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Non-respect des dispositions en matière de maternité : suites pénales

Commentaire de Trib. prem. inst. fr. Bruxelles (69e ch. correctionnelle), 23 mai 2023, R.G. 23F000381

Mis en ligne le vendredi 13 octobre 2023


Trib. prem. inst. fr. Bruxelles (69e ch. correctionnelle), 23 mai 2023, R.G. 23F000381

Dans un jugement du 23 mai 2023, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles (siégeant en matière correctionnelle), saisi de poursuites de l’auditorat du travail, reprend les dispositions légales sanctionnant le non-respect de la protection de la maternité, étant la loi du 16 mars 1971 sur le travail, le Code du bien-être au travail et le Code pénal social.

Les faits

En juin 2021, une travailleuse ayant presté entre octobre 2017 et décembre 2020 pour une société exploitant des chaînes de restaurant a déposé plainte auprès de la police contre son ex-employeur. Elle exposait que la collaboration professionnelle s’était déroulée sans encombre jusqu’en juin 2019, moment où elle avait annoncé sa grossesse à son employeur, qui avait (s’agissant des deux supérieurs de l’intéressée) refusé d’adapter ses horaires, et ce malgré un certificat médical lui interdisant de travailler au-delà de minuit. A son retour de congé de maternité, des horaires différents lui furent imposés, par rapport aux conditions précédentes, et il fut de nouveau refusé d’admettre un changement d’horaire, ceci étant, cependant, accepté pour l’ensemble de ses collègues. Elle fut ainsi amenée à remettre des certificats médicaux et, finalement, elle démissionna.

Suite à la plainte déposée, l’Inspection du contrôle du bien-être au travail se rendit sur place et demanda communication de l’analyse des risques concernant la protection de la maternité, les mesures de prévention pour les travailleuses enceintes ou allaitantes, la preuve que l’information relative à celles-ci avait été communiquée, l’avis du C.P.P.T. sur cette analyse et la preuve de la collaboration avec le conseiller en prévention-médecin du travail.

Divers documents furent communiqués, le conseiller en prévention signalant cependant ne pas être en mesure de retrouver l’analyse des risques liés à la grossesse ou à la maternité. Le « district manager » fut auditionné, de même que la supérieure directe de la travailleuse et le responsable du personnel. L’audition de l’administrateur-délégué de la société intervint ensuite.

Dans le rapport final de l’enquête transmis par l’Inspection sociale à l’auditorat, il apparaît que l’analyse des risques en matière de protection de la maternité n’était pas en ordre entre 2016 et 2022 et qu’aucun plan global de prévention n’avait été établi entre 2018 et 2021.

L’auditorat poursuit devant le tribunal.

Les préventions

Il est reproché à la société et au « district manager » diverses infractions. Certaines concernent la société et d’autres le manager personnellement.

Ainsi, la société est poursuivie vu l’absence de plan global de prévention. L’article I.2-8, § 1er, du Code du bien-être au travail impose aux employeurs d’établir pour un délai de cinq ans, en concertation avec les membres de la ligne hiérarchique et les services de prévention et de protection au travail, un plan global de prévention dans lequel sont programmées les activités de prévention à développer et à appliquer en tenant compte de la taille de l’entreprise et de la nature des risques liés aux activités de celle-ci. Le tribunal rappelle que l’établissement de plans d’action annuels ne dispense pas un employeur d’élaborer un plan global de prévention. L’infraction est établie dans le chef de la société.

Est également établie celle relative à l’absence de plan d’action annuel, le tribunal rappelant qu’il y a lieu de déterminer si le contenu du plan satisfait au prescrit légal ou non. Il reprend les mentions obligatoires, qui sont les objectifs prioritaires dans le cadre de la politique de prévention pour l’exercice de l’année suivante, les moyens et méthodes pour atteindre ces objectifs, les missions, obligations et moyens de toutes les personnes concernées, ainsi que les adaptations à apporter au plan de prévention dans certaines situations.

Plus précisément, par rapport à la protection de la maternité, le tribunal reprend l’article X.5-4, C.B.E., qui impose à l’employeur d’effectuer l’analyse de risques visée à l’article 41 de la loi sur le travail du 16 mars 1971 en collaboration avec le conseiller en prévention compétent. Il s’agit, pour toute activité susceptible de présenter un risque spécifique d’exposition à certains agents, procédés ou conditions de travail, d’évaluer le degré et la durée de cette exposition afin d’apprécier tout risque pour la sécurité ou pour la santé ainsi que toute répercussion sur la grossesse ou l’allaitement de la travailleuse ou la santé de l’enfant, et ce afin de déterminer les mesures générales à prendre. Cette disposition est visée, en cas de non-respect, par l’article 127, 1°, du Code pénal social.

Le tribunal constate que les éléments déposés ne constituent pas une analyse de risques relative à la protection de la maternité telle qu’exigée par l’article 41 ci-dessus et que, si certaines mesures ont été prises pour prendre en compte la situation des femmes enceintes, elles n’ont pas fait l’objet d’une collaboration avec le conseiller en prévention, faisant que l’infraction est établie.

