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Les différences de plafond de revenus autorisés pour un pensionné dans le cadre de l’exercice d’une activité complémentaire avant ou à partir de 65 ans sont-elles discriminatoires ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 28 juin 2011, R.G. 2010/AL/546

Mis en ligne le vendredi 21 octobre 2011


Cour du travail de Liège, section Liège, 28 juin 2011, R.G. n° 2010/AL/546

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 juin 2011, la Cour du travail de Liège considère qu’il n’est pas discriminatoire de n’autoriser, pour les bénéficiaires d’une pension de retraite qui n’ont pas 65 ans, l’exercice d’une activité professionnelle limitée, par rapport aux retraités de 65 ans et plus.

Les faits

A l’âge de 60 ans, un travailleur salarié demande à bénéficier d’une pension de retraite au taux isolé. Il a à ce moment une carrière correspondant au moins à 45/45e.

Lors de l’introduction de la demande, il complète la déclaration relative à l’exercice de l’activité professionnelle (Mod. 74). Il explique avoir cessé toute activité.

Six ans plus tard, en 2009, l’ONP relève qu’une activité de salarié a été exercée pour l’année 2005, activité dont le produit a dépassé le montant limite autorisé. Pour les années 2006 et 2007, il en va de même.

En conséquence, l’ONP procède à la revision de la décision initiale. Il suspend la pension depuis l’année 2005 (où une activité a été entreprise) et ordonne la restitution des prestations indues (le délai de prescription appliqué étant de trois ans).

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 10 août 2010, le Tribunal du travail de Huy annule la décision de l’ONP, au motif que la différence de plafond de revenus autorisés fixée par arrêté royal entre une personne ayant une carrière complète et prenant une pension anticipée et une autre personne qui a la même carrière mais prend sa retraite à l’âge de 65 ans viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Position des parties en appel

En substance, l’ONP fait valoir que les limites de l’activité autorisée sont établies en fonction de l’âge du pensionné et non de sa carrière. L’âge de 65 ans est un critère objectif, de telle sorte que les règles constitutionnelles de l’égalité des belges n’ont pas été violées, en l’absence d’une discrimination interdite. L’ONP demande confirmation de la décision.

Quant à l’intéressé, il plaide l’absence de critères ou de justifications raisonnables de la différence de traitement entre les travailleurs de 65 ans et ceux n’ayant pas cet âge, au motif que la question des limites autorisées concerne tous les travailleurs, indépendamment de cet élément.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les dispositions applicables, étant essentiellement l’arrêté royal du 23 décembre 1996, relatif à la prise de cours de la pension de retraite (art. 2, 1°) ainsi qu’aux modalités de prise de cours de la pension anticipée, à la demande de l’intéressé (art. 4). Dans l’hypothèse de cette pension anticipée, la cour rappelle qu’il est exigé une carrière d’au moins 35 années civiles susceptible d’ouvrir des droits à la pension (art. 192 de la loi-programme du 27 décembre 2004).

En ce qui concerne les cumuls, la cour renvoie à l’arrêté royal du 21 décembre 1967 déterminant les conditions d’autorisation moyennant déclaration préalable. Elle rappelle que le montant du revenu professionnel brut autorisé ne doit pas excéder un certain plafond, qui en l’espèce était de l’ordre de 21.400€. En ce qui concerne le bénéficiaire d’une pension anticipée, celui-ci peut (sauf exception) exercer une activité professionnelle dont le revenu professionnel brut est inférieur, étant dans l’espèce d’environ 7.400€.

C’est sur la question de savoir si cette disposition viole ou non la Constitution que la cour s’attarde. Elle retient que la règle de non-discrimination n’exclut pas qu’une distinction soit faite entre diverses catégories de personnes pour autant que le critère de distinction retenu soit susceptible de justifications objectives et raisonnables, les justifications en cause devant être appréciées par rapport au but et aux effets de la mesure. Un deuxième motif de violation du principe de l’égalité est l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens invoqués et le but visé.

La cour examine le fondement de la distinction, qu’elle déclare résider non seulement dans des considérations budgétaires mais également dans des motifs de politique de sécurité sociale. S’il est acquis depuis longtemps que l’on favorise les travailleurs prenant leur pension à l’âge normal (la cour précisant qu’auparavant en cas d’anticipation le montant de la pension était d’ailleurs réduit de 5% par année anticipée), il s’est agi de maintenir l’équilibre de la sécurité sociale en favorisant les rentrées de cotisations de sécurité sociale pendant une période d’activité professionnelle déterminée en ne devant restituer des prestations avant un certain âge. Pour la cour, il s’agit d’un droit de chaque pays de veiller à l’équilibre de son système de sécurité sociale par des mesures appropriées. Le fait de favoriser la prise de la pension avant l’âge de 65 ans est dès lors contraire au but poursuivi, étant l’établissement d’un système de sécurité sociale à la fois efficace et équilibré.

Quant à la question évoquée par le demandeur, qui estimait être dans une situation comparable aux autres travailleurs, ayant une carrière complète et prenant leur pension de retraite à l’âge de 65 ans, la cour retient que, s’il y a comparabilité, elle n’existe que pour la carrière complète et que, pour les autres facteurs, la situation n’est nullement comparable. En effet, le législateur a prévu diverses dispositions pour le travailleur atteignant l’âge normal de la pension de retraite, âge auquel leur situation est profondément modifiée. Il existe, en effet, des possibilités de préavis réduit ainsi que la fin du bénéfice d’allocations de chômage ou d’indemnités de mutuelle. Il y a dès lors un critère objectif en l’espèce et la réglementation pouvait valablement prévoir des montants différents en ce qui concerne l’activité autorisée au vu de l’âge normal de la pension.

La cour revient encore sur les effets de la prise de pension avant l’âge de 65 ans, étant que les travailleurs concernés ne contribueront plus à alimenter par leurs cotisations la sécurité sociale et la cour considère dès lors normal de limiter leurs activités, ceux-ci ayant librement choisi de se passer de revenus professionnels pour devenir inactifs.

Il n’y a dès lors, pour la cour du travail, pas de violation.

Elle examine, enfin, la règle de prescription et maintient avec l’ONP que celle-ci doit être de trois ans.

Intérêt de la décision

Cette décision pose une question qui n’est pas souvent abordée, étant celle de la distinction opérée entre les bénéficiaires d’une pension de retraite avant ou après l’âge normal de la pension de retraite, ainsi que l’importance de l’activité professionnelle qu’ils peuvent exercer, eu égard aux revenus que celle-ci va produire. La cour retient en l’espèce une justification objective entre les critères retenus dans chacune de ces deux catégories de bénéficiaires actifs.


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