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Accident du travail dans le secteur public : calcul de la rémunération de base

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 26 septembre 2022, R.G. 2021/AL/451

Mis en ligne le lundi 31 juillet 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 26 septembre 2022, R.G. 2021/AL/451

Terra Laboris

Dans un arrêt du 26 septembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) statue à propos de l’inclusion dans la rémunération de base à prendre en compte pour l’indemnisation d’un accident du travail dans le secteur public d’allocations complémentaires pour l’exercice de fonctions exercées à titre temporaire (personnel enseignant statutaire de la Communauté française).

Les faits

Un membre du personnel enseignant statutaire de la Communauté française a été victime de plusieurs accidents du travail. Après son premier accident, il a fait l’objet d’une désignation temporaire en tant que chef de travaux faisant fonction pendant une année académique ainsi que pendant plusieurs mois, ultérieurement, de directeur faisant fonction. Ceci a entraîné l’octroi d’une allocation pour exercice de fonctions supérieures, étrangères à la fonction dans laquelle il était nommé.

Un deuxième accident est alors intervenu. Pendant la période d’incapacité temporaire, il a perçu le montant total du traitement (en ce compris les allocations complémentaires). Il a été mis fin au paiement de celui-ci, ce qui a entraîné l’intervention de son organisation syndicale, celle-ci contestant auprès de FEDRIS par courrier du 4 septembre 2018. Elle faisait valoir que le système de réparation en accident du travail dans le secteur public prévoit que l’agent en activité de service perçoive 100% de son traitement en cours au moment de l’accident. FEDRIS a répondu que la Fédération Wallonie-Bruxelles maintenait sa position, étant que l’allocation versée pour l’exercice provisoire d’une fonction de promotion devait être supprimée dès lors que le membre du personnel n’exerçait pas cette fonction. FEDRIS signalait ne pas partager ce point de vue et interpeller la Fédération sur la base des articles 13 et 32 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 et de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1970.

Début 2019, le conseil de l’intéressé a interpellé la Communauté française, sans succès. La reprise du travail est intervenue le 12 juin. Le MEDEX a alors fait une proposition, retenant comme date de consolidation le 1er janvier 2019 et un taux d’I.P.P. de 8%.

Un recours a été introduit devant le tribunal du travail, demandant que les indemnités correspondant tant à l’incapacité temporaire qu’à l’incapacité permanente soient calculées en intégrant les allocations pour exercice de fonctions supérieures.

Par jugement du 11 juin 2021, le tribunal a débouté l’intéressé.

Celui-ci interjette appel. Il a appelé, comme en premier instance déjà, l’Etat belge en intervention et en garantie.

Position des parties devant la cour

L’appelant considère que les allocations litigieuses font partie de la rémunération à prendre en considération dans la base de calcul, l’article 13 visant les allocations et indemnités « ne couvrant pas de charges réelles ». Il rejette l’application d’un arrêté royal du 13 juin 1976, qui, pour lui, ne vise pas l’allocation due en cas d’accident du travail, cette hypothèse ne figurant pas dans le texte. Il renvoie également à l’article 13, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, cette disposition étant postérieure à l’arrêté royal précité et devant être appliquée par priorité par rapport à celui-ci. Il considère que l’inclusion des allocations pour l’exercice de fonctions supérieures doit valoir tant pour l’indemnisation de l’incapacité temporaire que pour la rente. A titre subsidiaire, il fait valoir l’existence d’une discrimination entre membres du personnel enseignant et demande à la cour d’interroger la Cour constitutionnelle.

La Communauté française forme un appel incident et introduit une demande reconventionnelle nouvelle, relative au remboursement d’un montant versé indûment au début de la période d’incapacité temporaire. Elle fait notamment valoir que la contestation de l’intéressé n’est pas une demande d’indemnisation de l’accident du travail mais est relative à l’application du statut pécuniaire et que, en conséquence, les juridictions du travail ne sont pas compétentes. Elle développe d’autres arguments à titre subsidiaire et plus subsidiaire encore.

