Terralaboris asbl

Possibilité d’affiliation pour la même activité à l’OSSOM et à un régime belge de sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 avril 2011, R.G. 2004/AB/45.271

Mis en ligne le mercredi 6 juillet 2011


Cour du travail de Bruxelles, 6 avril 2011, R.G. n° 2004/AB/45.271

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 6 avril 2011, la Cour du travail de Bruxelles est saisie d’une question particulière : peut-on être affilié à la fois à l’OSSOM et au statut social des travailleurs indépendants ?

Les faits

Monsieur P. s’affilie à l’OSSOM en 1987. Il précise exercer une activité en Thaà¯lande pour une société pharmaceutique. Il notifie ultérieurement une légère modification, relative au changement d’employeur et souscrit une assurance complémentaire « soins de santé ». Il ne documente pas davantage l’OSSOM quant au lieu de son activité professionnelle. S’agissant d’une affiliation au régime volontaire, Monsieur P. poursuit le paiement des cotisations réclamées.

Suite à une enquête administrative (Monsieur P. exerçant une activité professionnelle en Belgique), l’INASTI le met en demeure de s’assujettir à une caisse sociale pour travailleurs indépendants.

Vu son inertie, il est assujetti d’office à la caisse auxiliaire. Un montant de l’ordre de 18.000€ lui est réclamé, l’INASTI se fondant sur un mandat d’administrateur au sein d’une société anonyme, et ce depuis le 1er juillet 1992.

L’intéressé fait valoir qu’il a mis fin à son affiliation au régime de sécurité sociale d’outre-mer en 2000, ainsi qu’à son contrat d’assurance complémentaire « soins de santé », ce qui est confirmé par l’OSSOM.

La procédure

C’est entre Monsieur P. et l’OSSOM qu’un litige va surgir, celui-ci assignant l’Office en remboursement des cotisations payées pour la période de 1992 à 2000. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 30.000€.

Le tribunal du travail va accueillir la demande mais la considérer non fondée.

La position des parties en appel

Sur la recevabilité de l’action, l’OSSOM considère qu’il y a irrecevabilité, aucune décision administrative n’ayant été prise, position que ne partage pas le demandeur, pour qui l’article 580, 6°, litera C) du Code judiciaire n’impose pas comme condition de recevabilité d’une action en justice l’exigence d’une procédure administrative préalable. Il se fonde également sur l’absence de disposition dans la loi du 17 juillet 1963 relative à la sécurité sociale d’outre-mer visant le remboursement de cotisations payées indument.

Sur le fondement de l’action, l’OSSOM considère que l’intéressé a voulu participer au régime facultatif de sécurité sociale d’outre-mer, ce qui résulte à la fois de sa déclaration d’affiliation et du paiement régulier des cotisations de sécurité sociale. L’OSSOM fait également valoir qu’en matière de soins de santé, il a demandé et reçu les prestations correspondantes. Pour l’Office, il ne résulte pas de la loi qu’une activité qui serait exercée dans un Etat membre de l’Union européenne empêcherait l’affiliation à l’OSSOM pour une activité exercée dans un pays tiers. Les règles relatives au statut social des travailleurs indépendants prévoient la possibilité du cumul du statut d’indépendant avec un assujettissement à un autre régime de sécurité sociale et celui-ci peut être la sécurité sociale d’outre-mer, une seule condition étant exigée dans ce choix, à savoir l’exercice d’une activité professionnelle dans un pays hors Union européenne. En l’espèce, pour l’OSSOM, en l’absence de preuve de l’exercice d’une activité principale en Belgique, rien ne s’opposait à une affiliation à l’OSSOM pour une activité principale exercée à l’étranger et à l’INASTI pour une activité complémentaire en Belgique. Pour l’OSSOM, les paiements ont une cause, étant la volonté manifestée par l’intéressé de s’affilier. Les conditions d’une action en répétition d’indu ne sont pas réunies.

En ce qui concerne Monsieur P., qui évoque l’existence d’un indu, il se fonde essentiellement sur le fait que l’affiliation à l’OSSOM est incompatible avec l’assujettissement à un régime belge de sécurité sociale et que la loi du 17 juillet 1963 n’est pas applicable aux personnes occupées au sein de l’Union européenne. Il invoque à l’appui de sa demande divers éléments, tendant à faire admettre que l’activité exercée pendant la période litigieuse était située en Belgique. Il se repose, notamment, sur la position de l’lNASTI qui a confirmé l’affiliation en tant qu’indépendant à titre principal. Par ailleurs, les cotisations dans ce régime ont été versées. Considérant l’exercice exclusif de l’activité en Belgique pendant la période concernée, sa résidence et le centre des intérêts, il en conclut que l’affiliation à l’OSSOM ne se justifiait pas.

