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Détermination de la rémunération de base de la rente en cas d’accident du travail dans le secteur public : un nouvel arrêt de la cour du travail de Liège

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 23 janvier 2024, R.G. 2021/AL/280

Mis en ligne le lundi 15 avril 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 23 janvier 2024, R.G. 2021/AL/280

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 janvier 2024, la chambre 3B de la Cour du travail de Liège rejoint la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles en ce qui concerne l’indexation de la rente d’accident du travail dans le secteur public.

Les faits

Suite à un accident du travail survenu le 11 septembre 2017, un travailleur occupé dans un C.P.A.S. introduit en 2018 une procédure devant le tribunal du travail de Liège (division Liège) aux fins de faire fixer les séquelles de celui-ci.

Après avoir désigné un expert judiciaire dans un premier jugement, le tribunal du travail entérine les conclusions de son rapport.

Celui-ci avait fixé les périodes d’incapacité temporaire (totale et partielle) ainsi que la date de consolidation et, pour ce qui est de l’incapacité permanente, avait retenu un taux de 12 %.

Ce taux est confirmé dans le jugement que le tribunal rend le 1er avril 2021, la rémunération de base ayant été fixée à un montant de 36 655,92 € (à l’indice 138,01).

Appel est interjeté par le C.P.A.S., le travailleur formant par voie de conclusions un appel incident.

L’arrêt de la cour du travail du 23 janvier 2024

La cour retient que les conclusions du rapport de l’expert judiciaire ne sont pas contestées, non plus que l’entérinement de celui-ci par le tribunal.

La contestation persistante concerne la rémunération base.

Les deux parties admettent que celle-ci s’élève à 26 310,95 €, montant devant être plafonné à 24 332,08 €.

Sur la base de ces chiffres, la contestation porte uniquement sur la détermination du montant de la rente, compte tenu du taux d’incapacité permanente de 12 % et, donc, de ce salaire annuel de base plafonné à 24 332,08 €.

La cour retient que, pour le C.P.A.S., cette rente doit être fixée à 2 919,85 €, soit la rémunération plafonnée x 12 %. Quant à la victime, elle donne le chiffre de 4 886,08 €, étant la même rémunération de base multipliée par le même coefficient mais multipliée encore par un coefficient de majoration de 1,6734.

Après avoir admis la recevabilité des appels, la cour en vient au fondement de ceux-ci, ce qui l’amène à reprendre les principes guidant l’indemnisation de l’accident du travail dans le secteur public, s’agissant ici d’une affaire tombant dans le champ d’application de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 relatif à la réparation, en faveur de certains membres du personnel des services ou établissements publics du secteur local, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail.

Pour la cour, il y a lieu, dans la détermination du montant de la rente, de procéder en respectant quatre étapes : (i) détermination de la rémunération annuelle de référence, (ii) application éventuelle du plafond légal, (iii) détermination de la rente et (iv) indexation éventuelle de la rente.

Elle passe dès lors à l’examen de celles-ci.

La rémunération annuelle de référence est visée à l’article 18 de l’arrêté royal en cause. Il s’agit du traitement, des salaires ou indemnités tenant lieu de traitement ou de salaire acquis par la victime au moment de l’accident, augmentés des allocations et indemnités ne couvrant pas de charges réelles et dues en raison du contrat de louage de service ou du statut légal ou réglementaire.

La cour rappelle une règle spécifique au secteur public, étant que la rémunération annuelle à prendre en compte est celle non indexée, s’agissant de la rémunération à laquelle la victime pouvait prétendre. Elle fait à cet égard un rappel important de la jurisprudence de la Cour de cassation, reprenant notamment l’arrêt du 14 mars 2011 (Cass., 14 mars 2011, S.09.0099.F).

Cette règle est confirmée dans le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 13 juillet 1970 et reprise dans le texte de l’article 18, alinéa 2 : la rémunération correspond au traitement proprement dit non affecté des coefficients d’adaptation au coût de la vie.

Pour ce qui est de l’application du plafond légal, celui-ci vient de l’article 4, § 1er, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967, la cour soulignant également ici une autre particularité de la réglementation du secteur public, étant que le montant du plafond n’est pas indexé. Il peut, par contre, être modifié par arrêté royal à l’occasion d’une revalorisation générale des traitements et dans la mesure de celle-ci.

Elle note encore que le plafond actuel date de 2005, étant demeuré inchangé depuis lors.

