Terralaboris asbl

Pécules de vacances et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 mars 2011, R.G. 2001/AB/40.905

Mis en ligne le lundi 17 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 16 mars 2011, R.G. n° 2001/AB/40.905

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 16 mars 2011, la Cour du travail de Bruxelles est saisie d’une demande de paiement de cotisations de sécurité sociale sur les pécules de vacances complémentaires pour les deux jours de la quatrième semaine de vacances dans le chef de l’ex-SNCV (dont les droits et obligations ont été repris par la SRWT).

Les faits

L’ONSS réclame des cotisations de sécurité sociale pour les pécules de vacances complémentaires relatifs aux deux jours de la quatrième semaine de vacances. Il s’agit d’une dette ancienne, le litige ayant été introduit en 1987 contre la Société Nationale des Chemins de fers Vicinaux. Après la dissolution de celle-ci, c’est en l’occurrence le SRWT qui est à la cause, avec la VVM (Vlaamse Vervoer Maatschappij).

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail a, par jugement du 10 octobre 2000, déclaré prescrite une partie de la demande mais a retenu que des cotisations sociales étaient dues, ainsi que les accessoires et a condamné les deux sociétés publiques au paiement de celles-ci.

Décision de la cour du travail

La cour pose le problème comme suit : avant l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 19 novembre 1987 (modifiant l’arrêté royal du 28 novembre 1969), les cotisations de sécurité sociale étaient-elles dues sur les doubles pécules de vacances versés au personnel pour les deux jours de la quatrième semaine ?

Si la question peut paraître circonscrite à une société publique disparue et à ses obligations pendant une période révolue, la cour réexamine cependant l’ensemble du cadre juridique de référence et particulièrement les conditions d’application au secteur public de la réglementation en matière de vacances annuelles en vigueur dans le secteur privé.

La loi du 27 juin 1963 fixant le pécule de vacances du personnel de certains organismes d’intérêt public et allouant à ceux-ci le pécule de vacances accordé aux agents de l’état n’est pas applicable à la SNCV. En effet, à l’époque, en matière de pécule de vacances, la plupart des organismes parastataux étaient soumis aux dispositions en vigueur dans le secteur privé, ce qui n’a jamais été contesté et a été confirmé par l’article 11, § 3 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Les lois sur les vacances annuelles des travailleurs salariés coordonnées le 28 juin 1971 sont dès lors applicables au personnel contractuel.

La cour examine ensuite la convention collective n° 20 conclue au sein du Conseil national du Travail le 29 janvier 1976 relative à l’octroi d’un double pécule pour une partie de la quatrième semaine de vacances. Cette CCT a fait l’objet de modifications successives et, en fin de compte, le double pécule relatif à une partie de la quatrième semaine de vacances a fait l’objet d’une mesure figurant dans la loi-programme du 30 décembre 1988.

En ce qui concerne les cotisations de sécurité sociale, celles-ci sont calculées sur la base de la rémunération du travailleur, rémunération dont la notion est déterminée par l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. C’est le salaire en espèces et les avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement. Les pécules de vacances sont exclus de cette notion et ne sont dès lors pas à prendre en compte dans la base des cotisations de sécurité sociale. Il y a dérogation pour le simple pécule de vacances, qui constitue de la rémunération mais le double pécule de vacances connaît un sort différent.

La SNCV étant un organisme d’intérêt public, elle n’était pas assujettie aux dispositions de la loi du 5 décembre 1968 et la CCT n° 20 ci-dessus ne lui était dès lors pas applicable. Il s’avère cependant qu’elle a accordé à son personnel un double pécule de vacances équivalent – et ce parce que, étant exclue du champ d’application de la loi du 27 juin 1963, elle a fait bénéficier son personnel du même régime que celui en vigueur au sein du secteur privé. La cour se réfère ici au jugement, dont elle confirme la conclusion, à savoir que c’est à juste titre que le double pécule de vacances qui était payé n’est pas un pécule de vacances visé par la convention collective n° 20. Les travaux préparatoires de la loi du 27 juin 1963 ne peuvent en effet, pour la cour, avoir pour conséquence d’étendre le champ d’application de l’exonération prévue par l’article 19, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969.

