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Agression sur le lieu du travail : accident survenu « par le fait » du contrat ?

Commentaire de Cass., 25 octobre 2010, R.G. S.09.0081.F

Mis en ligne le mercredi 16 mars 2011


Cour de cassation, 25 octobre 2010, S.09.0081.F/1

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un arrêt du 25 octobre 2010, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 février 2009, qui avait admis, comme accident du travail, le meurtre d’une vendeuse sur son lieu de travail, par son conjoint.

Les faits

Une vendeuse fut assassinée par son conjoint sur les lieux du travail. Le rapport fait par l’inspecteur de l’entreprise d’assurances mentionne que, arrivée devant l’entrée du magasin pour l’ouverture de celui-ci, elle constata que son mari l’attendait en vue de lui demander de réintégrer le foyer conjugal, ce qu’elle refusa. Elle entra dans le magasin et fut immédiatement suivie par son mari, qui finit par la poignarder, vu son refus de reprendre la vie commune. Elle tenta, aux fins de lui échapper, de se réfugier vers l’arrière du magasin, dans un local sans issue extérieure.

Pour l’assureur, il s’agit d’un crime passionnel perpétré par le mari de l’intéressée sur le lieu du travail de celle-ci et il ne peut être question d’un accident du travail au sens de la loi.

Le mari fut condamné à 20 ans de réclusion par la Cour d’assises de Mons, notamment pour avoir volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, commis un homicide sur la personne de son épouse.

Un tuteur ad hoc fut désigné pour les enfants et entreprit une action devant le Tribunal du travail.

Le jugement du Tribunal du travail de Charleroi

Le Tribunal du travail fit droit à la demande, considérant que les faits survenus se rattachaient à la circonstance que l’intéressée, en raison de l’exécution de son travail, était tenue d’ouvrir le magasin et d’y exercer seule son activité professionnelle et que, en outre, il s’agissait d’un bâtiment à la configuration exigà¼e dont elle n’avait pu s’enfuir. Ceci constitue une circonstance qui a aggravé le risque de survenance de l’acte violent.

Position de la Cour du travail de Mons

Suite à l’appel interjeté par l’entreprise d’assurances, la Cour du travail de Mons rendit un arrêt le 11 février 2009, confirmant la décision du Tribunal du travail de Charleroi. La Cour y rappelait, en ce qui concerne les principes, la présomption légale selon laquelle l’accident qui a lieu au cours de l’exécution du contrat de travail est présumé dû au fait de cette exécution. Jusqu’à preuve du contraire, l’assureur doit établir que l’accident n’est pas la réalisation d’un risque auquel la victime est exposée, soit en raison de son activité professionnelle, soit en considération du milieu naturel, technique ou humain dans lequel elle se trouve placée. Le risque lié à l’exécution du contrat de travail est celui qui se rattache à une circonstance quelconque entourant l’activité du travailleur. C’est le risque que le milieu de travail a rendu possible et, lorsque le lien avec le milieu de travail est possible, la circonstance que l’accident aurait également pu survenir ailleurs et à un autre moment est indifférente (la Cour du travail cite Cass., 5 juin 1989, J.T.T., 1990, p. 53).

Le moyen du pourvoi

L’assureur considère que la cour du travail ne pouvait arriver à la conclusion ci-dessus, dans la mesure où le fait que le risque d’une agression ait été à tout le moins aggravé par les caractéristiques du lieu du travail ne permet pas de dire que l’agression est survenue par le fait de l’exécution du contrat. Il ne suffit pas, pour la demanderesse en cassation, qu’une agression ait été rendue plus facile par le temps ou le lieu où la victime exécutait son travail, mais il faut que l’agression ne se serait pas produite si la victime n’avait pas exécuté son travail. Pour la demanderesse, les termes « par le fait de l’exécution du contrat de travail » impliquent que l’accident trouve sa cause dans l’exécution du contrat, même s’il n’est pas requis qu’il soit dû à l’exécution du travail convenu.

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation tranche en un très bref attendu, rejetant le pourvoi au motif que l’arrêt a valablement pu considérer que les circonstances décrites ont à tout le moins aggravé le risque de survenance de l’agression. Pour la Cour de cassation, ces constatations suffisent à fonder la décision de l’arrêt, la cour du travail pouvant légalement en conclure que l’accident était survenu par le fait de l’exécution du contrat de travail et constituait, partant, un accident du travail.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, qui met un terme à une espèce particulièrement dramatique, l’ensemble des juridictions saisies, depuis le premier juge, ont admis, selon une règle générale, que l’élément à prendre en compte est l’aggravation du risque d’accident due aux circonstances de l’exécution du contrat de travail. La motivation de l’agresseur est, ainsi, sans incidence sur la reconnaissance ou non de l’accident du travail.

Cette jurisprudence vient, ainsi, clarifier les données à prendre en considération en cas de violences et d’agression du travailleur où, traditionnellement, une agression déterminée, intervenant sur le trajet normal du chemin de travail, était admise dès que les conditions étaient réunies (événement soudain, lésion et trajet normal), tandis que la possibilité de voir rejeter le même accident survenu sur le lieu du travail subsistait, dans l’hypothèse où la motivation de l’auteur de l’acte, étrangère à l’exécution du contrat de travail, était susceptible, dans l’interprétation de l’assureur, d’être considérée comme n’étant pas due au fait de l’exécution du travail.

Dans son pourvoi, celui-ci demandait à la Cour de cassation de retenir que les termes « par le fait de l’exécution du contrat de travail » impliquaient que l’accident trouve sa cause dans l’exécution du contrat, même s’il n’était pas requis qu’il soit dû à l’exécution du travail convenu. La Cour de cassation a considéré ne pas devoir examiner les considérations développées dans le pourvoi, au motif qu’elles étaient distinctes des constatations de l’arrêt de la cour du travail. La Cour de cassation considère, dès lors, que le juge du fond détermine souverainement dans son appréciation du fait si les circonstances qu’il relève sont susceptibles d’aggraver le risque de survenance de l’accident. La Cour de cassation admet, ainsi, implicitement que cette aggravation du risque est prise en charge par le législateur et entre dans la notion d’accident survenu « par le fait de l’exécution du contrat de travail ».


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