Interrogée, la Cour constitutionnelle a donné sa position dans un arrêt du 21 janvier 2016 (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/2016), disant pour droit que, comparé aux règles dans le secteur privé, le système en vigueur dans le secteur public ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. C’est dès lors le plafond retenu ci-dessus qui doit être pris en compte. La Cour précise qu’il n’est ensuite pas question de ré indexer la rémunération après confrontation au plafond légal, renvoyant ici à un arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1995 (Cass., 13 mai 1995, S.94.0125.N).

Elle en vient ensuite à l’étape suivante, précisant que dans un souci de clarté elle envisage d’abord la quatrième étape, relative à l’indexation éventuelle de la rente avant la troisième, qui concerne sa détermination à proprement parler.

Elle renvoie au texte de l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967 et, s’appuyant sur plusieurs arrêts de la Cour constitutionnelle (dont C. Const., 23 novembre 2023, n° 157/2023), retient que lorsque l’incapacité permanente n’atteint pas 16 %, la rente - une fois déterminée - n’est pas indexée pour le futur.

Elle en vient dès lors à la détermination du montant de la rente elle-même.

Citant deux décisions de la Cour du travail de Bruxelles (étant C. trav. Bruxelles, 24 janvier 2022, R.G. 2019/AB/758 et C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471), elle conclut ici que, à la désindexation de la rémunération de base qui revenait à la victime à la date de l’accident, doit répondre l’indexation de la rente jusqu’à cette même date.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 mars 2018 a précisément retenu à cet égard, dans la mesure où la rémunération de base d’une part et la rente d’autre part évoluent sur la base du même indice pivot et dans des sens opposés, que la désindexation de la rémunération doit être neutralisée par l’indexation de la rente, la Cour du travail de Bruxelles renvoyant ici aux conclusions de M. le Procureur général Leclercq avant l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2011 (S.09.0099.F). Il est également précisé que ce mécanisme est explicité dans les travaux préparatoires de l’arrêté royal du 13 juillet 1970.

La cour expose ensuite les éléments sur lesquels elle se fonde pour arriver à cette conclusion.

En bref, elle rappelle que l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967 ne concerne pas le calcul de la rente mais qu’il régit exclusivement la question de son indexation pour le futur.

Par ailleurs, la règle de la non indexation des rentes pour les incapacités permanentes dites « de -16 % » n’existait pas lors de l’adoption de l’article 18 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, n’ayant été insérée dans la loi (2e alinéa de l’article 13) que par une loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales.

Renvoyant encore de manière plus précise aux conclusions de M. le Procureur général Leclercq, elle conclut que cette interprétation permet d’éviter « la double peine » ainsi que les différences de traitement auquel conduit la thèse du C.P.A.S., les bénéficiaires étant dans une telle hypothèse doublement pénalisés du fait que la rente est calculée sur la rémunération desindexée et que le montant de celle-ci n’est ensuite lui-même pas indexé.

Elle fait dès lors droit à la position de la victime et confirme que le montant de la rente doit être de 4 886,08 € par an à majorer des intérêts au taux légal.

Intérêt de la décision

Ce nouvel arrêt de la Cour du travail de Liège apporte de l’eau au moulin dans le débat relatif à la détermination de la rémunération de base pour les rentes dites « de - 16 % » dans le secteur public, eu égard notamment au texte de l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967.

La méthode suivie par la cour du travail a le mérite de la clarté dans la progression du raisonnement.

La cour a également donné sa lecture de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans ses trois arrêts (C. Const., 23 novembre 2023, n° 157/2023, C. Const., 13 avril 2023, n° 61/2023 et C. Const., 4 décembre 2014, n° 178/2014), étant que si celle-ci considère que la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, ce n’est pas au motif de l’absence de discrimination avec les travailleurs du secteur privé, ne s’étant pas positionnée sur l’existence d’une telle discrimination mais qu’elle a jugé que la différence de traitement en cause n’est pas imputable à l’article 13 de la loi.

Elle précise également que la thèse reprise dans les deux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles sur lesquels elle s’appuie (et dont référence ci-dessus) n’a pas été invalidée, même indirectement, par la Cour constitutionnelle, dans la mesure où elle n’a pas été examinée comme telle par celle-ci.

L’on notera encore, en ce qui concerne la première étape du raisonnement, relatif à la détermination de la rémunération annuelle de référence, que la cour a explicitement affirmé ne pas se rallier à la position retenue par la même cour du travail (autrement composée) dans des arrêts du 17 juin 2021 (R.G. 2020/AL/335) et 18 juin 2018 (R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60).


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