Quant à l’Etat belge, il plaide également que les juridictions du travail ne sont pas compétentes pour connaître du litige, s’agissant d’une contestation de décisions de réduction de traitement. A titre subsidiaire, il estime que les demandes à son égard sont irrecevables ou, à tout le moins, non fondées et partage la position de la Communauté française en ce qui concerne l’arrêté royal du 13 juin 1976, estimant que, si l’allocation liée à l’exercice temporaire d’une fonction supérieure n’est octroyée que pendant la période d’exercice provisoire de celle-ci (le texte précisant qu’une interruption de plus de dix jours consécutifs entraîne sa suppression), cette allocation ne doit pas être incluse dans la rémunération servant de base au calcul de la rente pour incapacité permanente. Il conteste par ailleurs les développements faits par l’appelant en ce qui concerne la discrimination.

La décision de la cour

La cour règle en premier lieu la question de la compétence des juridictions du travail pour connaître de la demande. Elle souligne, reprenant les termes de la requête introductive d’instance, que l’enseignant fonde sa demande d’indemnité sur la loi du 3 juillet 1967, qui vise les indemnités auxquelles il peut prétendre en vertu de l’incapacité temporaire et de l’incapacité permanente résultant des accidents du travail dont il a été victime et que, conformément à l’article 579, 1°, du Code judiciaire, le tribunal s’est à juste titre déclaré compétent pour connaître de celle-ci.

La question de la rémunération à prendre en compte dans le cadre des indemnités couvrant les incapacités temporaire et permanente fait l’objet de développements importants, la cour renvoyant d’abord sur la question à l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967, fixant, sous réserve de l’application d’une disposition légale ou réglementaire plus favorable, pour les membres du personnel auxquels la loi a été rendue applicable le droit pendant la période d’incapacité temporaire jusqu’à la date de reprise complète du travail des dispositions prévues en cas d’incapacité temporaire totale par la législation sur les accidents du travail. Il s’agit dès lors de l’application supplétive de la loi du 10 avril 1971.

Dans le cadre de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, l’article 32 dispose que les membres du personnel conservent pendant la période de l’incapacité temporaire la rémunération due en raison de leur contrat ou de leur statut. Il s’agit d’une disposition plus favorable que celle figurant dans la loi du 10 avril 1971.

La cour se penche sur la notion de rémunération visée à l’article 32, s’agissant de la rémunération due « en raison de leur contrat ou de leur statut ».

Dans un arrêt du 22 mars 1993 (Cass., 22 mars 1993, n° 9.424), la Cour de cassation a posé le principe que la circonstance que l’octroi d’une indemnité ou allocation ne serait prévu par un règlement qu’en cas d’affectation de l’agent à d’autres tâches que les tâches normales que comporte la fonction à laquelle il a été nommé ne fait pas obstacle à ce qu’une telle indemnité ou allocation soit considérée comme étant due en raison du statut. D’autres précisions ont encore été apportées sur la question dans un arrêt du 9 juin 1997 (Cass., 9 juin 1997, n° S.96.0115.F).

La cour reprend ensuite diverses décisions de fond, dont un arrêt de la Cour du travail de Mons du 12 janvier 2001 (C. trav. Mons, 12 janvier 2001, R.G. 14.895), s’agissant de prestations nocturnes des agents de la Régie des postes, arrêt dans lequel la cour a considéré que celles-ci, accordées en cas d’accomplissement de prestations qui ne peuvent être considérées comme normales, ne sont pas dues pendant la période d’incapacité de travail (celle-ci ayant duré plus de trente jours ouvrables en l’espèce), la cour appliquant ici l’article 5 d’un arrêté royal du 26 mars 1965.