La cour s’écarte, à ce stade de son raisonnement, de la conclusion du tribunal, dans la mesure où elle voit une différence de traitement injustifiée entre les employeurs soumis à la loi du 5 décembre 1968 et un organisme d’intérêt public qui avait respecté la convention collective n° 20 (non applicable en tant que telle) afin de se conformer aux travaux préparatoires de la loi du 27 juin 1963.

Reprenant les principes relatifs à l’égalité de traitement tels que rappelés régulièrement par la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation, rappelant également les étapes du contrôle judiciaire, la cour souligne qu’en matière de sécurité sociale, la Cour constitutionnelle est particulièrement sensible aux critères de comparabilité suffisante de la personne prétendument discriminée ainsi que de la catégorie de référence (qui comprend les bénéficiaires d’un régime plus favorable). Ainsi, si la Cour a régulièrement considéré qu’il existait des différences fondamentales entre les travailleurs indépendants et les travailleurs salariés et les fonctionnaires sur le plan des régimes de sécurité sociale applicables, elle a cependant admis que, sur des questions communes, des comparaisons peuvent être faites et qu’une comparabilité suffisante peut exister. La cour cite quelques exemples : pension de conjoint divorcé, risques professionnels (maladies professionnelles et accidents du travail). Elle constate que la question à résoudre en l’espèce est particulièrement délicate dès lors qu’il s’agit d’une différence de traitement injustifiée ayant pour origine le champ d’application d’une norme. Quel est le pouvoir du juge ?

L’arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 2008 (Cass., 3 novembre 2008, S.07.0013.N) donne la solution : le juge peut et doit pallier la lacune s’il peut mettre fin à l’inconstitutionnalité en suppléant simplement à l’insuffisance de la disposition légale litigieuse dans le cadre des dispositions légales existantes. Il ne peut par contre se substituer au législateur si la lacune est telle qu’elle exige nécessairement l’instauration d’une nouvelle règle qui doit faire l’objet d’une réévaluation des intérêts sociaux ou requiert une modification d’une ou de plusieurs dispositions légales.

Si la différence de traitement figure dans un arrêté royal, le juge doit écarter la disposition en cause et appliquer celle qui préexistait, si elle existe et encore, après un examen de constitutionnalité.

La cour relève ici que à l’époque, la SNCV et les employeurs du secteur privé appliquaient, en matière de vacances annuelles, les mêmes dispositions légales : ils constituent dès lors des catégories comparables et, s’il y a une différence de traitement entre eux, elle n’est acceptable que pour autant que le critère de différenciation soit susceptible de justification objective et raisonnable.

Ce critère est en l’espèce l’exclusion de la SNCV du champ d’application de la CCT n° 20 et, s’il y a eu alignement « historique » sur le secteur privé, ceci n’est pas de nature à justifier une différence de traitement au niveau du calcul des cotisations de sécurité sociale. En effet, le paiement des mêmes pécules de vacances était conforme à la volonté du législateur, le risque d’abus (octroi de primes supplémentaires sous le vocable de pécules complémentaires) était inexistant. En outre, suite à l’action introduite par l’ONSS en la présente cause, la réglementation a été modifiée, l’article 19, § 1er, alinéa 4 de l’arrêté royal précisant – depuis – que la même réglementation de sécurité sociale est appliquée aux organismes d’intérêt public qu’au personnel tombant sous la CCT n° 20. En conséquence, l’article 19, § 1er, alinéa 4 était, dans sa mouture précédente, contraire aux articles 10 et 11 de la constitution.

Intérêt de la décision

Réglant une situation ancienne, cet arrêt pose cependant, à propos de catégories d’employeurs (privés et publics) redevables de cotisations de sécurité sociale, la question de la comparabilité suffisante en sécurité sociale, en référence à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation en la matière. Il corrige, en l’espèce, les effets néfastes d’une situation juridique qui a résulté de l’application boiteuse d’un régime de sécurité sociale du secteur privé à un employeur public.


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