Terralaboris asbl

Cohabitation non déclarée à l’ONEm entre un chômeur et son cousin

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), chbre 2-D, 16 novembre 2023, R.G. 2023/AL/156

Mis en ligne le lundi 15 avril 2024


C. trav. Liège (div. Liège), chbre 2-D, 16 novembre 2023, R.G. 2023/AL/156

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 novembre 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) précise ce qu’il faut entendre au sens de la réglementation chômage par règlement en commun des principales questions ménagères.

Faits de la cause

M. S.D. et son cousin C.D. ont conclu avec un sieur D. un contrat de bail d’une durée de 30 mois prenant cours le 1er novembre 2019 pour un appartement. M. S.D. est officiellement domicilié à cette adresse depuis le 21 février 2020.

Il a demandé le bénéfice des allocations de chômage à partir du 12 octobre 2020 et a déclaré vivre seul, en sorte qu’il a obtenu le taux isolé. La demande d’allocations de chômage se situe dans le contexte d’une réorientation professionnelle par le suivi d’un bachelier en agronomie.

Différentes déclarations modificatives de sa situation personnelle et familiale seront introduites mais mentionneront toujours qu’il vit seul. Dans une annexe REGIS du 19 avril 2022, il précise être en colocation avec M. C.D.

L’ONEm lui demande alors de communiquer son contrat de bail, les extraits de compte relatifs au paiement du loyer et ses relevés de consommation. La convocation pour l’audition indique que : « La réglementation chômage précise que vous ne pouvez pas faire du co-housing entre personnes possédant des liens de parenté ». M. S.D. communique alors divers éléments qui n’emportent pas la conviction de l’ONEm quant à l’absence de cohabitation.

Par décision du 4 juillet 2022, l’ONEm l’exclut à partir du 7 décembre 2020 du droit aux allocations de chômage comme travailleur isolé et lui octroie le taux cohabitant, étant précisé qu’il n’y a pas lieu à récupération, la situation familiale n’ayant pas eu d’impact sur le montant journalier.

Une sanction administrative de 8 semaines est également infligée à M. S.D. Cette décision précise que : « L’absence de liens familiaux est une condition essentielle pour la reconnaissance du cohousing. Vous vous trouvez donc en situation de cohabitation. »

M. S.D. introduit contre cette décision un recours que le tribunal du travail de Liège, division Liège, dit recevable mais non fondé par un jugement du 14 mars 2023.

L’arrêt commenté

Après avoir reproduit le contenu des articles 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et 59 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, l’arrêt relève que vivre ensemble sous le même toit implique le partage de locaux ou d’installations essentielles pour pouvoir vivre décemment, tandis que le règlement en commun des questions ménagères ne se limite pas au fait de tirer un avantage économique et financier du partage d’un logement. Il faut aussi que les personnes en cause assument en commun les tâches, activités et autres questions ménagères, citant un arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2017 (S.16.0084.N sur Juportal) et deux arrêts de cette Cour du 22 janvier 2018 (S.17.0024.F sur Juportal et S.17.0039.F sur www.terralaboris.be).

L’arrêt reproduit également (pp. 10 à 13) l’analyse de F. LAMBRECHT sur la colocation (« chapitre 2- Montant des allocations », in Chômage, SIMON, M. (dir.), Larcier 2021 p.333 et svts). Il y est précisé notamment que toute colocation implique des aménagements pratiques et la gestion commune de certaines questions ménagères. Ce ne sera que si cette gestion commune excède ce qui est nécessaire, d’un point de vue organisationnel, pour permettre la vie à plusieurs sous le même toit, qu’il faut considérer que les personnes cohabitent. La simple circonstance que des colocataires, qui disposent chacun de leur chambre, se répartissent l’usage des pièces louées et prennent chacun à leur charge une partie du loyer en partageant les autres frais de logement ne permet pas de retenir qu’ils « règlent en commun les questions ménagères ».

L’arrêt examine ensuite le cas d’espèce en soulignant tout d’abord que depuis plusieurs années l’ONEm met à la disposition des travailleurs, pour compléter les formulaires C1, une annexe REGIS qui leur permet de déclarer, d’initiative, les discordances entre les données personnelles et familiales indiquées sur le C1 et celles reprises au registre national.

Or, en l’espèce, à trois reprises entre le 28 octobre 2020 et le 25 mai 2021, le chômeur a déclaré vivre seul et ce n’est qu’en avril 2022 qu’il complétera une annexe REGIS déclarant la colocation.

L’arrêt en conclut que la charge de la preuve est renversée et que le chômeur doit démontrer qu’il pouvait prétendre au taux isolé. Or, les éléments qu’il produit ne sont pas probants. Par contre, divers éléments sont indicatifs d’une cohabitation : M. S.D. partage le logement avec un cousin qui a quasiment le même âge, ce qui rend l’existence d’une communauté de vie « plus vraisemblable », seules les chambres sont individuelles et les extraits de compte font apparaitre des remboursements autres que le loyer. Aucune information n’est donnée sur le règlement de l’achat des meubles et de l’électroménager, sur l’existence d’une sonnette pour chacun et sur le partage des diverses tâches ménagères.

La décision de l’ONEm est donc confirmée.

Intérêt de la décision

La cour du travail donne dans cet arrêt de précieux éléments doctrinaux et jurisprudentiels permettant de nourrir la réflexion sur la problématique de la colocation.

De nombreuses décisions des juridictions du travail sur cette problématique peuvent être consultées sur le site www.terralaboris (chômage-taux-charge de la preuve et chômage-taux-notion de cohabitation).

Quant aux liens de famille (cohabitation entre cousins), la cour du travail retient qu’ils rendent « plus vraisemblable » l’existence d’une communauté de vie, ce qui nuance les affirmations de l’ONEm contenues dans la convocation et la décision que la réglementation interdirait l’octroi du taux isolé dans ce cas de figure.

L’arrêt nous permet également de souligner l’importance des règles relatives à la charge de la preuve : lorsque des éléments font apparaitre une cohabitation non déclarée, le chômeur doit prouver l’absence de cohabitation, parfois des années plus tard, ce qui n’est pas aisé.

Enfin, les précisions de l’arrêt sur le formulaire REGIS sont utiles pour le praticien.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be