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Etat d’ébriété et motif grave : application du contrôle de proportionnalité

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 7 octobre 2010, R.G. 5.417/09

Mis en ligne le lundi 7 février 2011


Tribunal du travail de Bruxelles, 7 octobre 2010, R.G. n° 5.417/09

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 7 octobre 2010, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle les principes applicables en matière d’appréciation du motif grave, s’agissant en l’occurrence du fait pour un travailleur d’être sous l’emprise de l’alcool lors d’une prestation de travail.

Les faits

Un ouvrier d’une société de gardiennage est licencié au motif que lors d’une prestation de travail (de nuit) il a eu une conduite violente avec ses collègues et qu’il était « clairement » sous l’emprise de l’alcool à ce moment.

L’intéressé va contester les faits de violence.

En ce qui concerne l’état d’ébriété, il signale avoir bu une bière mais précise qu’une odeur d’alcool – tout à fait possible – ne démontre l’état d’ébriété, non plus qu’un état de fatigue. Aucun test d’alcoolémie n’ayant été pratiqué (alors qu’il était autorisé par le règlement de travail) et l’intéressé ayant été autorisé à travailler le lendemain et le jour suivant, il conclut que son supérieur hiérarchique n’était pas, au moment des faits, convaincu de l’état d’ivresse reproché.

A titre subsidiaire il considère qu’un tel état est une faute mais non un motif grave de licenciement, dès lors que des avertissements n’ont pas été envoyés.

La position du tribunal

Dans son jugement, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle les principes régissant la matière du motif grave, étant que celui-ci requiert l’existence d’un fait fautif, faute qui altère immédiatement et définitivement la confiance réciproque des parties, indispensable à l’exécution des relations professionnelles contractuelles.

Ce motif grave doit faire l’objet d’un examen in concreto, c’est-à-dire à la lumière de toutes les circonstances du cas d’espèce qui peuvent contribuer à atténuer ou à aggraver la responsabilité de l’auteur de la faute ou, encore, à rendre possible ou impossible la poursuite de la collaboration professionnelle.

Le tribunal rappelle qu’il faut prendre en compte, dans cet examen, l’ancienneté du travailleur, les fonctions exercées, l’importance des responsabilités dans l’entreprise, le passé professionnel, le caractère isolé de la faute ou la propension du travailleur à commettre celle-ci, les antécédents, ainsi que les faits antérieurs.

L’ensemble de ces éléments, qui vont déterminer la gravité de la faute, sera apprécié souverainement par le juge du fond.

Le tribunal reprend assez longuement les termes d’un arrêt de la Cour du travail de Liège du 2 avril 2010 (dont le tribunal donne la référence sur (http://www.terralaboris.be), selon lequel il existe pour les fautes une hiérarchie, qui permet de considérer que certaines parmi les fautes graves ne sont pas de nature à empêcher la poursuite immédiate des relations contractuelles. La hiérarchie à faire entre les fautes graves a également pour conséquence que le juge doit être guidé par la recherche d’une proportionnalité entre la faute (intensité et profil professionnel du travailleur) et la sanction, celle-ci devant rester exceptionnelle, vu qu’elle a pour effet d’entraîner la perte de l’emploi sans préavis ni indemnité et entraîne également des conséquences sur le plan de l’assurance chômage. C’est l’intensité et la gravité de la faute commise, mesurées en fonction de la hiérarchie des fautes graves et du principe de proportionnalité, qui doivent conduire à apprécier le seul critère permettant de tenir le motif grave établi : l’impossibilité immédiate et définitive de la poursuite de toute collaboration professionnelle entre les parties. La Cour du travail de Liège renvoie à un autre arrêt du 26 juillet 1995 (J.T.T., 1995, p. 495), qui identifie l’impossibilité de poursuivre la collaboration à la perte de confiance.

Le tribunal reprend également une importante doctrine qui conclut à l’application du contrôle de proportionnalité entre la conduite fautive et le licenciement qui en résulte.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, le tribunal considère qu’il faut distinguer l’alcoolisme du travailleur qui perdure depuis de nombreuses années, ayant donné lieu à des avertissements et provoqué des perturbations sur le lieu de travail – qui peut constituer un motif grave de licenciement – d’une consommation abusive d’alcool (ou de médicaments) qui, selon les circonstances de la cause peut ne pas avoir ce caractère, ainsi s’il y a eu ou non des avertissements, si les faits se sont ou non répétés et, dans cet examen, le tribunal doit également prendre en compte le passé du travailleur ainsi que sa longue ancienneté, éléments pouvant intervenir en tant que circonstances atténuantes ; par contre, ses responsabilités au sein de l’entreprise peuvent être une circonstance aggravante.

En l’occurrence, le fait reproché n’est pas d’avoir consommé de l’alcool sur les lieux du travail mais d’avoir été sous l’emprise de l’alcool lors de la prestation, c’est-à-dire d’avoir été en état d’ivresse, en d’autres termes, soûl. Pour le tribunal, il s’agit d’un état distinct de l’intoxication alcoolique, qui se réfère à la persistance d’un certain nombre de grammes d’alcool dans le sang, une personne pouvant avoir un fort taux d’alcool dans le sang sans être ivre.

Il incombe dès lors à l’employeur d’apporter la preuve de la réalité du fait invoqué, ensuite du caractère fautif du comportement et, enfin, d’établir la faute grave qui altère immédiatement et définitivement la confiance réciproque des parties, indispensable à l’exécution des relations professionnelles contractuelles.

De l’examen des pièces du dossier, le tribunal va relever qu’une telle preuve n’est pas apportée, relevant notamment l’absence de tout avertissement alors que le travailleur compte une ancienneté de près de six ans. A supposer la matérialité du fait établi, il conclut que le simple fait pour un travailleur d’avoir consommé de la bière, dans les circonstances qui lui étaient soumises, justifiaient le cas échéant un avertissement ou un blâme mais non la sanction extrême que constitue le licenciement pour motif grave.

Intérêt de la décision

Le jugement du tribunal du travail de Bruxelles reprend, de manière très nuancée, les contours du contrôle judiciaire dans le cas d’ébriété sur les lieux du travail, question délicate mais fréquente. Il conclut, avec la doctrine autorisée sur la question, que, le motif grave devant faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité, le juge du fond apprécie souverainement l’ensemble des circonstances qui lui sont soumises. Le tribunal considère, dans cet examen, que les responsabilités exercées par le travailleur au sein de l’entreprise constituent une circonstance aggravante du comportement incriminé.


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