Terralaboris asbl

Victimes d’actes de terrorisme : précisions sur l’indemnisation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 27 février 2023, R.G. 2022/AB/291

Mis en ligne le vendredi 28 juillet 2023


Cour du travail de Bruxelles, 27 février 2023, R.G. 2022/AB/291

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 février 2023, la Cour du travail de Bruxelles confirme que la loi du 18 juillet 2017 permet d’octroyer aux victimes d’actes de terrorisme une aide de tiers, ainsi que fixé par la loi du 15 mars 1954 destinée à indemniser les victimes civiles de la guerre 1940-1945.

Les faits

Un citoyen britannique est une des victimes des attentats terroristes à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016. Il a été grièvement blessé et a dû subir de nombreuses interventions chirurgicales ainsi que des périodes d’hospitalisation. Il exerçait une profession en qualité d’indépendant et n’est, actuellement, plus en mesure de travailler.

Une demande d’aide financière a été introduite le 30 avril 2016 auprès de la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence. La procédure administrative a été enclenchée.

Une décision intervient le 24 septembre 2020, par laquelle le ministre des pensions a reconnu une infirmité temporaire entre 95% et 100% depuis la date de l’accident, une invalidité provisoirement fixée à 90% à partir du 3 mai 2018 (les taux admis devant être revus d’office par l’Office médico-légal en novembre 2020) et le droit à une pension de dédommagement, sous déduction éventuelle de toute autre indemnité versée pour les mêmes faits. Il est également décidé que la pension de dédommagement ne pourra être payée que jusqu’au 31 octobre 2019, dans la mesure où il n’y a pas de consolidation et que le dossier doit être revu à ce moment par l’Office médico-légal. Celle-ci sera remise en paiement après ladite décision.

Le 10 janvier 2021, l’Office médico-légal fixe à 90% le taux d’invalidité à partir du 3 mai 2018, le dossier ne pouvant être consolidé. La pension temporaire est dès lors maintenue par nouvelle décision du 26 février 2021, les taux des infirmités étant à revoir début 2022.

Une procédure est alors introduite par la victime devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant le paiement de la pension de dédommagement temporaire mensuellement et sollicitant une aide de tiers de 10% du montant de la pension. Subsidiairement, l’intéressé demande la désignation d’un expert judiciaire.

La décision du tribunal

Par jugement du 2 février 2022, le tribunal fait droit à la demande, la pension de dédommagement temporaire devant être liquidée mensuellement et l’intéressé devant bénéficier d’une indemnité spéciale d’aide de tiers évaluée à 10% du montant de la pension. Le tribunal statue également sur les intérêts, qu’il estime dus à partir de leur exigibilité, et ce au taux de l’intérêt légal applicable en matière sociale.

L’Etat belge interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’Etat belge, deux points du jugement sont critiquables, étant d’une part le paiement de l’indemnité spéciale pour l’aide de tiers et, de l’autre, les intérêts moratoires au taux légal applicable en matière sociale.

L’intimé demande pour sa part que l’appel soit rejeté et demande à obtenir un décompte clair et précis des sommes payées au titre d’arriérés. Sur l’aide de tiers, il sollicite que celle-ci soit calculée en fonction des critères établis par le barème officiel belge des invalidités (4e catégorie, 3e degré). Pour le surplus, il sollicite la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour constate d’abord que l’Etat belge ne conteste pas le paiement mensuel de la pension de dédommagement temporaire, et ce à titre d’avances jusqu’au jour qui précède celui de la décision de révision. Elle se penche dès lors sur la question de l’indemnité spéciale pour l’aide d’une tierce personne ainsi que sur le taux des intérêts moratoires.

Sur la question du droit à l’indemnité, elle rappelle la loi du 18 juillet 2017, qui comporte de nombreux renvois à la « loi générale », étant celle du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit. Le renvoi à celle-ci est général (sauf une seule exception – non applicable). Le chapitre II de cette loi générale comporte une disposition (article 10, § 1er, a)), qui prévoit une indemnité spéciale pour l’aide d’une tierce personne. Pour la cour, compte tenu du renvoi général à cette loi, le bénéficiaire d’une pension de dédommagement dans le cadre de la loi du 18 juillet 2017 peut prétendre à cette indemnité spéciale.

