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Revenu d’intégration sociale : effet rétroactif d’une décision de récupération d’indu

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 septembre 2022, R.G. 2021/AL/343

Mis en ligne le lundi 7 août 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 9 septembre 2022, R.G. 2021/AL/343

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 septembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège), saisie d’une demande de récupération d’indu de revenu d’intégration sociale, rappelle que tant dans le cadre de l’article 17 de la Charte de l’assuré social que de l’article 22 de la loi du 26 mai 2002, ce qu’il faut déterminer c’est si le bénéficiaire d’une décision résultant d’une erreur commise par une institution de sécurité sociale est de bonne foi ou non.

Les faits

Une bénéficiaire du revenu d’intégration se met en ménage, ce dont le C.P.A.S. est informé. Nonobstant ceci, il continue à effectuer des paiements pendant plusieurs mois. Il prend ensuite deux décisions, l’une portant sur la récupération pour la période couverte par l’indu et l’autre visant au retrait du bénéfice du revenu d’intégration, vu la cohabitation.

La décision de récupération est contestée devant le tribunal du travail. Dans le cadre de cette procédure, le C.P.A.S. demande à titre reconventionnel le remboursement de la somme en cause, de l’ordre de 2.100 euros.

Le tribunal confirme la première décision du C.P.A.S. et constate que l’intéressée ne pouvait plus prétendre au revenu d’intégration suite à sa mise en ménage (son compagnon bénéficiant de revenus). Il réduit cependant le montant de l’indu, l’intéressée étant en droit de percevoir le R.I.S. pour deux mois, et constate diverses fautes commises par le C.P.A.S. dans la gestion du dossier, faisant que celle-ci avait légitimement pu penser que les montants payés correspondaient à des montants qu’elle avait demandés. En conséquence, il met à néant la décision de récupération et déclare la demande reconventionnelle du C.P.A.S. non fondée.

Celui-ci interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour le C.P.A.S., le tribunal a, à tort, négligé un paiement qui avait été fait à destination de l’intéressée dans le cadre d’une aide urgente. Il conteste en outre la conclusion du premier juge selon laquelle la récupération de l’indu pour certains montants était refusée, et ce au motif que l’intéressée savait ou devait savoir qu’elle n’y avait pas droit, s’agissant de montants correspondant à la période postérieure à la mise en ménage.

Quant à l’assurée sociale, elle demande à la cour de conclure au débouté de l’appel.

L’avis du ministère public

Le ministère public a remis un avis écrit, invitant la cour à déclarer l’appel en grande partie fondé, au motif qu’il fallait retenir comme critère le fait de savoir si l’intimée avait conscience ou non du fait qu’elle n’avait pas droit aux sommes versées sur son compte.

La décision de la cour

La cour constate qu’une seule question est litigieuse, étant de savoir si le C.P.A.S. pouvait procéder à la récupération de tout ou partie des montants en cause vu la cohabitation avec le compagnon, qui disposait de revenus.

En premier lieu, elle s’attache à déterminer le montant de l’indu et fait droit à la position du C.P.A.S. en ce qui concerne les montants versés au titre d’aide urgente.

Pour ce qui est de la récupération elle-même, la cour en vient aux dispositions légales et aux principes applicables en matière de révision d’une décision d’octroi d’un revenu d’intégration sociale ainsi que de récupération de montants payés indûment. C’est l’article 17 de la Charte de l’assuré social qui trouve à s’appliquer et la cour en reprend le texte. En cas d’erreur d’une institution de sécurité sociale, aucune récupération d’indu ne peut être effectuée et ce n’est que si l’assuré social savait ou devait savoir qu’il n’avait pas ou plus droit à l’intégralité de la prestation que, malgré l’erreur qu’il a commise, l’organisme pourra récupérer l’indu dans les limites de la prescription.

La cour souligne ici encore l’exception légale, qui est l’hypothèse de la fraude, du dol ou de l’abstention de procéder à une déclaration obligatoire, renvoyant à la doctrine de H. MORMONT et J. MARTENS (H. MORMONT et J. MARTENS, « La révision des décisions administratives de sécurité sociale et la récupération de l’indu », Dix ans d’application de la Charte de l’assuré social, Kluwer, E.P.S., 2008/1, pp. 57 et s.).

La loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale prévoit également des dispositions en ce qui concerne la révision des décisions. La cour reprend ici le texte de son article 22. En vertu du § 2 de la disposition, la décision de révision produit ses effets à la date à laquelle le motif qui a donné lieu à la révision est apparu, sauf si deux conditions sont remplies simultanément, étant que (i) le droit à la prestation est inférieur au droit octroyé initialement et que (ii) la personne ne pouvait se rendre compte de l’erreur. La cour souligne ce second élément : ce n’est que si l’intéressée ne pouvait se rendre compte de l’erreur commise que la récupération de l’indu est exclue. Elle précise également que, contrairement à l’article 17 de la Charte de l’assuré social, cette disposition ne se réfère pas à l’arrêté royal du 31 mai 1933. Malgré cette distinction dans les textes, il faut déterminer dans un cas comme dans l’autre si le bénéficiaire de la décision résultant d’une erreur de l’institution de sécurité sociale est effectivement de bonne foi ou s’il aurait dû débusquer l’erreur commise. Malgré les différences de formulation, la doctrine considère qu’il faut examiner la bonne foi du bénéficiaire avec les mêmes critères, celui-ci pouvant a priori légitimement faire confiance à la justesse et à la légalité de la décision administrative.

Pour la cour, il en va de même de certains paiements que le bénéficiaire a perçus à la suite d’une erreur de l’institution de sécurité sociale, renvoyant ici à la doctrine de J.-F. NEVEN (J.-F. NEVEN, « La révision et la récupération », Aide sociale – Intégration sociale – Le droit en pratique, La Charte, 2011, pp. 568 et 569). Cet auteur précise que le fait pour le C.P.A.S. de ne pas avoir traité immédiatement un élément nouveau modifiant le droit à la prestation et d’avoir ainsi, par sa carence, été à l’origine de la naissance ou de l’accroissement de l’indu est susceptible de constituer une erreur impliquant une dérogation à l’effet rétroactif.

Ces principes amènent la cour à considérer, en l’espèce, que le premier paiement en cause, qui a coïncidé avec la mise en ménage, est indu et que ce caractère indu est exclusivement imputable à l’intéressée, qui n’avait pas informé le C.P.A.S. de sa nouvelle situation en temps utile. Aucune des dispositions en cause (article 17 de la Charte ou article 22, § 2, de la loi du 26 mai 2002) ne peut ici trouver à s’appliquer. Ceci cependant n’est pas le cas des paiements effectués par le C.P.A.S. après que l’information lui avait été donnée.

Il y a ici une erreur du C.P.A.S. et la question se pose dès lors pour la cour de savoir si l’intéressée savait ou devait savoir qu’elle n’avait pas droit aux paiements en cause, la question devant être examinée au sens des deux dispositions ci-dessus.

Elle conclut que plus aucun manquement ne peut lui être reproché, vu qu’elle avait satisfait à son obligation d’information, et que, par ailleurs, elle n’a en aucune manière adopté un comportement frauduleux ou dolosif.

La cour examine encore des éléments plus factuels quant aux décisions prises par le C.P.A.S., qui ne lui furent pas communiquées en temps utile, et souligne pour finir que le dossier n’a pas été réexaminé dans un délai raisonnable, qu’elle fixe à quelques semaines à la suite de l’information de la mise en ménage donnée par le compagnon de l’intéressée. Cette dernière est en effet restée encore et à nouveau sans nouvelles du Centre pendant les mois qui suivirent et a continué à percevoir les paiements litigieux. Ce n’est que neuf mois plus tard qu’elle se vit notifier la décision de récupération.

En conséquence, la cour confirme le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) est très documenté sur la question de la récupération de l’indu en matière de revenu d’intégration sociale. Elle y souligne particulièrement la discussion intervenue vu les différences de formulation de l’article 17 de la Charte de l’assuré social et de l’article 22, § 2, de la loi du 26 mai 2002, étant pointée l’absence de référence dans ce second texte à l’arrêté royal du 31 mai 1933.

C’est en l’espèce la persistance des paiements et l’absence de révision du dossier dans un délai raisonnable qui ont guidé la cour vers sa conclusion.

L’on notera particulièrement le renvoi à la doctrine de J.-F. NEVEN (réf. ci-dessus), selon lequel l’absence de traitement immédiat d’un élément nouveau modifiant le droit à une prestation, à l’origine de la naissance ou de l’accroissement d’un indu, est susceptible de constituer une erreur impliquant une dérogation à l’effet rétroactif d’une décision de révision.

Si cet élément est en lui-même étranger à la bonne foi de l’assuré social, il vient l’appuyer dès lors que la persistance de la situation irrégulière a pour origine la carence de l’institution de sécurité sociale.


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