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Compatibilité d’une incapacité de travail avec la poursuite d’une autre activité ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 septembre 2016, R.G. 2016/AB/708

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2017


Cour du travail de Bruxelles, 2 septembre 2016, R.G. 2016/AB/708

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 septembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le fait qu’un travailleur a continué à travailler pour un second employeur alors que l’exécution du contrat avec son premier employeur est suspendue pour cause d’incapacité de travail ne constitue pas en soi un motif grave de rupture. Il appartient au juge d’examiner les circonstances qui entourent celui-ci.

Les faits

Une société active dans le secteur de la surveillance et la protection demande au tribunal du travail l’autorisation de licencier un agent pour motif grave. Celui-ci bénéficie d’une protection au sens de la loi du 19 mars 1991.

Sur le plan professionnel, il preste comme inspecteur de magasins à raison de 37 heures par semaine, dans une plage horaire qui s’étend du lundi au samedi, étant qu’il n’y a pas de prestations de nuit ni de dimanche.

L’intéressé travaille par ailleurs à temps partiel pour une autre société du même secteur, à raison de 8 heures par semaine. Le temps de travail se situe dans des plages horaires où il n’est pas occupé pour son employeur principal. Il est essentiellement chargé de couvrir des événements qui ont lieu en soirée ou la nuit.

En avril 2015, il fait une demande d’intervention psychosociale informelle auprès de Mensura. Il estime qu’il est victime de représailles, de pressions, de surveillance, ainsi que de menaces et de risques de violence, etc.

La société conteste la chose.

Une plainte est déposée par l’intéressé auprès de la Police, actant qu’à partir du moment où il est devenu délégué syndical, il a fait l’objet de mesures défavorables sur le plan des plannings, etc. Il expose qu’il a eu un accident du travail et que, pendant son incapacité, il a fait l’objet de filatures régulières. Il fait également état de chantage au licenciement.

L’intéressé va tomber en incapacité de travail en décembre 2015 pour une semaine. La dernière nuit, il effectue des prestations pour le compte de son second employeur, étant qu’il commence à prester après 22 heures, et ce jusqu’à 4 heures du matin.

L’employeur organise quelques jours plus tard une réunion, exposant que, suite à un rapport de détective, il est avéré qu’il a presté pendant sa période d’incapacité – chose que l’intéressé ne conteste pas.

La demande d’autorisation de licencier est dès lors déposée. La société considère que le comportement est doublement fautif, étant d’une part un manque de loyauté et un non-respect du règlement de travail et, d’autre part, l’exercice d’une fonction à risques et dangereuse (portier de nuit) pour un autre employeur, ce qui handicape la guérison.

Le tribunal du travail déboute la société. Après le jugement, rendu le 5 juillet 2016, l’intéressé est encore amené à déposer plainte auprès des services de Police, signalant qu’il avait été convoqué quelques jours après le jugement pour trouver un accord amiable en vue d’éviter de payer la totalité des indemnités. L’intéressé signale qu’il a exigé sa réintégration, suite à quoi le représentant de la société se serait énervé et aurait tenté de le frapper.

La décision de la cour

Dans l’appréciation du motif grave, la cour rappelle que le fait que celui-ci est à admettre par le tribunal indique qu’il n’y a pas (ou peu – selon l’arrêt) d’actes ou de situations qui constituent en soi, par nature, un motif grave de rupture. Tel est le cas de l’hypothèse rencontrée, étant qu’un travailleur a continué à travailler pour un second employeur alors que l’exécution du contrat avec son premier employeur est suspendue pour cause d’incapacité de travail. Ce fait, pour la cour, ne constitue pas en soi un motif grave de rupture. Il appartient au juge d’examiner les circonstances qui entourent celui-ci.

Interviennent, dans l’appréciation de la situation, un ensemble de considérations de fait. La société était en effet au courant depuis plusieurs mois de l’exercice de l’activité concurrente et n’y avait pas vu d’inconvénient de principe, ainsi que cela ressortait d’ailleurs de déclarations de ses représentants. Cette activité était limitée à quelques heures par semaine. Par ailleurs, l’incapacité de travail n’est pas contestée et elle n’avait d’ailleurs pas fait l’objet d’un contrôle médical. La cour relève encore que l’incapacité chez l’employeur principal était clairement liée aux conditions de travail. Elle relève particulièrement le rapport d’un médecin, qui avait retenu que le diagnostic de burnout n’est pas toujours associé à une question de surcharge horaire, mais qu’il peut également être lié, bien plus souvent, au contexte socio-professionnel.

La cour relève encore que serait fautif le fait que l’incapacité soit fictive ou s’il était établi que le travail chez l’autre employeur compromet la guérison et retarde la récupération de la capacité de travail de l’employé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

La cour refuse, enfin, d’examiner les causes de mésentente entre les parties, ceci n’étant pas visé dans la demande de licenciement.

Elle confirme dès lors le jugement, n’autorisant pas le licenciement de l’intéressé.

Intérêt de la décision

Contrairement à de nombreuses décisions, celle-ci n’a pas à examiner de contestation sur les délais de prise de connaissance du motif grave ou de notification de la rupture, ou encore de la précision des motifs. La cour limite son contrôle à la question de savoir si le comportement qui lui est présenté est susceptible de constituer un motif grave. Elle reprend très justement le principe selon lequel le motif grave n’existe pas « en soi ». C’est au juge d’apprécier souverainement l’existence ou non de celui-ci.

Dès lors, très logiquement, la cour rejette que l’on puisse « en soi » retenir qu’une poursuite, pendant une période d’incapacité de travail, d’une activité autre, connue de l’employeur, soit constitutive de motif grave. L’on relèvera que l’employeur n’a pas contesté être au courant de celle-ci. Il a cependant fait procéder à la filature de l’intéressé pendant une période de nuit où il s’est avéré qu’il avait presté comme portier pour un club. L’employeur soulignait que, pendant ce temps-là, il percevait le salaire garanti payé par la société. Pour l’employeur, le comportement était doublement fautif, s’agissant d’une question de loyauté due à l’employeur, que la société assimilait à un abus de confiance, et que la nature de la fonction exercée de nuit, en elle-même, compromettait la guérison, étant une fonction plus à risques et étant dangereuse. L’ensemble était qualifié d’« attitude irresponsable, déloyale et en total mépris de (la) société ».

L’ensemble de ces affirmations est rejeté par la cour, qui a analysé concrètement le comportement visé et ne s’en est pas tenue à la qualification ci-dessus, dont le libellé ne permet pas une vérification adéquate de l’impossibilité absolue et immédiate de la poursuite de la relation de travail.


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