Terralaboris asbl

Retraite complémentaire constituée par l’intermédiaire de l’employeur : conditions de transfert de la valeur des droits à pension

Commentaire de C.J.U.E., 16 novembre 2023, Aff., n° C–459/22 (COMMISSION EUROPEENNE C/ ROYAUME DES PAYS-BAS), EU:C:2021:605

Mis en ligne le lundi 12 février 2024


C.J.U.E., 16 novembre 2023, Aff., n° C–459/22 (COMMISSION EUROPEENNE C/ ROYAUME DES PAYS-BAS), EU:C:2021:605

Dans un arrêt du 16 novembre 2023, la Cour de Justice accueille un recours en manquement de la Commission européenne contre le Royaume des Pays-Bas au motif d’infraction à l’article 45 T.F.U.E. garantissant la libre circulation des travailleurs.

Rétroactes

La Commission européenne a introduit un recours en manquement contre le Royaume des Pays-Bas à propos de sa loi nationale relative à l’impôt sur les rémunérations (1964). Pour la Commission, il y a manquement aux articles 45, 56, et 63, TFUE.

La Commission fonde sa position sur l’exigence de la loi nationale en matière de retraites complémentaires que (i) l’organisme d’assurance retraite situé dans un autre État membre que le Royaume des Pays-Bas doit constituer une garantie pour le recouvrement de l’impôt sur le transfert de la valeur des droits à la pension éventuellement du par les travailleurs qui acceptent un travail dans un autre État membre et qui souhaitent que la valeur de leurs droits à la pension y soit transférée ou, à défaut, que (ii) la caisse doit répondre de l’impôt éventuellement dû ou offrir la possibilité à ces travailleurs de constituer une garantie suffisante.

La décision de la Cour

Pour la Cour de justice, la première question qui se pose est de savoir si la réglementation concerne la libre prestation de services et la libre circulation des travailleurs et des capitaux ou si (thèse du Royaume des Pays-Bas) si elle touche uniquement à la libre circulation des travailleurs. Il s’agit en effet d’une situation transfrontalière où des travailleurs ont accepté un emploi dans un autre État membre. Pour l’État défendeur, l’objectif de ces mesures serait de protéger la pension des travailleurs migrants, s’ils souhaitent transférer la valeur de leurs droits acquis aux Pays-Bas à un organisme établi dans un autre État membre. Pour la Cour, la mesure concerne dès lors essentiellement la libre circulation des travailleurs.

Renvoyant à son arrêt du 27 janvier 2022 (C.J.U.E., 27 janvier 2022, Aff. n° C-788/19 (Commission/Espagne), EU:C:2022:55), la Cour rappelle que si plusieurs libertés de circulation garanties par les traités sont en cause, elle examine la mesure au regard de l’une de celles-ci seulement s’il s’avère, vu l’objet de la mesure, que les autres sont tout à fait secondaires et peuvent lui être rattachées. En l’espèce, quoique la mesure soit également susceptible d’affecter la libre prestation des services et la liberté de circulation des capitaux, celles-ci apparaissent secondaires par rapport à la libre circulation des travailleurs et peuvent lui être rattachées. La cour examine dès lors l’affaire au regard de l’article 45 T.F.U.E.

La Cour reprend ensuite l’argumentation des parties.

La Commission considère que la législation nationale a pour effet de défavoriser les travailleurs migrants. Lorsque ceux-ci acceptent un emploi dans un autre État membre et décident d’y transférer la valeur de leurs droits à la pension, l’organisme d’assurance retraite de cet État n’ayant pas dans cette situation pour objectif d’être actif sur le marché néerlandais de la constitution des retraites complémentaires, il ne sera pas familiarisé avec la réglementation fiscale néerlandaise et sera donc peu enclin à constituer une garantie ou à prendre en charge la responsabilité de l’impôt qui serait dû. Pour la Commission, en outre, la possibilité pour les travailleurs de constituer une garantie ne se présente que lorsque ceux-ci ont travaillé dans un autre État membre et ont décidé d’y transférer la valeur de leurs droits à la pension.

Pour le Royaume des Pays-Bas, la réglementation nationale ne prévoit pas d’obligation pour l’organisme d’assurance retraite étranger de constituer la garantie pour l’impôt éventuellement dû, cette obligation n’existant dans son chef que lorsque celui-ci souhaite offrir ses services sur le marché néerlandais. Par ailleurs, la responsabilité de l’organisme d’assurance retraite étranger (responsabilité qui permet à l’administration fiscale néerlandaise d’obtenir le paiement de la dette fiscale si le travailleur resté en défaut) est moins contraignante que la garantie qu’il devrait constituer.

L’État néerlandais signale également qu’il n’y a pas de différence de traitement fiscal, que la valeur des droits à la pension soit transférée à un autre organisme d’assurance retraite située aux Pays-Bas ou dans un autre État membre (dès lors que le travailleur a accepté un emploi dans cet État). Pour l’État défendeur, seule une mesure discriminatoire constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 T.F.U.E.

Sur le fond, la cour rejette l’argument du Royaume des Pays-Bas selon lequel il n’y aurait pas d’obligation dans le texte de prévoir une garantie. Aussi considère-t’elle que le recours porte également sur la constitution de celle-ci.

