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Mise à pied : rappel des règles

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 1er mars 2019, R.G. 17/1.010/A

Mis en ligne le lundi 14 octobre 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 1er mars 2019, R.G. 17/1.010/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 1er mars 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai) examine, dans le cadre d’une demande de contestation d’un licenciement pour motif grave, la régularité d’une sanction de mise à pied prise précédemment contre le travailleur licencié.

Les faits

Un ouvrier en place depuis septembre 1977 dans une société active dans le secteur de la santé (commission paritaire n° 116) preste, au moment des faits, en qualité d’opérateur technique dans un de ses départements. Il intègre une nouvelle section en janvier 2016, pour de nouvelles fonctions pour lesquelles il suit une formation supplémentaire. Fin 2016, des difficultés surgissent avec sa hiérarchie au sujet de manquements qui auraient été constatés dans l’exécution de ses tâches, notamment eu égard à des contrôles en salle de production, contrôles pour lesquels sont constatées des incohérences entre son heure d’arrivée et celle de validation informatique du contrôle.

Un avertissement lui a été envoyé, avec une mise à pied de trois jours, et ce par courrier recommandé du 24 novembre 2016. Les difficultés semblant persister, son responsable demande à la hiérarchie de prendre des sanctions et, en fin de compte, l’intéressé est licencié pour motif grave.

Le courrier de licenciement est particulièrement détaillé quant aux griefs.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut en contestation du motif grave et également à propos de la sanction de mise à pied.

La décision du tribunal

Pour ce qui est du motif grave, le tribunal conclut que rien dans le dossier n’établit une faute dans le chef du demandeur et que, en conséquence, il peut prétendre à une indemnité pour rupture irrégulière.

Il en vient ensuite à l’examen de la mise à pied.

Le demandeur réclame sur ce point le paiement de la rémunération qui correspond à trois jours, étant la durée de la mise à pied. Il estime que cette sanction est irrégulière, tant dans la forme que dans le fond.

Pour le tribunal, il y a lieu de rappeler les principes, s’agissant du fondement du droit disciplinaire dans la relation de travail. Celui-ci émane du pouvoir d’autorité de l’employeur, ce qui signifie que l’employeur a un droit de direction et également de sanction, aux fins de s’assurer de l’effectivité de ses ordres.

Le tribunal renvoie à la doctrine de J.-Cl. HEIRMAN à cet égard (J.-Cl. HEIRMAN, « Ce que l’employeur doit en savoir. Le droit disciplinaire », Ors., 1998, p. 26). Le siège du droit disciplinaire est la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail. Son article 17, relatif aux pénalités, prévoit qu’à peine de nullité, celles-ci doivent être notifiées par l’employeur ou son préposé à ceux qui les ont encourues au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui où le manquement a été constaté.

Pour ce qui est de la constatation du manquement, celle-ci doit émaner de la direction, seule compétente pour appliquer la sanction disciplinaire. Le tribunal renvoie notamment à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 4 mai 2006 (C. trav. Liège, 4 mai 2006, R.G. 36.062/04). Il s’agit en effet que le travailleur puisse être rapidement informé de la sanction. La manière dont il en est informé n’est pas soumise à des exigences de forme particulières, aucune disposition légale n’imposant à l’employeur de porter la sanction à la connaissance du travailleur par écrit, renvoyant ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 1994 (Cass., 10 octobre 1994, n° S.94.0013.N).

Dans l’hypothèse de l’absence d’écrit, l’employeur a néanmoins la charge de prouver le respect du délai.

Pour ce qui est de la sanction elle-même ainsi que l’évaluation de la gravité des faits y relatifs, ceci relève de la compétence discrétionnaire de l’employeur, les juridictions du travail n’ayant à cet égard qu’un pouvoir de contrôle marginal, étant de savoir si le travailleur a commis un manquement pour lequel une sanction disciplinaire peut être infligée en vertu du règlement de travail. L’adéquation de la sanction échappe à son contrôle, sauf en cas d’abus de droit. Il s’agit de vérifier le respect du principe de proportionnalité, étant de savoir si la sanction infligée est en rapport avec la gravité de la faute commise.

Examinant les éléments soumis, le tribunal reprend la lettre contenant la décision de mettre le demandeur à pied. La sanction a été infligée en présence de deux délégués syndicaux et elle n’a à l’époque pas été contestée. Ce n’est que suite au licenciement pour motif grave et dans la requête introductive d’instance que la contestation est apparue.

Le tribunal retient comme avérés les faits qui y sont repris, étant des manœuvres frauduleuses tendant à faire croire à la défenderesse qu’il effectuait correctement son travail de contrôle.

Sur le plan de la forme, cependant, la société n’établit pas que la sanction aurait été prise le jour où elle l’indique et que, de ce fait, les délais auraient été respectés, l’article 17 de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail précisant qu’à peine de nullité, les pénalités doivent être notifiées par l’employeur ou son préposé à ceux qui les ont encourues au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui où le manquement a été constaté.

Le tribunal annule dès lors la sanction infligée.

Intérêt de la décision

Ce jugement, qui rejette le motif grave, vu qu’aucune faute n’est établie dans le chef de l’ouvrier dans le délai des trois jours ouvrables avant la rupture, présente l’intérêt particulier de rappeler les principes en matière de mise à pied.

Le fondement de la mesure disciplinaire en cause est la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail. Son article 16 prévoit que les pénalités, le montant et la destination des amendes et les manquements qu’elle sanctionne doivent figurer dans le règlement de travail. Dès lors qu’une telle sanction a été admise, elle est régie par l’article 17, qui impose que les pénalités soient notifiées au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui où le manquement a été constaté.

C’est, eu égard à la jurisprudence rendue sur la question (peu nombreuse), le fait de la prise de connaissance dans le chef de la direction compétente pour appliquer la sanction disciplinaire qui est visé et non la constatation d’un manquement par un membre de la ligne hiérarchique.

Le tribunal rappelle également le but de la mesure, étant que le travailleur doit être rapidement informé de la sanction. Contrairement à la matière du motif grave lui-même, qui est soumise à des conditions de forme très strictes, aucune exigence de ce type n’existe pour une telle pénalité.

Le tribunal renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 1994, dans lequel la Cour a considéré que ni l’article 17 de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail ni aucune autre disposition légale n’obligent l’employeur, à peine de nullité, à notifier par écrit la pénalité au travailleur au plus tard le premier jour ouvrable suivant celui où le manquement a été constaté.

Quant au contrôle judiciaire, il rappelle que, dans la rare jurisprudence (dont il cite C. trav. Bruxelles, 22 juin 1990, J.T.T., 1991, p. 164 et C. trav. Liège, 22 avril 1993, J.L.M.B., 1993, p. 1388), il a été considéré que les juridictions du travail n’ont qu’un contrôle marginal, sans pouvoir se prononcer sur l’adéquation de la sanction, sauf abus de droit. L’arrêt de la Cour du travail de Liège ci-dessus a cependant retenu qu’un contrôle de proportionnalité doit être pratiqué, étant de savoir s’il y a un rapport proportionnel entre la gravité de la faute commise et la sanction. Ces règles ne sont pas transposables au motif grave.


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