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Réduction des interventions de l’INAMI pour les pensionnaires de maisons de repos : illégalité des deux arrêtés royaux du 4 avril 2003 confirmée par la Cour du travail de Bruxelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 juin 2011, R.G. 2009/AB/52.809

Mis en ligne le jeudi 22 septembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 30 juin 2011, R.G. 2009/AB/52.809

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 30 juin 2011, la Cour du travail de Bruxelles considère - à l’instar de la Cour du travail de Mons - que les deux arrêtés royaux du 4 avril 2003 fixant la catégorie de dépendance des bénéficiaires de prestations résidant en maison de repos sont illégaux.

Les faits

L’INAMI organise dans une maison de repos un contrôle concernant les catégories de dépendance. Il en résulte l’adaptation des catégories de 18 pensionnaires. Le Collège local (de la province du Brabant wallon) prend une décision, notifiée à la résidence. Celle-ci fait valoir ses contestations et observations en réponse. L’INAMI transmet, alors, le résultat de calculs révisés et envoie un questionnaire à la résidence. Celui-ci ayant été retourné, l’INAMI notifie une diminution importante de l’allocation forfaitaire pour l’année de facturation en cause. Après un nouvel échange de correspondance, deux notifications sont faites par l’INAMI adaptant sa décision. Une contestation persistant pour certains pensionnaires, citation est lancée par la maison de repos et un certain nombre de résidents pour obtenir la désignation d’un expert. La demande porte également sur l’annulation ou le refus d’application des diverses décisions prises par l’INAMI ainsi que sur la réparation du préjudice causé par la faute du Collège local.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail désigne un expert et il rend son jugement sur le fond le 20 novembre 2009. Il déclare l’action recevable et fondée et condamne l’INAMI à donner injonction aux organismes assureurs de rembourser le montant des sanctions appliquées, outre les intérêts moratoires.

Décision des parties en appel

L’INAMI demande la réformation du jugement en ce qu’il a annulé les diverses décisions prises et en ce qu’il l’a condamné à donner injonction aux organismes assureurs de rembourser le montant des sanctions.

Les parties intimées demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a constaté l’illégalité des décisions prises. Elles demandent que la responsabilité de l’INAMI soit retenue et outre la restitution des sommes correspondant à la diminution du forfait alloué et à la diminution du budget pour les années postérieures à la décision de déclassement, que l’INAMI soit condamné à réparer le préjudice causé par les décisions fautives prises, étant que des injonctions doivent être données aux Unions Mutualistes, en vue de rectifier lesdits montants.

Décision de la cour du travail

La cour du travail rappelle les dispositions légales réglant le contrôle des catégories de dépendance. La loi du 30 décembre 2001 a introduit dans la loi INAMI un article 37quater, qui autorise une procédure permettant de réduire pour un dispensateur individuel les interventions auxquelles il a droit, s’il est constaté que l’instrument d’évaluation qui sert à déterminer l’intervention de l’assurance soins de santé obligatoire est appliqué erronément de manière qualifiée de « significative ». Des mesures d’exécution de cette disposition sont prévues, la volonté du législateur étant, - ainsi que le souligne la cour - de réduire les interventions pour le dispensateur qui applique à mauvais escient mais de façon significative l’instrument d’évaluation utilisé en vue de déterminer le besoin ou la dépendance. La réduction des interventions et honoraires ne peut, en vertu de la disposition légale, être récupérée par le dispensateur auprès des bénéficiaires.

Les mesures d’exécution sont contenues dans un arrêté royal du 4 avril 2003, qui est accompagné d’un autre de la même date, modifiant la réglementation existante (étant l’arrêté royal du 3 juillet 1996).

La cour examine assez longuement la question de la légalité des deux arrêtés royaux, dont le premier juge a conclu à l’illégalité, la consultation de la section de législation du Conseil d’Etat n’ayant pas été faite dans les règles. L’urgence invoquée pour solliciter l’avis de la section de législation dans un délai ne dépassant pas trois jours est, en effet, insuffisamment motivée et a été par ailleurs démentie par les circonstances d’adoption, de publication et d’entrée en vigueur de la réglementation.

La cour reprend longuement, en droit, l’étendue du contrôle de légalité de la part du juge lorsqu’une urgence est invoquée en vue de ne pas soumettre le texte à la section de législation du Conseil d’Etat ou de soumettre le texte dans un délai ne dépassant pas trois jours. La cour rappelle qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 21 janvier 2008 RG S.07.0025.F), le contrôle de légalité doit être effectué sur la base des seuls motifs mentionnés dans l’acte que le juge envisage d’appliquer. Il faut vérifier l’exactitude des éléments de fait invoqués pour justifier l’urgence et, de même, apprécier s’ils ont été régulièrement qualifiés et estimés.

La cour reprend, en l’espèce, pour chacun des arrêtés royaux, les délais de promulgation et de publication, notamment. Elle relève que dans les deux cas le préambule se réfère à l’urgence de mettre en œuvre une disposition légale (disposition prise le 30 décembre 2001, modifiée le 22 août 2002, soit plusieurs mois avant la consultation du Conseil d’Etat).

Aucune explication utile n’étant donnée pour justifier les délais de publication, la cour conclut d’un ensemble d’éléments que l’urgence est démentie par des éléments postérieurs à la consultation du Conseil d’Etat. Il y a dès lors illégalité.

Sur les conséquences de celle-ci, la cour constate ne pas pouvoir se substituer à l’INAMI. Les arrêtés royaux étant écartés, seul le médecin-conseil de l’organisme assureur a le pouvoir de remettre en cause, et ce sans effet rétroactif, les catégories de dépendance déclarées par la maison de repos et admises précédemment par lui. C’est l’article 153, § 2 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 (tel qu’en vigueur à l’époque des faits). En l’occurrence, les décisions litigieuses n’émanent pas de ces médecins-conseils.

La cour examine ensuite les conséquences financières de cette situation, considérant essentiellement que la demande de responsabilité pour faute implique que soient établis des faits fautifs ainsi que le lien de causalité avec le dommage vanté, outre l’ampleur de celui-ci. Le simple fait que des décisions administratives aient été annulées ou privées d’effet en raison de leur illégalité ne suffit pas.

La cour va, ensuite, rencontrer certains griefs, dont la violation des règles de bonne administration, qu’elle va considérer comme établie en l’espèce, étant un manque de précaution dans le contrôle, qui a amené une erreur manifeste entraînant un préjudice distinct de celui résultant de l’illégalité des décisions.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 30 juin 2011 confirme la jurisprudence de la Cour du travail de Mons (voir notamment C. trav. Mons, 13 avril 2011, RG 2009/AM/21687) précédemment commentée et a été précédé d’un autre arrêt (C. trav. Bruxelles, 22 juin 2011, R.G. n° 2009/AB/52173 - 8e chambre – autrement composée), qui était également arrivé à la conclusion d’illégalité.

L’intérêt de ces décisions, dont les conclusions concordent sur l’illégalité des arrêtés royaux, réside dans les conséquences de l’illégalité constatée. Les conséquences sont, bien évidemment, essentiellement d’ordre financier et, dans son arrêt du 13 avril 2011, la Cour du travail de Mons avait conclu à un dommage moral fixé en équité à 5.000€. C’est également ce montant qui est réclamé par les parties intimées dans la présente affaire. La Cour du travail de Bruxelles ne tranche pas, dans cet arrêt, ordonnant une réouverture des débats pour … le 21 juin 2012.

Affaire à suivre donc.


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