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Lien de subordination : une précision importante de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 6 décembre 2010, S.10.0073.F/1

Mis en ligne le mardi 24 mai 2011


Cour de Cassation, 6 décembre 2010, S.10.0073.F

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 6 décembre 2010, la Cour de cassation rend son deuxième arrêt sur les critères figurant dans la loi du 27 décembre 2006, de nature à retenir l’existence d’un lien d’autorité.

L’objet du litige

Le litige concerne une demande de requalification d’une relation de travail à caractère indépendant.

L’arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 17 octobre 2008

La cour du travail a considéré, essentiellement à partir de l’appréciation du critère relatif à l’organisation du travail, qu’il n’y avait pas lieu à requalification.

Pour la cour du travail, qui reprend l’examen des quatre critères prévus à l’article 333 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, il faut examiner si les éléments produits par le demandeur en justice, relatifs à l’exécution effective de la relation de travail, laissent apparaître un exercice d’autorité patronale tel qu’il exclut la qualification qui a été choisie par les parties (étant en l’espèce une collaboration à caractère indépendant).

La cour du travail passe en revue les éléments produits par le demandeur et considère que sont indifférents pour l’appréciation de l’exercice de l’autorité de l’employeur les éléments suivants : le fait qu’il travaillait exclusivement pour son cocontractant, qu’il effectuait pour celui-ci des prestations de soutien, que la rémunération était déterminée à l’avance, que le contenu des factures était imposé, que la facturation elle-même était faite à partir du matériel informatique du cocontractant, que le travailleur ne participait pas aux risques d’entreprise, qu’il n’avait fait aucun apport dans celle-ci, qu’il avait été obligé d’investir dans l’achat de matériel et que ses déplacements pour compte de son cocontractant étaient réglés de manière précise. La cour du travail insiste sur le fait qu’il s’agit d’éléments de nature économique ou qui révèlent une dépendance économique. Il ne s’agit pas de critères relatifs à la subordination juridique.

La cour considère qu’il y a lieu de retenir, dans le cadre de l’examen tel qu’imposé par la loi du 27 décembre 2006, trois éléments étant (i) les directives concernant le travail, (ii) la possibilité de contrôle et (iii) les heures de présence.

Sur les directives concernant les prestations à effectuer, celles-ci étaient données par le cocontractant ; le travailleur expliquait que ce dernier lui avait appris le métier car il était totalement inexpérimenté en la matière, étant soudeur de formation avec peu d’expérience dans le bâtiment. Ceci était confirmé par le fournisseur d’ouvrage, qui précisait que le travailleur ne pouvait choisir ses tâches sur le chantier mais qu’il était obligé d’exécuter ce qui demandait.

Les déclarations du travailleur, sur cette question, permettent de déduire que l’organisation du travail incombait davantage au cocontractant et la cour retient que ceci pourrait révéler un indice de l’autorité patronale.

En ce qui concerne la possibilité de contrôle, elle distingue le contrôle qualitatif du contrôle hiérarchique, le second impliquant l’exercice de l’autorité patronale, étant le contrôle par l’employeur de l’application de son travailleur au travail (si le travailleur a exécuté ce qui lui est demandé, s’il a effectué les prestations comme il convient, s’il se présente aux heures convenues, s’il justifie son absence ou encore s’il est présent au lieu de travail indiqué), le premier relevant davantage d’une collaboration à caractère indépendant (qualité du travail fourni), dont la cour retient qu’il porte sur le produit du travail et non sur l’application au travail. La cour relève qu’aucun élément du dossier ne permet de déduire en l’espèce l’existence d’un contrôle hiérarchique et que ce critère ne permet dès lors pas la requalification de la relation de travail.

Quant aux heures de présence, le travailleur ayant exposé qu’il n’y avait pas d’exigence quant aux heures à prester ni quant à un horaire de travail mais que ses prestations étaient fonction des conditions atmosphériques et de la charge de travail, la cour rejette que le troisième critère soit rempli en l’espèce, cette situation étant par ailleurs contraire au principe suivant lequel l’employeur est tenu de fournir du travail.

