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Délai de prescription pour agir en justice en cas d’accident du travail dans le secteur public

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 octobre 2023, R.G. 2020/AB/199

Mis en ligne le lundi 15 avril 2024


C. trav. Bruxelles, 2 octobre 2023, R.G. 2020/AB/199

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 octobre 2023, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la notion de délai de recours visée à l’article 14 alinéa 1er, 3° de la Charte vise les délais de prescription et que la prescription de l’action ne peut être acquise dès lors que la décision administrative ne reprend pas les mentions figurant à cette disposition.

Les faits

Un enseignant, professeur dans un athénée bruxellois, est victime d’un accident du travail en mai 2007 (alors qu’il tentait d’attraper une portière de voiture, celle-ci s’est brutalement détachée). Des douleurs violentes apparaissent aussitôt, irradiant du cou vers l’épaule gauche.

Cet accident est reconnu par la Communauté française.

En décembre 2009, le Medex consolide avec une courte incapacité temporaire de travail et une absence d’incapacité permanente. Les choses en restent là.

En décembre 2014, l’intéressé demande au Medex de rouvrir son dossier vu des douleurs régulières intenses au niveau de la nuque. Il remet également des factures de kinésithérapie.

Le 2 février 2015, la Communauté française envoie au demandeur une proposition de consolidation avec 0 % d’I.P.P., joignant un formulaire d’accord, proposition à laquelle l’intéressé ne réserve pas de suite.

Il saisit le tribunal du travail en janvier 2018, contestant la décision de la Communauté française du 2 février 2015.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal du travail statue par jugement du 12 février 2020, concluant à la prescription de l’action.

Il rappelle l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967, précisant que, pour la Communauté française, le délai de prescription a pris cours à la notification des conclusions d’expertise médicale du Medex.

Le demandeur ayant connaissance de cette notification - dans la mesure où il a demandé « la réouverture du dossier » -, le tribunal conclut que la lettre du 2 février 2015 n’est pas l’acte juridique administratif contesté au sens de cette disposition, ne s’agissant pas de la décision qui fixe les droits de la victime, ni même d’une décision « tout court ». En outre, le demandeur a précisé l’objet de son action comme étant la contestation de la date de consolidation des lésions et du taux d’incapacité permanente de travail.

Le tribunal conclut dès lors que l’action a été introduite plus de trois ans après la notification faisant courir le délai pour agir.

Appel est interjeté.

L’objet de la demande devant la cour

L’intéressé demande la réformation de la décision du 2 février 2015, en ce qui concerne l’absence de taux d’IPP et sollicite la désignation d’un expert.

Se pose encore devant la Cour la question de la prescription, exception invoquée par la Communauté française.

La décision de la cour

Après le rappel de la position du premier juge, la cour reprend les dispositions applicables de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, qui régit la procédure administrative en l’espèce. Il s’agit des articles 9 et 10, § 1er.

Elle rappelle le principe contenu à l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967, étant que toutes les contestations relatives à l’application de la loi, y compris celles qui concernent la fixation du pourcentage de l’incapacité permanente, sont déférées à l’autorité judiciaire compétente pour connaître des actions relatives aux indemnités prévues par la législation sur la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Pour ce qui est des règles de prescription, la cour rappelle que les actions en paiement des indemnités se prescrivent par trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté et que selon l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2007 (Cass., 4 juin 2007, S.06.0082.F) l’acte juridique administratif concerné n’est pas exclusivement la décision de l’autorité (visée à l’article 9, § 3, alinéas 2 et 3, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969) mais peut, lorsque la demande en paiement des indemnités est introduite avant que cette décision n’ait été prise, consister en la proposition du service médical visé à l’article 9, § 3, alinéa 1er.

Elle en vient au rappel des dispositions de la Charte de l’assuré social et à la question des « délais plus favorables résultant des législations spécifiques ». Ceux-ci incluent les délais de prescription prévus dans celles-ci, lorsqu’elles ne prévoient pas de délai de recours (avec renvoi à Cass., 6 septembre 2010, S.10.0004. N).

La cour se tourne ensuite vers les obligations imposées par la Charte de l’assuré social en ce qui concerne les mentions que doivent contenir les décisions d’octroi ou de refus de prestations sociales. C’est son article 14 qui énumère celles-ci (au nombre de 6). Elle souligne que si la décision ne contient pas ces mentions le délai de recours ne commence pas à courir.

