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Droit aux allocations en cas de licenciement avec indemnité : la Cour constitutionnelle est interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 février 2011, R.G. 2009/AB/52.478 et 2009/AB/52.499

Mis en ligne le mardi 24 mai 2011


Cour du travail de Bruxelles, 2 février 2011, R.G. 2009/AB/52.478 et 2009/AB/52.499

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Par arrêt du 2 février 2011, la Cour du travail de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle en ce qui concerne la privation de l’allocation d’interruption dans le cas du licenciement moyennant indemnité compensatoire de préavis, par rapport au licenciement avec préavis presté.

Les faits

Une employée est admise au bénéfice de l’interruption de carrière (1/5e temps) le 1er février 2002. Elle est licenciée le 31 décembre 2002, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 37 mois, courrant ainsi jusqu’au 31 janvier 2006. La base de calcul de l’indemnité est la rémunération perçue lors du licenciement, étant un 4/5e temps.

Après avoir infructueusement cherché du travail, elle s’inscrit au chômage une première fois le 31 mai 2005 et une seconde le 1er février 2006.

Elle reçoit une notification de l’ONEm, datée du 29 mai 2006, lui signalant que, le contrat de travail ayant pris fin le 1er janvier 2003 (date d’effet de la notification du licenciement moyennant indemnité), elle n’avait plus droit aux indemnités d’interruption à partir de cette date et lui demande le remboursement de celles-ci.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles et la CAPAC est citée en intervention forcée.

Décision du Tribunal

Le Tribunal du travail confirme l’indu mais limite la récupération aux 150 derniers jours.

L’appel

Tant l’ONEm que l’employée interjettent appel.
L’ONEm demande la confirmation complète de la décision administrative, étant que la récupération ne soit pas limitée aux 150 derniers jours.

La travailleuse demande, pour sa part, la nullité de l’acte en raison de l’incompétence de son auteur, l’application de la prescription pour les allocations payées entre le 1er janvier et le 31 mars 2003 et, enfin, qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour constitutionnelle, vu la différence de traitement entre travailleurs licenciés avec préavis et ceux licenciés avec paiement d’une indemnité.

Position de la cour

La Cour se penche, d’abord, sur l’argument tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte. La décision a été signée par un adjoint du directeur et l’ONEm produit un acte de délégation de pouvoir du directeur aux membres du personnel du bureau de chômage de Bruxelles. La Cour constate, vu cet élément, que l’arrêté royal du 12 décembre 2001 pris en exécution du chapitre 4 de la loi du 10 août 2001 (loi relative à la conciliation entre l’emploi et la qualité de vie concernant le système du crédit-temps, la diminution de carrière et la réduction des prestations de travail à mi-temps), n’exclut pas la délégation de pouvoir. En l’espèce, l’acte de délégation permettait notamment à l’adjoint à celui-ci qui a signé l’acte d’exercer les pouvoirs conférés à celui-ci en matière d’interruption de carrière. Il en découle que la décision prise ne peut être frappée de nullité en raison d’une incompétence prétendue de son auteur.

Sur le fond, la Cour considère en premier lieu devoir examiner l’article 102 de la loi du 22 janvier 1985 : implique-t-il que la cessation du contrat de travail a pour effet de faire perdre le droit à l’allocation d’interruption ?

De cette question découle en effet une autre, étant la légalité d’une circulaire du 31 janvier 1997, qui admet que le travailleur licencié moyennant indemnité bénéficie d’un régime financièrement moins favorable que celui licencié moyennant préavis (ce dernier conservant son allocation pendant la durée du préavis). Aux fins de rétablir une « égalité de traitement », la circulaire précise qu’en cas de licenciement moyennant indemnité, l’indemnité de rupture est censée couvrir une période égale au nombre de semaines et de mois de rémunération auquel correspond l’indemnité de rupture, multiplié par la fraction d’occupation. En cas de réduction de 1/5e du temps, les allocations de chômage devraient ainsi pouvoir être accordées après les 4/5e de la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis. Cette circulaire n’a en l’espèce pas été appliquée par la CAPAC, qui soutient qu’elle est illégale.