La position de la cour du travail

Sur la recevabilité, la cour du travail rappelle que le préalable administratif n’est pas une condition de recevabilité d’une action judiciaire, celui-ci n’étant exigé que lorsque la loi prévoit l’obligation, en vue de l’octroi d’une prestation de sécurité sociale, d’introduire une demande auprès d’une institution de sécurité sociale ou lorsque ladite prestation constitue la mise en œuvre d’une compétence discrétionnaire de celle-ci.

Sur le fond, étant la demande de remboursement des cotisations versées, la cour rappelle les dispositions de la loi du 7 juillet 1963, essentiellement ses articles 12, 14 et 15, relatifs à la participation au régime facultatif de la sécurité sociale d’outre-mer et aux cotisations correspondantes.

C’est à la question du cumul que la cour accorde des développements importants, relevant que, a priori, rien n’empêche que des activités distinctes relèvent de régimes différents. L’exercice d’activités distinctes n’est cependant pas allégué en l’espèce, une seule activité ayant été exercée par l’intéressé.

La cour reprend l’avis du Ministère public, selon lequel si, en fonction du lieu d’occupation, l’affiliation à l’OSSOM est possible, il ne peut y avoir cumul pour celle-ci de l’affiliation à ce régime et d’un assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés. Cependant, rien n’est prévu en ce qui concerne le statut social des travailleurs indépendants. Le Ministère public conclut qu’il n’y a dès lors pas incompatibilité.

La cour ne suit pas l’avocat général.

Elle considère en effet que, pour les mandataires de sociétés qui gèrent de l’étranger une société soumise à l’impôt belge et pour lesquels la présomption irréfragable de l’article 3, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal n° 38 subsiste (enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 3 novembre 2004, arrêt n° 176/2004), il y a obligation d’assujettissement au régime de sécurité sociale belge des travailleurs indépendants. Un risque de cumul pour une même activité peut dès lors exister. Vu le silence du législateur, il ne résulte pas qu’une telle activité est susceptible d’entraîner concomitamment l’affiliation dans les deux régimes.

Ceci pourrait dès lors donner lieu à une discrimination entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants, discrimination injustifiée. Ces deux catégories ne peuvent certes être comparées « à tous égards » mais elles peuvent l’être pour « des questions communes » et, pour celles-ci, une différence de traitement suppose une justification objective et raisonnable. Le cumul éventuel avec une affiliation à l’OSSOM est considéré, pour la cour, comme étant une telle question commune, se posant indifféremment selon que l’on se trouve dans un régime de sécurité sociale en tant que travailleur salarié ou en tant que travailleur indépendant.

Examinant ensuite les éléments de fait, la cour constate que les activités de l’intéressé étaient localisées en Belgique et que ce n’était que dans le cadre d’affaires qu’il se rendait à l’étranger. Les sociétés pour lesquelles l’activité a été exercée étant par ailleurs soumises à l’impôt belge, leur localisation est un élément complémentaire. Mais, pour la cour, à supposer même qu’il faille localiser les activités de Monsieur P. à l’étranger, il y aurait gestion à l’étranger des sociétés en cause, ce qui aurait impliqué l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs indépendants et, ainsi, exclu l’affiliation à l’OSSOM.

Il en résulte que cette affiliation n’était plus légalement justifiée, à partir du moment où l’activité a été rapatriée de l’étranger.

La cour va cependant ordonner la réouverture des débats en ce qui concerne la question de savoir si le paiement des cotisations est ou non intervenu sans cause, un contrat ayant lié l’OSSOM et Monsieur P., contrat, par ailleurs, exécuté par l’OSSOM puisque des soins de santé ont été remboursés. La cour relève à cet égard que Monsieur P. a modifié le fondement de sa demande puisqu’il se fonde, en degré d’appel, non plus sur l’article 1235 du Code civil mais sur la nullité du contrat. Cette question mérite, dès lors, pour la cour d’être approfondie.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est, à notre connaissance, le premier à se prononcer sur la question du cumul entre l’activité exercée en tant qu’indépendant dans le régime belge et l’affiliation volontaire, pour la même période, à l’Office de sécurité sociale d’outre-mer, et ce à partir du principe constitutionnel d’égalité avec les travailleurs salariés.

Il rappelle également que la présomption de l’article 3, § 1er, aliéna 4 de l’arrêt royal n° 38 conserve son caractère irréfragable vis-à-vis des mandataires de sociétés belges qui gèrent une société à partir de l’étranger.


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