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Dans quelle mesure un ancien employé peut-il faire concurrence à son employeur ?

Commentaire de C. Trav. Bruxelles, 27 avril 2011, R.G. 2006/AB/48.769

Mis en ligne le jeudi 7 juillet 2011


Cour du travail de Bruxelles, 27 avril 2011, R.G. n° 2006/AB/48.769

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 27 avril 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’étendue des obligations contenues dans l’article 17, 3° de la loi sur les contrats de travail, en matière de divulgation de secrets d’entreprise et d’exercice d’une concurrence par un ancien travailleur.

Les faits

Un représentant de commerce est licencié, quelques mois après avoir été engagé au motif de « incompatibilité de caractère ». La société fait état de l’existence d’une clause d’essai, qui fixe dès lors à sept jours calendrier le délai de préavis. Elle paie l’indemnité correspondant à celui-ci.

Position du tribunal du travail

Suite au recours introduit par l’employé devant le Tribunal du travail de Nivelles, en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de trois mois, la société introduit une demande reconventionnelle en paiement de diverses sommes, fort importantes (plus de 100.000€ au total) se fondant, notamment, sur le contrat de travail, qui contient une clause reproduisant en gros les termes de l’article 17, 3° de la loi du 3 juillet 1978.

Par jugement du 25 novembre 2005, le tribunal du travail accorde à l’employé l’indemnité compensatoire de préavis réclamée, au motif de la tardivité de la signature du contrat contenant la clause d’essai et, en conséquence, de la nullité de celle-ci. Il condamne cependant celui-ci à 1€ provisionnel au titre de dommages et intérêts pour violation de son obligation de confidentialité.

Il déboute la société de ses autres chefs de demande.

Position de la cour du travail

Suite à l’appel de la société, suivi d’un appel incident de l’employé, la cour est saisie de la totalité de la demande initiale.

Elle va conclure à la confirmation du jugement en ce qui concerne la nullité de la clause d’essai.

Elle va, par ailleurs, s’attacher longuement à la demande formée par l’employeur pour violation d’une clause de non-concurrence, ainsi que des articles 8 du contrat de travail, 1382 du Code civil et 16 à 18 de la loi du 3 juillet 1978.

En ce qui concerne la clause de non-concurrence, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 104 de la loi du 3 juillet 1978, celle-ci ne produit pas ses effets lorsqu’il est mis fin au contrat de travail par l’employeur sans motif grave, ce qui est implique que ce chef de demande n’est pas fondé.

Cependant, sur la liberté pour un ancien salarié de faire concurrence à son employeur, la cour rappelle que le principe de base est celui du droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle.

Ce principe gît dans l’article 23 de la Constitution.

Il en découle qu’un ancien travailleur peut concurrencer son employeur, soit en exerçant une activité pour son compte propre ou en se mettant au service d’une concurrent.

Toujours en vertu de l’article 23 de la Constitution, les conditions d’exercice de ce droit ont fait l’objet de restrictions, restrictions d’interprétation stricte.

Pour la cour du travail, celles-ci se limitent d’une part à la possibilité légale d’intégrer dans le contrat de travail une clause de non-concurrence (non applicable en l’espèce) et d’autre part aux termes de la disposition contenue à l’article 17, 3° de la loi du 3 juillet 1978. Celle-ci vise à la fois l’interdiction de divulguer des secrets dont le travailleur aurait eu connaissance dans l’exercice de son activité professionnelle (secret de fabrication, secret d’affaires ou de toute affaire à caractère personnel ou confidentiel) ainsi que l’interdiction de se livrer ou de coopérer à un acte de concurrence déloyale.

En l’occurrence, cette obligation légale a été reprise dans l’article 8 du contrat de travail.

Ces restrictions au principe général de la liberté de concurrence impliquent, dès lors, la possibilité pour un ancien travailleur de mettre à profit pour son compte propre ou pour celui d’un nouvel employeur la formation, les connaissances et l’expérience professionnelle acquises au service de l’employeur précédent, à la condition cependant qu’il n’utilise, ni ne divulgue des informations confidentielles. Cette liberté inclut la possibilité de débaucher la clientèle de l’ancien employeur, ce qui est précisément la nature de la concurrence. Mais celle-ci ne peut être déloyale : constituent de tels comportements le dénigrement et l’usage d’informations confidentielles, notamment. Dans l’hypothèse d’une violation par le travailleur de ses obligations, l’ex-employeur peut obtenir une indemnisation mais il doit établir les éléments de son préjudice conformément aux règles du droit commun de la responsabilité.

La cour du travail examine les griefs faits par la société en ce qui concerne le caractère loyal ou non de la concurrence faite.

En ce qui concerne le dénigrement, la cour n’accord pas de force probante déterminante à deux déclarations écrites, l’une d’un fournisseur (qu’elle considère comme n’étant manifestement pas objective) ainsi que d’un autre tiers, qui aurait été en litige avec le représentant de commerce (et se serait plaint d’avoir été harcelé et licencié par lui).

La question du détournement de fournisseurs et de clientèle au profit d’un nouvel employeur est plus délicate, vu qu’est établi un contact pris par l’ancien représentant avec un fournisseur de son ancien employeur – contact qui n’a pas été suivi d’effet. La cour retient qu’il s’agit d’un comportement déloyal mais que le seul constat qui peut être posé est celui d’une tentative de poser un acte de concurrence déloyale. Ceci découle de l’absence de suite donnée par le fournisseur en question.

Dès lors, la cour constate que l’ex-employeur est en défaut de prouver l’existence d’un préjudice réel, vu que le détournement de commandes et/ou de clientèle n’est pas prouvé. Il y a ici faute mais absence de dommage avéré.

La cour va dès lors confirmer le jugement sur la condamnation à 1€ symbolique.

Intérêt de la décision

La cour rappelle ici les contours des obligations du travailleur, lorsque celui-ci est en mesure de faire une concurrence à son ancien employeur. L’intérêt de l’arrêt est également d’insister sur l’exigence d’un préjudice. Une faute dûment avérée, dans le cadre des limites autorisées en matière de concurrence, n’est susceptible d’entraîner la condamnation à des dommages et intérêts significatifs que si le dommage correspondant est établi.


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