Par ailleurs, l’article X.5-8 C.B.E. impose à l’employeur de faire part sans délai au conseiller en prévention-médecin du travail de l’état de la travailleuse enceinte dès qu’il en a connaissance, disposition également sanctionnée pénalement. La disposition ne vise pas l’absence d’examen médical par le conseiller en prévention-médecin du travail mais l’absence d’information de ce dernier dès que l’employeur a connaissance de l’état de grossesse. C’est pour cette prévention que l’auditorat poursuit également le préposé de la société. Celui-ci conteste, considérant qu’il n’était pas la personne en charge d’élaborer les procédures relatives aux travailleuses enceintes et n’était pas non plus le supérieur hiérarchique direct de l’intéressée, à qui celle-ci devait remettre son certificat.

Le tribunal recherche dès lors si celui-ci avait la qualité de préposé et, pour ce, renvoie à la doctrine de Charles-Éric CLESSE (Ch.- É. CLESSE, Droit pénal social, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2022, p. 291), qui définit le préposé de la manière suivante : il s’agit, pour la Cour de cassation, de celui auquel incombent, à quelque titre que ce soit, les obligations prévues par les règlements sur la sécurité sociale et qui est « investi de l’autorité ou des pouvoirs nécessaires pour veiller effectivement au respect de la loi, même si ses pouvoirs sont limités dans le temps ou dans l’espace ». Il ne doit pas nécessairement avoir la surveillance et la direction d’autres travailleurs mais seulement le pouvoir de faire respecter la loi, voire prendre des décisions qui lient son employeur.

En l’espèce, le « district manager » (poursuivi) est le supérieur hiérarchique de la personne à qui le certificat de grossesse a été envoyé. C’est également lui qui est visé dans la lettre de démission de la travailleuse et qui a discuté avec elle de la question de l’adaptation de ses horaires. Il était dès lors parfaitement au courant de la grossesse et disposait, en sa qualité de manager, des pouvoirs nécessaires pour faire cesser l’infraction, en communiquant sans délai le certificat au conseiller en prévention-médecin du travail ou en ordonnant à sa subordonnée de le faire.

Enfin, sur la question du travail de nuit, est retenue une dernière prévention, l’article X.5-9 C.B.E. énonçant que la travailleuse enceinte qui, en application de l’article 43, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la loi sur le travail du 16 mars 1971 demande de ne pas accomplir de travail de nuit, est immédiatement examinée par le conseiller en prévention-médecin du travail. Le tribunal reprend cet article 43, en vertu duquel les travailleuses ne peuvent être tenues d’accomplir un travail de nuit pendant une période de huit semaines avant la date présumée de l’accouchement, ou encore sur présentation d’un certificat médical qui en atteste la nécessité pour la sécurité ou la santé de la travailleuse ou de l’enfant, ou encore pendant d’autres périodes se situant au cours de la grossesse. Cette disposition est également sanctionnée pénalement.

Il souligne – une discussion entre parties s’étant élevée à cet égard – que l’article 43, § 1er, alinéa 1er, 2°, ne précise pas que la grossesse et l’interdiction du travail de nuit doivent être mentionnées sur un même certificat médical. En l’espèce, les conditions de l’infraction sont réunies et la travailleuse aurait dû immédiatement être examinée par le conseiller en prévention-médecin du travail.

En ce qui concerne la peine, le tribunal retient que les trois premières préventions constituent dans le chef de la société la manifestement successive ou continue de la même intention délictueuse et que les faits commis sont très graves, dans la mesure où sa négligence peut avoir des conséquences néfastes sur le bien-être des travailleurs de son entreprise. La société est condamnée à une amende qualifiée de « sévère » et ne bénéficie pas de mesure de suspension du prononcé de la condamnation, qui est jugée susceptible de banaliser les actes commis et de créer un certain sentiment d’impunité.

La même intention délictueuse est retenue contre le manager pour les deux dernières préventions, les faits commis étant également considérés comme graves. Dans la mesure où l’intéressé a contesté pendant toute la procédure être attrait devant le juge répressif, au motif qu’il n’estimait pas nécessaire, en sa qualité de manager, de connaître la législation relative au bien-être au travail et que, malgré l’insistance de l’auditorat de lui faire prendre conscience de la situation, il n’a pas fait preuve de « la moindre once » de remise en cause de son comportement, la suspension du prononcé n’est pas davantage accordée, au même motif que ci-dessus.

Intérêt de la décision

Ce jugement synthétise les règles pénales existant dans le cadre de la protection de la maternité et, à cet égard, il nous a paru important d’en faire un bref commentaire.

Il reprend les dispositions pertinentes, tant dans la loi sur le travail que dans le Code du bien-être et le Code pénal social.

La responsabilité pénale de la société est retenue pour trois points, étant (i) l’absence de plan global de prévention (le tribunal rappelant que l’établissement de plans d’action annuels ne dispense pas l’employeur d’établir un tel plan), (ii) l’absence de plan d’action annuel (le tribunal ayant procédé à la vérification du respect des mentions obligatoires imposées par l’article I.2-9 C.B.E.) et (iii) l’absence d’analyse des risques liée à la protection de la maternité.

Il a retenu par ailleurs la responsabilité du préposé pour la non-information de l’état de la travailleuse enceinte au conseiller en prévention-médecin du travail, information qui doit intervenir dès que celui-ci en a connaissance, ainsi que pour non-respect de l’article 43, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la loi sur le travail, relatif à l’interdiction de travail de nuit.

L’on notera, sur les condamnations, deux amendes de 8.000 euros, l’une pour la société (ainsi que la contribution de 400 euros au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels), l’autre pour le préposé (sa contribution au Fonds spécial étant fixée à 200 euros).


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