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Incapacité de travail : notion médicale qui doit prendre en compte les répercussions socio-économiques

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 juin 2011, R.G. 2009/AB/52.806

Mis en ligne le jeudi 13 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 8 juin 2011, R.G. n° 2009/AB/52.806

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 8 juin 2011, la Cour du travail de Bruxelles précise la notion de « groupe de professions » contenue à l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 en matière de soins de santé et indemnités, dans le cas d’un ouvrier spécialisé.

Les faits

Un ouvrier a une carrière professionnelle d’une trentaine d’années, pendant laquelle il occupe au sein de la même entreprise des fonctions de monteur en mécanique et ensuite de mécanicien sur machine. Il tombe en incapacité de travail, celle-ci étant admise par le médecin-conseil de sa mutuelle. Le motif est lombo-sciatalgies et hypertension. Six mois et demi plus tard, le même médecin-conseil considère qu’il n’y a plus incapacité de travail de plus de 66%.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Nivelles désigne un expert, qui donne un avis très circonstancié en ce qui concerne l’état de santé et également l’ensemble du groupe de professions accessibles.

En ce qui concerne le problème de la colonne dorso-lombaire, il constate d’abord qu’il y a une dégradation chronique non susceptible d’amélioration. Les lésions constatées ne représentent pas 66% d’incapacité ou d’invalidité, sur le plan médical. L’expert précise cependant que l’intéressé ne peut plus être affecté à un poste de travail en station debout prolongée, de même qu’à tout autre poste de travail qui comporterait le port de charges lourdes.

Relevant que c’est le même métier qui a été exercé, sur machine, depuis plus de trente ans et que la formation de l’intéressé est uniquement une formation en soudure et mécanique, aucune autre expérience professionnelle et ni aucune autre formation n’ayant été donnée, l’ensemble du groupe de professions à prendre en compte au sens de l’article 100 requiert une capacité de travail en position debout prolongée. Elle requiert également et régulièrement l’accomplissement de travaux lourds. L’expert en conclut qu’il s’agit de deux situations incompatibles avec l’état de santé de l’intéressé. Vu par ailleurs l’absence de toute autre formation professionnelle, la capacité de gain de l’intéressé est égale ou inférieure au tiers de ce qu’une personne de même condition et de même formation pourrait gagner par son travail.

S’appuyant sur ces conclusions, le tribunal du travail relève que l’expert a correctement appliqué les critères légaux. Le tribunal approuve la démarche de l’expert, qui a d’abord examiné les lésions sur le plan purement physique (et a conclu qu’elles ne représentent pas, en elles-mêmes, une perte de capacité supérieure à 66%) et ensuite a apprécié cette situation médicale au regard de tout travail s’exerçant majoritairement en position debout prolongée ou exigeant le port de charges lourdes : c’est le groupe de professions accessibles en raison de la formation professionnelle de l’intéressé. Il est dès lors normal, pour le tribunal, de retenir ces professions, qui impliquent l’accomplissement de travaux lourds. Ce type de travaux ne pouvant plus exercé, il y a incapacité à plus de 66%.

Décision de la cour du travail

Sur appel de l’organisme assureur, la cour reprend les conditions exigées par l’article 100 de la loi coordonnée, pour bénéficier de l’assurance indemnités, étant que (i) le travailleur doit avoir cessé toute activité, (ii) cette cessation doit être la conséquence directe du début ou de l’aggravation des lésions ou des troubles fonctionnels en cause et (iii) ces troubles et lésions doivent entrainer une réduction de deux tiers de la capacité de gain.

La cour rappelle dès lors que l’existence d’un problème de santé ne justifie pas en elle-même l’octroi d’indemnités. Il faut une réduction de la capacité de gain et celle-ci doit être importante.

Mais c’est sur l’appréciation de la capacité de gain que la cour va s’arrêter, puisqu’elle requiert l’examen de critères socio-économiques : l’âge, le sexe, la nationalité, la formation professionnelle, le passé professionnel, etc.

