Terralaboris asbl

Charte de l’assuré social : délais de recours et délais de prescription

Commentaire de C. trav. Mons, 19 juin 2023, R.G. 2019/AM/257

Mis en ligne le jeudi 12 octobre 2023


C. trav. Mons, 19 juin 2023, R.G. 2019/AM/257

Dans un arrêt du 19 juin 2023, la Cour du travail de Mons, qui avait interrogé la Cour constitutionnelle sur la question de savoir si les délais de recours au sens de la Charte de l’assuré social incluent les délais de prescription, suit l’enseignement de son arrêt du 18 novembre 2021 : en cas de refus de prestations sociales, la décision administrative doit être conforme à l’article 14 de la Charte, qui inclut les délais de prescription dans les délais de recours.

Rétroactes

L’affaire concerne un accident du travail survenu à un agent pénitentiaire le 20 avril 2013, suite à l’agression d’un détenu.

Une décision de guérison sans séquelles indemnisables fut notifiée le 17 juin 2014. Lui fut donné comme information sur le délai pour agir que celui-ci était de trois ans à dater de l’arrêté ministériel dont il recevrait copie après avoir marqué accord sur la conclusion proposée. L’intéressé ne marqua pas accord, accusant simplement réception du courrier.

Le SPF réagit près de quatre mois plus tard, précisant à l’intéressé que, s’il persistait dans son refus, il pouvait porter l’affaire devant les juridictions du travail, conformément à l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967, ce qu’il fit dans le délai de trois ans à dater de ce dernier courrier.

Par jugement du 8 janvier 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Binche) dit la demande prescrite. Suite à l’appel du travailleur, la Cour du travail de Mons rendit un premier arrêt le 2 septembre 2020.

L’arrêt de la cour du travail du 2 septembre 2020

La cour s’interrogea sur la notion de délai de recours visée à la Charte de l’assuré social (articles 7 et 14, alinéas 1er, 1° et 3°, et 2) et à la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration (article 2, 4°). Les délais de recours peuvent en effet être interprétés de deux manières, étant qu’ils incluent ou non les délais de prescription.

Pour la cour, l’interprétation à donner à ces dispositions a d’inévitables conséquences sur les obligations d’information pesant sur les institutions de sécurité sociale ainsi que sur les autorités administratives fédérales en ce qui concerne la prise de cours du délai de prescription.

En conséquence, la Cour du travail de Mons a interrogé la Cour constitutionnelle, sur la possibilité d’existence de deux discriminations. La première concerne les assurés sociaux devant être informés quant aux possibilités de recours et formes et délais à respecter d’une part et ceux qui sont soumis à un délai de prescription pour agir, de l’autre, dans l’interprétation où les délais de recours n’incluent pas les délais de prescription. Une seconde discrimination vise les administrés qui doivent recevoir une information quant aux voies de recours et aux formes et délais d’une part et ceux qui sont soumis à un délai de prescription pour agir, de l’autre, toujours dans l’interprétation où ces délais n’incluent pas les délais de prescription.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle

Par arrêt du 18 novembre 2021 (C. const., 18 novembre 2021, n° 163/2021), la Cour constitutionnelle a conclu que les questions préjudicielles posées n’appelaient pas de réponse.

L’enseignement de l’arrêt est cependant important, dans la mesure où la Cour s’est référée à deux arrêts de la Cour de cassation (Cass., 10 mai 2010, n° S.08.0140.F et Cass., 6 septembre 2010, n° S.10.0004.N). Elle rappelle que les délais de prescription sont également visés par l’article 23 de la Charte de l’assuré social, tandis qu’ils ne sont pas visés par l’article 7

Pour la Cour, l’article 14 est plus exigeant que l’article 7 quant aux mentions qui doivent être contenues dans la décision d’octroi ou de refus des prestations et prévoit explicitement que si la décision ne répond pas aux exigences en question, le délai de recours ne commence pas à courir.

Elle souligne encore que, conformément à l’intention du législateur exprimé dans les travaux préparatoires de la loi du 25 juin 1997 et dans une interprétation cohérente de la charte de l’assuré social dans son ensemble, la modification législative précitée a également pour effet que la notion de délai de recours visée par l’article 14, alinéa 1er, 3°, de la charte de l’assuré social doit être interprétée de la même manière et vise donc également les délais de prescription. Il en résulte qu’en ce qui concerne les actions en paiement d’indemnités, le délai de prescription visé à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 doit être considéré comme un délai de recours au sens de l’article 14, alinéa 1er, 3°, de la charte de l’assuré social de sorte que la décision d’octroyer ou de refuser des prestations sociales en vertu de la loi du 3 juillet 1967 doit faire référence à ce délai et qu’à défaut d’une telle indication, celui-ci ne prend pas cours.

L’arrêt de la cour du travail du 19 juin 2023

L’affaire est revenue devant la Cour du travail de Mons, qui reprend, quant au fondement de l’appel, les règles d’indemnisation de l’accident du travail dans le secteur public et le délai de prescription (trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté).