Enfin, elle renvoie à la doctrine (R. JANVIER, I. DE WILDE, S. AERT et P. HUMBLET, Le droit social de la fonction publique, Bruxelles, La Charte, 2015, pp. 161-162), selon laquelle la Cour de cassation a confirmé l’application de la règle fédérale en vertu de laquelle les allocations pour prestations anormales ne sont pas dues pendant l’interruption de l’exercice de la fonction lorsque celle-ci dure plus de trente jours ouvrables, ce régime ne s’appliquant cependant (plus) au personnel de la Région wallonne, de l’Autorité flamande et des pouvoirs locaux notamment. La doctrine précise qu’afin de déterminer si les allocations sont dues ou non en cas d’absence pour cause d’accident du travail, les dispositions pécuniaires du statut du personnel concerné sont, en d’autres termes, décisives.

Il faut dès lors combiner les dispositions de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 avec celles du statut pécuniaire applicable. En application de l’arrêté royal du 13 juin 1976, les membres du personnel bénéficient d’une allocation pendant la période au cours de laquelle ils exercent provisoirement une fonction de sélection ou de promotion. Celle-ci n’est octroyée que pour autant que la fonction soit exercée au moins dix jours consécutifs et une interruption de service inférieure à dix jours consécutifs n’entraîne pas sa suppression. Aucune distinction n’est faite selon la cause de l’interruption.

Il découle de la lecture conjointe des textes que, pendant la période d’incapacité temporaire totale et dans le cadre de la rente d’incapacité permanente, il n’y a pas lieu de tenir compte des allocations litigieuses.

La cour rejette encore un argument soulevé par l’appelant selon lequel ces allocations font nécessairement partie de la rémunération servant de base pour la rente. S’agissant de préciser le critère selon lequel les allocations et indemnités en cause ne doivent pas couvrir de charges réelles, la cour interprète ce texte par la volonté d’inclure dans la notion de rémunération tous les montants habituellement versés au travailleur, à l’exclusion des versements couvrant notamment des remboursements de frais. Renvoi est fait à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 6 janvier 2020 (C. trav. Bruxelles, 6 janvier 2020, R.G. 2019/AB/424).

Enfin, elle rejette la demande de question préjudicielle, celle-ci concernant notamment une comparaison entre travailleurs du secteur privé et travailleurs du secteur public.

La cour décide enfin de rouvrir les débats en ce qui concerne la demande reconventionnelle.

Intérêt de la décision

La question posée par ce litige, relatif à la détermination de la rémunération de base pour le calcul de l’incapacité temporaire et permanente dans le secteur public, est intéressante à plus d’un égard.

La cour y a rappelé, d’une part, le subtil distinguo, sur le plan de la compétence, entre une demande fondée sur le statut pécuniaire ou sur la loi du 3 juillet 1967 et a confirmé sa compétence sur la base de l’article 19 de cette dernière, qui donne compétence au juge pour connaître de toutes les contestations relatives à l’application de loi. L’intéressé ayant expressément visé dans sa requête introductive la rémunération de base permettant de fixer l’indemnité temporaire et la rente, il s’agit d’une matière rentrant dans l’article 579, 1°, du Code judiciaire, qui donne compétence au tribunal du travail pour connaître des demandes relatives à la réparation des dommages consécutifs à un accident du travail (ou à une maladie professionnelle).

Plus délicate est la question de la rémunération de base elle-même, s’agissant de savoir si celle-ci devait comprendre les allocations octroyées temporairement pour l’exercice de fonctions supérieures ou non. La question posée par la partie appelante était relative à l’interprétation des textes, dont elle demandait qu’ils soient limités à l’exercice effectif des fonctions, ceux-ci ne prévoyant pas, selon elle, l’hypothèse du calcul de la rémunération de base en cas d’accident du travail, renvoyant notamment à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a considéré que ces allocations n’étaient plus dues, dans le cadre de l’incapacité temporaire, au-delà d’une période d’absence déterminée (trente jours). La cour a conclu que le texte s’applique en accident du travail également, dans la mesure où il ne fait pas de distinction selon la cause de l’absence.

Elle a par ailleurs considéré que la notion de rémunération a le même contenu pour ce qui est du calcul de l’indemnité en cas d’incapacité temporaire et de la rente due eu égard à une incapacité permanente. Cette question n’est pas davantage développée dans l’arrêt mais mérite à notre estime réflexion.


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