Après les six premiers mois, la référence ne plus faite à la profession habituelle de l’intéressé mais à la possibilité de gain d’une personne de même condition et de même formation soit dans le groupe de professions dans lesquelles est rangée l’activité du travailleur au moment où il et tombé en incapacité soit dans les diverses professions qu’il a ou qu’il aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle.

La cour rappelle ici l’important arrêt de la Cour de cassation du 26 février 1990 (Cass., 6 février 1990, Pas., 1990, I, p. 755) où a été cassée une décision ayant conclu à la reconnaissance de l’incapacité de travail dans le chef d’un ouvrier qui ne pouvait plus exercer de travaux lourds, la cour du travail n’ayant cependant pas constaté l’inaptitude de celui-ci à exercer des travaux légers. La cour du travail rappelle dès lors que dans cet arrêt la Cour suprême enseigne que pour un travailleur non spécialisé ayant effectué dans travaux lourds, il faut également vérifier l’inaptitude à exercer des travaux légers non spécialisés.

Revenant au rapport d’expertise, la cour fait siennes les conclusions de l’expert en ce qui concerne la notion d’incapacité de travail : ce n’est pas une notion purement médicale et il n’est dès lors pas contradictoire de relever que d’une part sur le plan strictement médical l’incapacité n’atteint pas 66% mais que d’autre part après pris en compte des critères socio-économiques, il y a une telle réduction de la capacité de gain.

Mais c’est à la question de l’évaluation de l’incapacité eu égard à la possibilité d’exercer des travaux légers que la cour consacre des développements importants. Elle relève en effet que, dans la carrière professionnelle de l’intéressé au sein de la même société, celui-ci a acquis un haut degré de qualification dans un domaine très spécialisé. Il a en effet dû suivre une formation de trois mois en début de carrière avant de pouvoir utiliser la machine sur laquelle il devait travailler. Lorsqu’elle fut remplacée, il dut de nouveau suivre une formation spécialisée pendant six mois vu l’informatisation de l’équipement et ultérieurement, vu son expérience, il fut chargé d’une mission à l’étranger, en vue du démontage d’une telle machine appartenant à une société du groupe. Il fut également associé à la formation d’autres collègues qui devaient utiliser la machine.

La cour du travail en conclut que, à partir de ce profil professionnel, le groupe de professions à prendre en compte est celui des professions manuelles spécialisées en milieu industriel. Elle constate que celles-ci requièrent généralement une position debout ainsi que le port de charges et que les conclusions de l’expert ainsi que la décision du tribunal ont à juste titre considéré que ces professions ne sont plus accessibles.

La cour précise encore que les métiers non spécialisés ne font pas partie des professions de référence et qu’il est dès lors inadéquat de vérifier l’accessibilité de métiers légers non spécialisés. Il ne s’agit en effet pas de professions rentrant dans le groupe de référence, puisqu’elles ne concernent pas des travailleurs de « même condition ».

Enfin, la cour réserve un dernier développement aux possibilités de reclassement, reprenant les formations suivies (formation de soudeur et autres formations très spécialisées suivies dans le cadre des activités professionnelles) pour conclure que, de manière réaliste, l’intéressé ne peut plus réellement exercer une autre profession accessible vu sa formation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles apporte à la matière de l’évaluation de la l’incapacité de travail en soins de santé et indemnités un élément important, étant qu’’il s’attache à définir le groupe de professions de référence après les six premiers mois d’incapacité. La cour reprend ici le parcours professionnel de l’intéressé pour conclure qu’il faut retenir des professions manuelles spécialisées en milieu industriel. Dès lors des métiers non spécialisés, même en travail léger, ne sont pas susceptibles d’intervenir dans cette appréciation. La cour définit ici la notion de travailleur de même condition que le bénéficiaire d’indemnités.


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