Elle en vient ensuite aux principes de la Charte de l’assuré social et rappelle particulièrement son article 14, selon lequel les décisions d’octroi ou de refus des prestations doivent notamment contenir certaines mentions, dont la possibilité d’intenter un recours devant la juridiction compétente ainsi que le délai et les modalités pour intenter celui-ci, à défaut de quoi le délai de recours ne commence pas à courir.

Elle rappelle ensuite les deux arrêts de la Cour de cassation auxquels s’était référée la Cour constitutionnelle.

Sur la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, la cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 2011 (Cass., 20 octobre 2011, n° F.10.0095.N), où celle-ci enseigne qu’en vertu de l’article 2, 4°, de son texte, l’administration est tenue d’indiquer les voies de recours ainsi que l’instance compétente pour en connaître, sans qu’il soit nécessaire de mentionner le tribunal territorialement compétent ainsi que son adresse.

Elle en vient, dès lors, à l’examen des faits de l’espèce, eu égard à l’ensemble des développements qui précèdent. Pour la cour, il résulte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle que le délai de prescription de la demande en paiement d’indemnités visée à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 doit être considéré comme un délai de recours au sens de l’article 14, alinéa 1er, 3°, de la Charte. Toute décision de refus des prestations sociales en vertu de la loi du 3 juillet 1967 doit dès lors faire référence à ce délai et, à défaut d’une telle indication, celui-ci ne prend pas cours.

Aucune information a été donnée quant au délai de prescription de trois ans visé à l’article 20, alinéa 1er, de la loi dans la décision du SPF notifiant à l’intéressé une guérison sans séquelles. L’action qu’il a introduite n’est dès lors pas prescrite. La cour réforme, en conséquence, le jugement du tribunal du travail du 8 janvier 2019 et ordonne une expertise.

Intérêt de la décision

Suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 novembre 2021, l’arrêt de la Cour du travail de Mons était attendu. Celui-ci suit son enseignement et, après avoir retenu qu’il n’y a pas prescription, il désigne en conséquence un expert.

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a rappelé l’apport de la Cour de cassation à la question, dans ses deux arrêts des 10 mai et 6 septembre 2010.

Le premier concerne l’article 7 de la Charte de l’assuré social et l’article 3, 4°, de la loi du 12 novembre 1997 relative à la publicité de l’administration dans les provinces et les communes (qui contient une règle similaire à l’article 2, 4°, de la loi du 11 avril 1994). Sur ces dispositions, la Cour de cassation a considéré que l’absence d’indication des délais et des possibilités de recours n’a pas pour effet d’empêcher la prise de cours du délai de prescription de l’action en paiement des indemnités.

Par ailleurs, la Cour de cassation est également intervenue sur l’article 23, dans son arrêt du 6 septembre 2010, précisant qu’il ressort des travaux parlementaires que, par les termes « délais plus favorables résultant des législations spécifiques », il faut entendre également les délais de prescription prévus par celles-ci dans lesquels les actions en octroi, paiement ou récupération doivent être introduites lorsque ces législations ne prévoient pas de délai de recours. Il en découle que les délais de prescription sont visés par l’article 23 et non par l’article 7 de la Charte.

La Cour constitutionnelle a poursuivi son raisonnement par rapport à l’article 14, alinéas 1er, 1° et 3°, et 2 de la Charte, articles non visés par l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2010, celui-ci n’ayant pas pour objet une contestation relative à une décision d’octroi ou de refus de prestations sociales (l’arrêt de fond, étant C. trav. Liège, 21 avril 2008, R.G. 35.1032/07 – précédemment commenté – concernait la proposition du MEDEX visée par l’article 9, alinéa 2, de l’arrêté royal du 13 juillet 1970).

Elle a retenu dans son arrêt du 18 novembre 2021 que l’article 14 de la Charte porte spécifiquement sur les mentions des décisions d’octroi ou de refus des prestations sociales, alors que l’article 7 vise plus généralement celles que doit contenir la notification de toute décision individuelle motivée relative aux personnes intéressées. La première est dès lors plus exigeante que la seconde.

Sa conclusion est claire : lorsqu’une décision de refus des prestations sociales est en cause, c’est l’article 14 de la Charte de l’assuré social qui s’applique et non l’article 7.

Il faut cependant être attentif à la situation dans le secteur privé, où, par arrêt du 16 mars 2015 (Cass., 16 mars 2015, n° S.12.0102.F – également précédemment commenté), la Cour de cassation enseigne que le délai de prescription prend cours au moment où naît pour la victime le droit à la réparation et que la naissance de ce droit ne dépend pas de la décision de l’entreprise d’assurances reconnaissant ou déniant à l’accident le caractère d’un accident du travail ou accordant ou refusant à la victime une indemnité à laquelle elle prétend avoir droit. p


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be