La cour note l’intervention du Conseil d’Etat, qui, dans son avis, avait noté que le texte devrait être fondamentalement remanié, le projet se caractérisant par une formulation peu soignée ainsi que par des discordances entre le texte français et le texte néerlandais et une légistique qui laisse à désirer (remarque n’ayant apparemment pas reçu de réponse dans le processus législatif). Elle souligne encore que le site officiel du portail de la sécurité sociale mentionne l’existence d’une pension pour aide d’une tierce personne. Elle rejette dès lors l’ensemble des arguments de l’Etat belge à cet égard.

En ce qui concerne l’évaluation de l’indemnité, l’intimé renvoie au BOBI, qui retient en 4e catégorie, 3e degré, toutes maladies ou lésions atteignant une ou plusieurs fonctions, nécessitant, outre des soins médicaux journaliers, de garder en permanence la chambre ou le fauteuil et permettant de considérer l’intéressé comme un impotent. La cour reprend l’ensemble des lésions ayant amené la reconnaissance d’une invalidité à 90% (polytraumatisme avec blessures nombreuses, brûlures, perforation du tympan, dommages psychiques, etc.). Elle retient l’application de cette catégorie et de ce degré.

Enfin, sur le taux des intérêts moratoires, se pose la question de l’application du taux légal des intérêts en matière sociale, l’Etat belge sollicitant que ceux-ci soient calculés sur la base du taux légal applicable en matière civile.

La cour reprend les termes de l’article 2 de la Charte de l’assuré social, qui ne peut permettre d’inclure dans les termes « sécurité sociale » ceux visés par la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, étant la « matière sociale », soulignant que ces termes ne sont en outre pas les mêmes. Pour elle, le premier juge a considéré que le droit à une pension de dédommagement dans le cadre de la loi du 18 juillet 2017 relève de la matière sociale au sens de la loi du 5 mai 1865 et elle confirme cette appréciation. La volonté du législateur à cet égard est confirmée par les travaux parlementaires relatifs à la loi du 26 décembre 2022 relative à la mention des voies de recours et portant dispositions diverses en matière judiciaire, loi qui complète l’article 580, 8°, du Code judiciaire afin d’inclure dans la compétence des juridictions du travail les contestations issues de la loi du 18 juillet 2017. La cour reprend de larges extraits de l’Exposé des motifs, confirmant la chose. Elle conclut de ces commentaires que le législateur a adapté le Code judiciaire afin d’inscrire la loi du 18 juillet 2017 dans la philosophie du droit social, qui vise à faciliter autant que possible l’accès à la justice pour les catégories de personnes considérées comme étant vulnérables, faibles ou fragilisées (15e feuillet). Il s’agit d’une matière assimilée à un régime d’aide sociale. Le jugement est dès lors confirmé à cet égard.

Les débats sont rouverts sur les décomptes.

Intérêt de la décision

La jurisprudence de la cour sur l’application de la loi du 18 juillet 2017 relative à la création du statut de solidarité nationale, à l’octroi d’une pension de dédommagement et au remboursement des soins médicaux à la suite d’actes de terrorisme est rare, à notre connaissance.

La décision administrative contestée date en l’espèce du 26 février 2021. L’arrêt de la cour est intervenu exactement deux ans après celle-ci, l’instruction du dossier ayant été particulièrement rapide, s’agissant des deux instances (rappelons que le jugement du tribunal date du 2 février 2022).

Deux points très importants sont tranchés dans cette affaire, étant la question de l’aide d’une tierce personne, dont le principe est admis sans contestation possible, vu le renvoi général fait à la loi du 15 mars 1954, prise à l’époque aux fins d’indemniser les victimes civiles de la guerre 1940-1945. Est intervenu à la suite de cette loi un arrêté du Régent du 22 octobre 1947, qui avait précisé que les conditions pour l’aide d’une tierce personne étaient déterminées par le Barème officiel belge des invalidités. Cette réglementation trouve dès lors à s’appliquer telle quelle pour les victimes des actes de terrorisme visées par la loi du 18 juillet 2017.

La cour fixe également – comme le tribunal l’avait fait – le taux des intérêts moratoires, retenant celui applicable aux matières sociales et non celui valant en matière civile. Le premier est de 7% en termes annuels, le second, qui évolue d’année en année, était de 1,75% en 2021, 1,50% en 2022 et… de 5,25% en 2023.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be