La Cour fait de ces deux textes l’examen suivant :

  • L’article 102, § 1er de la loi du 22 janvier 1985, qui prévoit le droit à une indemnité en cas de réduction des prestations de travail, implique que la réduction des prestations n’est envisageable que dans le chef d’un travailleur qui reste lié à son employeur par un contrat de travail. Cette condition figure également, mais de manière implicite, dans l’article 18, 1° de l’arrêté royal du 12 décembre 2001, puisqu’il vise l’hypothèse de la décision d’exclusion consécutive à une fin de contrat de travail.

Pour la cour, il en découle que l’allocation d’interruption cesse d’être due lorsque le contrat de travail prend fin.

  • La circulaire du 31 janvier 1997 implique que l’ONEm ne tient pas compte d’une partie de la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis, et ce de manière à compenser le fait qu’elle a été calculée sur la base de la rémunération à temps partiel et que, par ailleurs, l’allocation d’interruption n’est pas due pendant la période couverte par l’indemnité compensatoire.

Pour la cour, cette circulaire est contraire aux articles 44 et 46 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui prévoient que les allocations de chômage ne sont dues que si le travailleur est privé de rémunération et que l’indemnité compensatoire octroyée est une rémunération qui ne peut être cumulée avec celles-ci.

En l’espèce, l’indemnité a couvert une période de 37 mois, du 1er janvier 2003 au 31 janvier 2006. Même si l’indemnité a été calculée sur la base de la rémunération réduite, elle est due jusqu’au 31 janvier 2006.

Si la circulaire du 31 janvier 1997 répondait à une intention - qualifiée de louable par la cour - de corriger un régime « financièrement moins favorable », elle est illégale. La cour rappelle ici les effets juridiques d’une circulaire ministérielle, étant qu’elle ne contient pas de règles obligatoires pour les administrés et ne peut prévaloir sur un arrêté royal. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 4 septembre 1995, Pas., 1995, I, p. 757).

Il faut dès lors, pour la cour, constater l’absence de droit aux allocations de chômage pour la période de juin 2005 à janvier 2006, et ce même si une demande d’allocation a été introduite le 31 mai 2005.

Pour la cour, l’on ne peut dès lors faire grief à la CAPAC d’avoir transmis la demande d’allocations du 31 mai 2005 et de ne pas avoir appliqué la circulaire du 31 janvier 1997, compte-tenu de l’illégalité constatée.

Cependant, le débat appelle une question à la Cour constitutionnelle, dans la mesure où l’ONEm semble admettre, comme le relève la cour, que l’article 102 de la loi du 22 janvier 1985 est source d’une différence de traitement manquant de justification. Si les deux formes de licenciement sont « deux choses différentes », ceci n’exclut pas que les deux régimes peuvent le cas échéant être comparés, ce que la Cour constitutionnelle a d’ailleurs déjà fait (la cour du travail renvoie à l’arrêt du 31 mars 2008, n° 51/2008 à propos de l’article 101 de la même loi).

En outre, la cour relève que la problématique n’est pas totalement étrangère à d’autres questions pendantes devant la Cour constitutionnelle.

Elle décide dès lors de surseoir à statuer sur la question de savoir si les allocations d’interruption ont été versées indûment pendant la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis et pose à la Cour constitutionnelle la question de savoir si l’article 102 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permet pas l’octroi d’une allocation d’interruption au travailleur licencié moyennant indemnité compensatoire de préavis, en ce compris lorsque cette indemnité a été calculée sur la base d’une rémunération réduite alors que, en cas de licenciement moyennant préavis, le travailleur qui a réduit ses prestations conserve pendant le préavis le bénéfice de cette allocation.

Intérêt de la décision

Ainsi que la cour le relève dans ses motifs, la question posée va vraisemblablement être groupée avec d’autres questions pendantes devant la Cour constitutionnelle concernant l’article 39, § 1er de la loi du 3 juillet 1978, étant notamment : une question posée par la Cour du travail de Gand le 13 janvier 2011 (n° 5083 - Moniteur belge du 10 mars 2011) et une question posée par le Tribunal du travail de Bruxelles le 27 juillet 2010 (n° 5013 – Moniteur Belge du 21 octobre 2010).


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