Elle en vient ensuite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 novembre 2021 (C. Const., 18 novembre 2021, n° 163/2021), qui a donné l’interprétation à retenir de cet article 14 de la Charte, lu en combinaison avec son article 23 et l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 : la notion de délai de recours visée à l’article 14 alinéa 1er, 3° de la Charte vise les délais de prescription.

La conclusion est dès lors que, en ce qui concerne les actions en paiement d’indemnités, le délai de prescription visé à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 doit être considéré comme un délai de recours au sens de l’article 14, alinéa 1er, 3°, de la Charte de l’assuré social, de sorte que la décision d’octroyer ou de refuser des prestations sociales en vertu de la loi du 3 juillet 1967 doit faire référence à ce délai et qu’à défaut d’une telle indication celui-ci ne prend pas cours (11e feuillet).

La cour examine ensuite les arguments des parties, relevant que l’affaire avait été fixée à une audience du 13 juin 2022 et qu’elle avait été remise, afin notamment qu’il puisse être tenu compte de cet arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 novembre 2021.

Elle note que la Communauté française fait notamment valoir que l’action mue devant le tribunal n’est pas une action en paiement d’indemnités mais une action visant la reconnaissance d’un droit et que la décision du Medex ne devait par conséquent pas contenir de mentions spécifiques pour que le délai de prescription commence à courir. Subsidiairement celle-ci renvoie au principe de sécurité juridique, qui empêcherait l’existence, au motif de l’absence de mention des voies de recours, d’un délai illimité de contestation et plaide pour l’application d’un « délai raisonnable de prescription ».

Pour la cour - qui rejette ces arguments - il résulte des éléments du dossier (notification du 17 décembre 2009, décision portant en elle-même le refus implicite de fournir les prestations sociales, absence des mentions de l’article 14, alinéa 1er, de la Charte dans celle-ci – ainsi que du délai et des modalités pour intenter un recours) que le délai de prescription n’a pas commencé à courir.

L’affaire n’étant pas prescrite, elle désigne un expert.

Elle précise encore que l’économie de la disposition n’est pas en inadéquation avec le principe de la sécurité juridique, et ce d’autant que la victime d’un accident du travail dans le secteur public doit pouvoir compter sur le fait que l’autorité publique, qui joue le rôle à son égard d’une institution de sécurité sociale au sens de la Charte, veillera à l’informer utilement de la prise de cours du délai de prescription et des autres éléments susceptibles d’influer à terme sur le maintien de son droit à la réparation. La cour souligne encore que cette solution contribue également à l’exercice effectif du droit d’accès au juge (avec renvoi à l’article 6.1, C.E.D.H.).

Intérêt de la décision

La Charte de l’assuré social vient une nouvelle fois au secours de la victime d’un accident du travail ayant introduit une action en dehors du délai de prescription de trois ans prévu par la loi.
Les débats autour de cette question ont été considérablement simplifiés depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 décembre 2021, celle-ci ayant donné l’interprétation à réserver à la notion de délai de recours au sens de l’article 14, alinéa 1er, 3°, de la Charte de l’assuré social.

Il est en effet acquis depuis cet arrêt que les délais de prescription sont clairement inclus dans ceux visés par cette disposition de la Charte.

La cour du travail en a tiré dans l’arrêt commenté une conclusion formelle, étant que, en ce qui concerne les actions en paiement d’indemnités, le délai de prescription doit être considéré comme un délai de recours, de telle sorte que la décision d’octroyer ou de refuser les prestations sociales en vertu de la loi du 3 juillet 1967 doit faire référence à ce délai et qu’à défaut d’une telle indication celui-ci ne prend pas cours.

L’on notera encore que, en l’espèce, le point de départ du délai était non la décision de l’autorité elle-même mais la proposition du Medex contenant ses conclusions. Il n’est pas inutile de rappeler qu’en vertu de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2007 (cité dans l’arrêt – arrêt rendu à propos des articles 8,9 et 10 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970), l’acte juridique administratif en cause n’est pas exclusivement la décision de l’autorité mais, lorsque la demande en paiement des indemnités est introduite avant que cette décision n’ait été prise, qu’il peut consister en la proposition du service médical visée à l’arrêté royal fixant la procédure à suivre.


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