Pour la cour du travail, un seul des éléments en cause est dès lors susceptible de révéler l’exercice de l’autorité patronale, étant l’organisation du travail. La cour interprète, cependant, l’article 332 de la loi-programme du 27 décembre 2006 (qui dispose que l’exécution de la relation de travail devait laisser apparaître suffisamment d’éléments incompatibles avec la qualification donnée par les parties à leur relation de travail) comme impliquant, en l’occurrence, que le seul élément de l’organisation du travail ne suffit pas à exclure la qualification de collaboration à caractère indépendant convenue, et ce d’autant que le travailleur a investi dans l’entreprise en acquérant du matériel et que la volonté des parties était d’entamer un mode de collaboration au bénéfice des deux.

La cour conclut que le demandeur est tenu d’apporter la preuve que les trois éléments du contrat de travail (travail, rémunération et subordination) seraient présents en l’espèce, ce qui n’est pas le cas.

La position de la Cour de cassation

La Cour de cassation va casser la décision, au motif que le juge doit examiner si les éléments invoqués à l’appui de l’existence d’un lien d’autorité laissent apparaître un exercice d’autorité ou la possibilité de cet exercice sur l’exécution du travail relevant d’un contrat de travail qui serait incompatible avec le simple exercice d’un contrôle ou la simple communication de directive dans le cadre d’une convention de travail à caractère indépendant.

La Cour de cassation considère, sur l’élément retenu par la cour du travail qui serait susceptible de constituer un lien d’autorité, à savoir l’organisation du travail, qu’il ressort en l’espèce que le fournisseur d’ouvrage avait « appris le métier » au travailleur, celui-ci étant totalement inexpérimenté en la matière, que par ailleurs il ne pouvait choisir ses tâches sur chantier et était obligé d’exécuter ce qui lui était demandé. Sur ce critère d’absence d’expérience professionnelle, la Cour de cassation retient que le travailleur n’était opérationnel que lorsque des instructions précises quant à l’organisation du travail lui étaient données, ce qui impliquait l’exercice d’un contrôle dépassant le simple contrôle qualitatif du travail effectué. En conséquence, ce contrôle apparaît incompatible avec celui qui doit se retrouver dans le cadre d’une collaboration indépendante. Pour la Cour de cassation, le défaut d’expérience professionnelle, combiné avec le défaut de liberté d’organisation du travail, est incompatible avec un contrat d’entreprise.

La cour du travail ne pouvait dès lors constater que le travailleur n’était pas en mesure de fournir des prestations de manière autonome et sans instructions de la part de son cocontractant et qu’il n’y avait cependant pas de lien hiérarchique, seul un contrôle qualitatif étant effectué.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est le deuxième que la Cour de cassation rend, dans le cadre de la loi du 27 décembre 2006, qui a fixé des critères précis dans l’examen de la nature de la relation de travail. (Par arrêt du 1er décembre 2008 (S.08.0074.N), elle avait déjà donné les critères applicables, étant l’absence de liberté dans l’organisation de travail et l’organisation du temps de travail ainsi que la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique du travail – critères visés dans la loi du 27 décembre 2006).

Dans un arrêt du 18 octobre 2010 (Cass., 18 oct. 2010, S.10.0023.N), rendu dans le cadre de la nouvelle loi, la Cour suprême avait déjà cassé un arrêt de la Cour du travail d’Anvers, rendu dans une affaire concernant des « prétendus bénévoles ». La cour du travail avait retenu que le simple fait que ceux-ci étaient libres de donner suite ou non à une offre de travail n’impliquait pas l’existence d’un contrat de travail, considération que la Cour suprême n’a pas jugée comme légale, dans la mesure où, une fois le travail accepté, le contrôle sur l’exécution de celui-ci existait bel et bien et qu’il y avait, dès lors, autorité patronale.

L’arrêt du 6 décembre 2010 est rendu, quant à lui, dans le cadre d’une collaboration qualifiée d’indépendante et l’importance de l’arrêt n’échappera pas, puisqu’il est l’occasion d’aborder la problématique à partir de l’angle de l’inexpérience professionnelle du travailleur – situation qui va inévitablement entraîner un contrôle hiérarchique (et non un simple contrôle qualitatif) sur ses prestations.


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