Terralaboris asbl

Critères permettant de retenir le statut d’ouvrier ou d’employé

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 février 2011, R.G. 2008/AB/51.312

Mis en ligne le mercredi 7 septembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 17 février 2011, R.G. 2008/AB/51.312

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 février 2011, la Cour du travail de Bruxelles examine longuement les critères de distinction à retenir pour définir des fonctions d’employé et ceux à rejeter car indifférents.

Les faits

Monsieur D. est engagé en qualité d’ouvrier en 1976 pour effectuer des tâches d’ajusteur, et ce au service d’une grande société de l’aéronautique.

Il travaille ainsi pendant plus de 15 ans en tant qu’ouvrier polyvalent, effectuant des travaux d’ajustage, de traçage et de finition. Il effectue ensuite, dans un centre d’outillage, des travaux d’assemblage pour les avions F-16. Suite à une mutation interne, il devient mécanicien polyvalent dans un service d’installations hydrauliques. Il est ultérieurement transféré dans un laboratoire thermique. Après que ses compétences ont pu être constatées par sa hiérarchie, il se voit remettre par « mémorandum » une proposition de passage à la fonction de technicien de laboratoire. Cette proposition de changement de statut n’a cependant pas reçu l’approbation du directeur technique lorsque l’intéressé tombe en incapacité de travail de très longue durée. Celle-ci va durer 5 ans et, en 2000, la société met fin au contrat de travail avec effet immédiat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Il s’agit d’une indemnité qui sera globalement de 22 semaines de rémunération, soit celle correspondant à des fonctions d’ouvrier. Entre-temps, pendant son incapacité de travail, l’intéressé a réclamé le statut d’employé, avec effet rétroactif.

La procédure devant le Tribunal du travail

L’intéressé soulève une contestation très large, devant le Tribunal du travail, portant non seulement sur sa qualité d’employé, mais également sur un ensemble de postes (salaire garanti, indemnité compensatoire de préavis, avantages contractuels, etc.) liés au statut d’employé.

Le Tribunal du travail va rendre deux jugements, en dates des 23 avril 2002 et 13 janvier 2004, faisant très largement droit à la demande dans l’ensemble de ses chefs.

Position des parties devant la Cour

La société conteste qu’au moment de la prise de cours de l’incapacité de travail, l’intéressé ait accompli des fonctions ayant un caractère intellectuel prédominant, correspondant à celle de technicien de laboratoire.

La société se fonde sur la circonstance que les tâches exercées ont toujours relevé du statut d’ouvrier et qu’il n’a pas dans les faits exercé des fonctions de technicien mais a été intégré temporairement à des projets spécifiques dans lesquels il a toujours effectué ce même type de travaux. Pour la société, lors de son occupation au sein du laboratoire thermique, l’intéressé s’occupait du montage de tubes nécessaires aux essais thermiques et de l’installation d’équipements de tests, ensemble de tâches correspondant à des fonctions d’ouvrier. La société fait également valoir l’absence d’expérience nécessaire, de compétences requises et de connaissance de base minimum, ou encore de capacités d’assimilation suffisantes. Le travailleur aurait, pour la société, approché, sous le contrôle de ses supérieurs hiérarchiques, le rôle d’un technicien, mais ceci ne constituait pas l’essentiel de sa fonction. La société rappelle un arrêt de la Cour du travail de Liège du 15 janvier 2008 (C. trav. Liège, 15 janvier 2008, J.T.T., 2008, p. 120), selon lequel la qualification donnée par les parties à leur convention doit primer, sauf erreur, fraude ou présence d’éléments de la convention ou de son exécution en contradiction avec ladite qualification.

Quant à l’intéressé, il fait valoir le caractère principalement intellectuel des fonctions exercées à partir de sa dernière affectation, qui avait d’ailleurs abouti à la proposition de sa hiérarchie directe d’officialiser, par une promotion, la transformation du statut, passant de la catégorie d’ouvrier à celle d’employé.

La Cour statue, sur la base des éléments qui précèdent, en rappelant les contours des articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Elle reprend l’enseignement constant de la Cour de cassation, selon lequel le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties à la convention qu’elles ont conclue (voir notamment Cass., 7 septembre 1992, Pas., 1992, 1, p. 999), les fonctions réellement exercées étant le critère à retenir pour déterminer la qualité d’ouvrier ou d’employé (la Cour renvoyant ici à Cass., 10 mars 1980, J.T.T., 1982, p. 122).

En vertu des principes applicables, le seul critère de distinction réside dans le caractère principalement intellectuel ou principalement manuel du travail effectivement exécuté par le travailleur et tout autre critère doit être écarté.

Ne sont ainsi pas déterminants des éléments tels que la formation, le diplôme, la responsabilité ou encore l’autorité exercée sur d’autres travailleurs.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour analyse le parcours professionnel du travailleur, mécanicien polyvalent s’étant vu confier des travaux dans un laboratoire. A partir des éléments de fait, la Cour retient, comme le premier juge, que des fonctions de technicien de laboratoire ont été exercées, soit des fonctions différentes des fonctions précédentes.

La Cour relève plus particulièrement, à partir d’un descriptif de fonctions établi avant la naissance du litige, que l’intéressé devait fabriquer et assembler des appareils suivant les dessins provenant du bureau d’étude ou de lui-même, qu’il devait identifier les problèmes de fabrication, rapporter aux ingénieurs de conception, effectuer les tests, fournir les résultats des essais et identifier les problèmes. La Cour fait sienne la conclusion sur ce point du premier juge, étant que cette description de fonctions vise à fournir les résultats des essais, et ce de manière critique, finalité qui constitue la raison d’être de la fonction et lui confère une composante intellectuelle prédominante, malgré qu’elle nécessite, à cette fin et de manière qualifiée d’importante, la réalisation de travaux manuels (montage, notamment).

La Cour rejette par ailleurs les arguments tirés du manque de connaissance reproché au travailleur, relevant, avec le premier juge, que la qualification légale du contrat employé ou ouvrier dépend du caractère principalement intellectuel ou manuel des fonctions et que le diplôme obtenu est par conséquent sans pertinence, les griefs tirés d’une prétendue inaptitude à la fonction n’étant par ailleurs pas établis. La Cour souligne encore le parcours professionnel, qui a abouti à la proposition d’un changement de catégorie. Par ailleurs, que l’intéressé ait exercé ses fonctions sous l’autorité et les directives du responsable du laboratoire est sans incidence sur le caractère principalement manuel ou intellectuel des tâches.

La Cour confirme dès lors le jugement du Tribunal et examine en conséquence les chefs de demande présentés aux fins de faire valoir les droits de l’intéressé en tant qu’employé.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est rendu dans une espèce où n’existe pas de classification professionnelle permettant de déterminer les critères à appliquer. S’il y a effet une commission paritaire (111) permettant de fixer certains repères, elle ne s’applique qu’au personnel ouvrier et ne règle pas la question du passage au statut d’employé, les fonctions correspondantes faisant cependant l’objet de précisions internes au niveau de l’entreprise.

La Cour rappelle, en conséquence, les principes généraux à partir desquels doit être retenu l’un ou l’autre statut, étant que seul est déterminant le caractère principalement intellectuel ou principalement manuel du travail effectivement réalisé en vertu du contrat. Les autres éléments (diplôme, compétences,...) étant périphériques et ne permettant pas de trancher la question.


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