sur un formulaire C1, que son époux est indépendant et qu’elle n’apporte et ne compte apporter aucune aide à celui-ci.

Lors d’un contrôle effectué en octobre 1996 par l’ONEm, elle est surprise en train de prester pour le compte de son époux (servir des clients dans l’établissement tenu par celui-ci).

Cette situation amène l’ONEm à prendre deux décisions en date du 31 janvier 1997, à savoir d’une part une exclusion du bénéfice des allocations de chômage depuis la déclaration inexacte, la récupération au titre d’indu des allocations perçues depuis 1995 et une double sanction d’exclusion de 10 semaines pour déclaration inexacte (sur la base de l’article 153 de l’arrêté royal) et de 15 semaines pour estampillage indu de la carte de contrôle (sur la base de l’article 154), et, d’autre part, une exclusion du bénéfice des allocations de chômage pour la journée du contrôle, la récupération de l’allocation perçue pour cette journée ainsi qu’une nouvelle sanction de 8 semaines pour usage irrégulier de la carte de contrôle, sur la base de l’article 154.

Dans la seconde décision, l’ONEm précise transmettre le dossier à la juridiction répressive, ce qu’il fait. Les juridictions correctionnelles se prononcent de manière définitive par un arrêt du 6 janvier 1999 de la Cour d’appel de Bruxelles, qui estime qu’il y a eu infraction à l’article 175 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui prévoit une possibilité d’une peine de prison et/ou d’une amende pour les chômeurs visés aux articles 153, 154 et 155 de l’arrêté royal ayant agi avec une intention frauduleuse. En l’espèce, la prévention reconnue comme établie porte sur le fait d’avoir sciemment fait usage de documents inexacts pour se faire octroyer des allocations de chômage auxquelles l’intéressée n’avait pas droit. Une amende est infligée à l’intéressée ainsi qu’à son époux et un sursis est octroyé pour cette amende.

Position du Tribunal

Statuant sur le recours introduit par l’intéressée à l’encontre des deux décisions prises par l’ONEm le 31 janvier 1997 et compte-tenu de la décision définitive rendue par les juridictions répressives, le Tribunal annule les sanctions contenues dans la première décision, à savoir les exclusions des allocations de chômage pour les périodes de 10 et 15 semaines et confirme, pour le surplus, la première décision. Quant à la seconde décision, le Tribunal considère qu’elle a été prise à titre subsidiaire de la première et vise donc à sanctionner les mêmes faits que la première. Cette décision est donc annulée par le Tribunal, sous réserve de la transmission du dossier aux instances répressives.

Position des parties en appel

L’ONEm interjette appel de la décision, sollicitant le maintien des sanctions d’exclusion contenues dans la première de celles-ci. L’ONEm estime en effet qu’il y a matière à cumuler une sanction administrative et une sanction pénale.

L’intéressée n’interjette pour sa part pas appel du jugement, de sorte que le débat devant la Cour est circonscrit à la question du cumul des sanctions administratives et répressives pour les mêmes faits. L’intéressée invoque l’interdiction de cumul, se fondant sur l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Décision de la Cour

La Cour commence par constater que l’appel n’est en réalité pas dirigé contre la décision du premier juge quant à la seconde décision, qui est effectivement présentée par l’ONEm comme étant prise à titre subsidiaire de la première. La question reste donc de savoir si l’ONEm pouvait appliquer des sanctions administratives alors qu’une sanction pénale est intervenue pour les mêmes faits.

La Cour commence par rappeler la nature pénale des sanctions administratives infligées sur la base des articles 153 et 154 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La Cour précise en effet qu’elles ont un caractère général et un but dissuasif et répressif.

En raison du caractère pénal desdites sanctions administratives, il y a lieu de s’interroger sur la possibilité de cumuler celles-ci avec des sanctions pénales prévues pour les mêmes faits, soit de se prononcer sur l’application, en l’espèce, du principe général de droit non bis in idem.

La Cour constate à cet égard qu’il s’agit d’un principe général de droit, par ailleurs consacré par l’article 4 du Protocole n° 7 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (non ratifié par la Belgique) ainsi que par l’article 14, §7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, approuvé par la loi du 15 mai 1981.

La Cour considère qu’en application de ce principe, une sanction pour infraction pénale et une sanction administrative à caractère pénal ne peuvent être cumulées lorsqu’elles procèdent de faits identiques. Or, en l’espèce, tel est bien le cas, dès lors que l’article 175 de l’arrêté royal, qui constitue la norme d’incrimination, vise le chômeur dans la situation prévue par les articles 153 et 154 de l’arrêté royal, soit la base réglementaire des sanctions administratives litigieuses.

La Cour considère par ailleurs que cet article 175 ne permet pas un cumul entre les sanctions pénales et les sanctions administratives et que, à supposer même qu’elle contienne une absence d’interdiction de cumul, la réglementation poserait problème, vu la contrariété avec un principe général de droit.

En conséquence, vu la nature pénale des sanctions prévues aux articles 153 et 154 ainsi que le principe non bis in idem, il n’y a pas lieu d’autoriser le cumul. En conséquence, l’appel de l’ONEm est rejeté.

Intérêt de la décision

Cette décision se prononce sur la nature des sanctions administratives visées par les articles 153 et 154, leur reconnaissant un caractère pénal. Elle constitue par ailleurs un cas d’application pratique lorsque les faits ayant justifié la sanction ont fait l’objet d’un jugement répressif, notamment sur la base de l’article 175 dudit arrêté royal.


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