Elle rappelle ensuite que la fiscalité directe est une matière qui relève de la compétence des États membres, ceux-ci devant cependant exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union, et reprend la finalité de l’article 45 T.F.U.E., disposition qui s’oppose à toute mesure nationale susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant pour les ressortissants de l’Union l’exercice de la liberté fondamentale qu’elle garantit. La cour renvoie notamment à son arrêt BECHTEL (C.J.U.E., 22 juin 2017, Aff. n° C-20/16 (BECHTEL), EU:C:2017:488).

Sur la question examinée, la Cour relève que les travailleurs qui exercent une activité professionnelle dans un premier État membre d’abord et dans un autre ensuite ont en règle souscrit un plan de retraite complémentaire auprès d’organismes d’assurance retraite établis dans le premier État.

Les dispositions examinées portent préjudice à ces travailleurs, qui peuvent être dissuadés d’occuper un nouvel emploi dans un autre État membre. Ceci vu les obligations imposées aux organismes d’assurance retraite qui y sont établis et n’opèrent pas sur le marché néerlandais mais se contentent d’offrir des services aux travailleurs migrants qui font usage de leur liberté de circulation. Pour la Cour, il ne peut être attendu de ceux-ci qu’ils connaissent les règles néerlandaises en matière fiscale ou qu’ils assument la responsabilité mise à leur charge. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que ce type de garantie comporte en elle-même un effet restrictif dans la mesure où elle prive le garant de la jouissance du patrimoine faisant l’objet de celle-ci et que la constitution de cette garantie ne peut se faire sans une évaluation préalable du risque de non-recouvrement de l’impôt.

Relevant encore que les travailleurs qui demandent le transfert de la valeur de leurs droits entre deux organismes d’assurance retraite néerlandais ne sont pas confrontés au refus de constituer une garantie ou de prendre en charge la responsabilité pour l’impôt dû et ne sont par conséquent pas soumis à une imposition alors que les travailleurs migrants peuvent l’être, elle fait le constat qu’il y a un traitement fiscal désavantageux.

Cette différence de traitement est susceptible d’empêcher ou de dissuader les travailleurs d’accepter un emploi dans un autre État membre et d’y transférer la valeur de leurs droits en matière de pension complémentaire. La mesure est dès lors susceptible de constituer une entrave à la libre circulation des travailleurs et la Cour rappelle que celle-ci ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. La Cour revient ici sur son arrêt ÉTAT BELGE du 15 juillet 2021 (C.J.U.E., 15 juillet 2021, Aff., n° C–241/20 (ÉTAT BELGE), EU:C:2021:605).

Elle passe dès lors à l’examen de la justification de la restriction à la libre circulation des travailleurs, qu’elle rejette après de brefs développements, au motif que les obligations imposées à l’organisme de retraite situé dans un autre État membre ne permettent pas en soi de garantir la réalisation de l’objectif poursuivi (la protection sociale des travailleurs). Par ailleurs, la réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. C’est en effet l’autre État membre qui devra autoriser ou non le versement total ou partiel de la pension et supporter la charge financière éventuelle en cas de perte ou de dilapidation. La valeur des droits à la pension sera après le transfert non plus un revenu de source néerlandaise mais un revenu prenant sa source dans le nouvel État membre de résidence. La Cour souligne encore qu’il est bien peu probable que de telles situations se produisent, concluant que les dispositions en cause excèdent largement ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection sociale poursuivi. Elle accueille dès lors le recours en manquement de la Commission.

Intérêt de la décision

La grande majorité des arrêts de la Cour de Justice sont rendus sur question préjudicielle d’une juridiction nationale.

L’article 258 T.F.U.E. permet cependant à la Commission d’introduire devant la Cour un recours en cas de manquement d’État et c’est une telle procédure qui a abouti à l’arrêt du 16 novembre 2023 commenté.

Avant d’introduire son recours, la Commission avait adressé une mise en demeure au Royaume des Pays-Bas le 28 février 2008, renvoyant aux articles 21,45, 49, 56, et 63, T.F.U.E. Après avoir reçu les observations du Royaume des Pays-Bas, la Commission a adressé à celui-ci un avis motivé auquel il a été répondu que la réglementation nationale demeurerait inchangée. Suite à l’envoi d’un avis motivé complémentaire et vu la persistance du Royaume des Pays-Bas dans sa position, la procédure a été initiée en date du 8 juillet 2022.

Sur le fond de l’affaire, la Cour a précisé en début d’arrêt que selon sa jurisprudence constante elle examinerait la question uniquement du point de vue de la libre circulation des travailleurs, les autres libertés éventuellement enfreintes apparaissant secondaires et pouvant être rattachées à celle examinée.

La Cour a rappelé dans le corps de sa décision que l’article 45 T.F.U.E. s’oppose à toute mesure susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par un citoyen européen de son droit à la libre circulation. L’on peut renvoyer notamment sur la question à son arrêt du 12 mai 2021( C.J.U.E., 12 mai 2021, Aff. n° C-27/20 (PF et QG c/ CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES (CAF) D’ILLE-ET-VILAINE), EU:C:2021:383), où elle enseigne dans l’examen d’une entrave éventuelle à la libre circulation des travailleurs prohibée par l’article 45, § 1er, T.F.U.E., que la disposition s’oppose à toute mesure qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité ou à la résidence, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par les ressortissants de l’Union des libertés fondamentales garanties par le Traité F.U.E. Celui-ci vise à faciliter l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de l’Union et s’oppose à une mesure nationale qui viendrait défavoriser les ressortissants souhaitant exercer une activité économique sur le territoire d’un autre Etat membre (avec renvoi notamment à l’arrêt ADRIEN du 6 octobre 2016).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be