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Pension de retraite et carrière à l’étranger : quelques précisions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 décembre 2010, R.G. 2005/AB/46.776

Mis en ligne le mercredi 16 mars 2011


Cour du travail de Bruxelles, 8 décembre 2010, R.G. 2005/AB/46.776

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un arrêt du 8 décembre 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le mécanisme des règlements 1408/71 et 574/72 en matière de calcul et de paiement des pensions de retraite.

Les faits

Un citoyen roumain arrive en Belgique en août 1990. Il se voit reconnaître le statut de réfugié quelques mois plus tard.

Il acquiert ultérieurement la nationalité belge et travaille en Belgique pendant 9 ans. Suite à cela, il bénéficie de la prépension conventionnelle pendant 2 ans et demi et demande alors le bénéfice de la pension de retraite dans le régime des travailleurs salariés.

L’ONP lui alloue un montant de l’ordre de 3.500 € par an à dater du 1er janvier 2004.

L’intéressé introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du Tribunal du travail

Par jugement du 28 avril 2005, la Tribunal du travail de Bruxelles va débouter le demandeur, qui reprochait à l’ONP de ne pas avoir tenu compte des prestations effectuées avant 1991, soit 37 années de prestations au service de plusieurs entreprises en Roumanie.

Décision de la Cour du travail

La Cour du travail est saisie de l’appel de l’intéressé, qui fait au jugement le même reproche qu’à la décision de l’ONP, étant que ses prestations en Roumanie auraient dû être prises en compte.

Après un premier débat sur le caractère déclaratif de la reconnaissance du statut de réfugié et des effets de celui-ci, étant la rétroactivité des droits, la Cour considère ici, contrairement au demandeur, qu’aucune disposition nationale ou internationale n’impose au pays d’accueil d’un réfugié politique d’entreprendre des démarches en vue d’assurer en faveur de celui-ci les droits sociaux auxquels il peut prétendre dans son pays d’origine. En outre, la Roumanie faisant actuellement partie de la Communauté Européenne, les services de celle-ci peuvent être mis en mouvement en cas de difficultés d’obtenir des documents nécessaires ou un paiement à charge de la Roumanie.

L’intéressé faisait également valoir un argument tiré du principe de standstill, qui gît dans l’article 23 de la Constitution (la Cour du travail rappelant à cet égard l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 juin 2007 – arrêt 87/2007 – ainsi que l’arrêt du Conseil d’Etat du 17 novembre 2008 – J.L.M.B., 2009, p. 70). La Cour retient avec le demandeur originaire qu’il est interdit au législateur de réduire sensiblement le niveau de protection offert par la législation, sauf motifs d’intérêt général, mais que ce principe n’implique nullement qu’un travailleur ou encore un assuré social ait le droit au maintien du statut le plus favorable lorsqu’il passe d’un secteur de la sécurité sociale à un autre.

Ainsi, en l’occurrence, le fait que l’intéressé ait un revenu diminué du fait du passage de la prépension à la pension n’est pas en contravention avec le principe de standstill, ces deux secteurs n’étant nullement comparables en ce qui concerne la prise en compte de la carrière, puisque la pension de retraite est fixée en fonction de l’assujettissement à la sécurité sociale, du salaire et des cotisations payées sur celui-ci, et que le droit à la prépension conventionnelle ne dépend pas en tant que tel du paiement de cotisations de sécurité sociale. Dans ce second secteur, s’il y a une condition d’octroi relative au passé professionnel, celle-ci a été posée dans la perspective de limiter le droit aux travailleurs pouvant justifier d’une certaine durée de carrière.

Par ailleurs, la Cour répond à l’argument du demandeur selon lequel les réfugiés doivent bénéficier du même traitement que les nationaux, et ceci vaut également pour les droits en matière de sécurité sociale pour les travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté Européenne. Pour le demandeur, ce principe doit lui être appliqué et il y aurait lieu en conséquence de prendre en compte sa carrière en Roumanie. Pour la Cour, la règlementation européenne, et notamment les règlements 1408/71 et 574/72, ne contiennent aucune disposition qui obligerait un Etat sur le territoire duquel réside un citoyen européen à lui servir une pension de retraite pour la totalité de sa carrière et notamment pour la partie de celle-ci qui a été accomplie dans un autre pays. Ce n’est que si l’institution débitrice d’un Etat membre ne paye pas directement les prestations dues au bénéficiaire résidant sur le territoire d’un autre Etat que ce paiement est effectué à la demande de l’institution débitrice, et ce par l’organisme de liaison de l’Etat de résidence. Or, en l’espèce, la Cour relève que, dans le cadre du règlement 574/72 (annexe 6), la Belgique et la Roumanie ont prévu un paiement direct.

La Cour ajoute qu’aucune disposition ne permet à un citoyen européen de réclamer, à charge de l’institution compétente du pays de résidence, une prestation de pension calculée en vigueur dans ce pays mais couvrant l’ensemble des prestations accomplies dans un autre Etat membre. La Cour relève en l’espèce que l’ONP a scrupuleusement respecté le règlement 1408/71, dans la mesure où elle a également vérifié si le droit minimum garanti par l’article 50 de celui-ci était atteint.

Enfin, la Cour précise la portée d’un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes invoqué par le demandeur (arrêt GOTTARDO du 15 novembre 2001, C-55/00) : la Cour de Justice y a ici rappelé que, si un citoyen européen peut prétendre à une pension dans un Etat membre, il peut invoquer à son profit les conventions bilatérales conclues par celui-ci et un Etat tiers, qui prévoirait la totalisation des périodes d’assurance, et ce même si, au moment où il introduit la demande, il n’a plus la nationalité de l’Etat en cause mais celle d’un autre Etat membre. Dans cette affaire, l’intéressé pouvant prétendre à une pension italienne, la Cour de Justice a considéré qu’il pouvait invoquer à son profit la convention conclue entre l’Italie et la Suisse, même si, au moment où il a demandé la pension de retraite, il avait la nationalité française. Pour la Cour de Justice, ceci est conforme au principe fondamental d’égalité de traitement en vertu duquel un Etat membre doit accorder aux ressortissants des autres Etats membres les mêmes avantages que ceux dont bénéficient ses propres ressortissants en vertu de la convention en cause.

Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce, puisqu’il n’y a pas de convention bilatérale entre la Belgique et la Roumanie qui prévoirait une totalisation des périodes d’assurance. En outre, l’intéressé, de nationalité belge, ne peut faire l’objet d’un traitement inégal et n’a aucun titre qui lui permettrait de demander l’application d’une convention existant entre la Roumanie et un autre pays européen (France ou Grèce en l’occurrence). La Cour relève enfin que l’intéressé aurait pu faire valoir une telle convention s’il avait droit à une pension en France ou en Grèce et à charge des institutions compétentes de ces pays.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, rendu dans le cadre des règlements 1408/71 et 574/72, fixe les limites de la coordination mise en place par ceux-ci.

Depuis le 1er mai 2010, les règlements 883/2004 et 987/2009 sont entrés en vigueur et ont apporté des modifications importantes au régime antérieur, introduisant des principes généraux, dont l’assimilation des faits, qui sont susceptibles d’avoir un impact majeur sur le secteur des pensions. Ces règlements instaurent également un principe de totalisation des périodes d’assurance, dont la portée et les effets ne peuvent encore être mesurés clairement à ce jour.

Affaire à suivre, donc.


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