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L’intérêt supérieur des enfants peut constituer une impossibilité absolue de retour

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 juillet 2023, R.G. 2021/AB/781

Mis en ligne le samedi 13 janvier 2024


C. trav. Bruxelles, 26 juillet 2023, R.G. 2021/AB/781

Dans un arrêt du 26 juillet 2023, la Cour du travail de Bruxelles, renvoyant à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, confirme – à l’instar du tribunal – l’écartement de l’application de l’article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976 dès lors qu’il constituerait une atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur des enfants ainsi qu’à leur droit fondamental au respect de leur vie familiale.

Les faits

Une citoyenne de nationalité portugaise a introduit, lors de son arrivée en Belgique, une demande d’autorisation de séjour en sa qualité de citoyenne de l’Union européenne. Une annexe 19 lui a été délivrée.

Elle a deux enfants.

Elle a quitté le domicile conjugal, étant victime de violences domestiques, et a été hébergée dans une maison d’accueil.

Elle s’est tournée vers le C.P.A.S., en vue d’obtenir une aide urgente.

Le C.P.A.S. a accepté d’intervenir en ce qui concerne les frais d’hébergement et lui a accordé l’aide médicale urgente pour elle-même et ses deux enfants. Il a cependant refusé l’aide équivalente au revenu d’intégration au taux « famille à charge » au motif que le titre de séjour n’était pas valable et que l’intéressée ne remplissait pas la condition légale de nationalité.

Un recours a été introduit devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles.

Sur le plan administratif, la commune a notifié, sur instructions de l’Office des étrangers, une décision de refus de séjour de plus de trois mois, ayant constaté l’irrecevabilité de la demande vu la non-transmission de certains documents. Aucun ordre de quitter le territoire n’a cependant été délivré.

Une demande d’autorisation de séjour pour motifs humanitaires (article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980) a été introduite.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal a partiellement accueilli le recours, condamnant le C.P.A.S. à payer une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale au taux cohabitant pendant la période où l’intéressée a été hébergée avec ses enfants au sein du home, sous déduction d’éventuelles allocations familiales. L’aide sociale a été accordée au taux famille à charge à partir de son installation dans un logement individuel avec ses enfants.

Pour le tribunal, il y a dans le chef de la demanderesse impossibilité de quitter le territoire, le refus d’autorisation de séjour étant de nature à la priver, ainsi que ses enfants mineurs, de leur droit effectif à la vie privée et familiale. Le tribunal a renvoyé à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, tenant compte de l’intérêt supérieur des enfants (essentiellement de la fille de son compagnon, qui a subi des violences sexuelles de sa part), et ce eu égard à la mise en place de programmes d’aide par le SAJ et vu un contexte particulier de détresse psychologique. Pour le tribunal, l’intérêt supérieur des enfants, dans un tel contexte, exige que les mesures mises en place soient maintenues et que des mesures complémentaires adaptées soient entreprises.

Le C.P.A.S. interjette appel

La décision de la cour

La cour constate que le litige porte sur l’application de l’article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976, le C.P.A.S. contestant l’impossibilité alléguée de retour dans le pays d’origine.

Pour la cour, la limitation de l’intervention du C.P.A.S. à l’aide médicale urgente à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume vise les étrangers qui refusent d’obtempérer à l’ordre de quitter le territoire mais non ceux qui sont empêchés de rentrer dans le pays d’origine pour des raisons indépendantes de leur volonté. La cour renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2000 (Cass., 18 décembre 2000, S.98.0010.F), qui enseigne qu’à l’égard de ceux-ci, le C.P.A.S. est tenu d’assurer l’aide sociale jusqu’au moment où ils seront en mesure de quitter effectivement le pays.

La cour examine dès lors la situation du père, qui dispose d’un droit de séjour en Belgique. Elle note que même si les contacts entre celui-ci et les enfants ont été suspendus, l’autorité parentale conjointe a été maintenue (celle-ci ayant été conférée précédemment par jugement du tribunal de la famille).

La cour retient également le contexte de violences et l’extrême vulnérabilité des enfants, ainsi que leur besoin de stabilité et la nécessité – qu’elle qualifie d’absolue – de suivre les programmes d’aide et de prise en charge prévus. Ceci implique leur maintien sur le territoire.

Elle note encore qu’il n’y a pas d’ordre de quitter le territoire notifié et qu’une demande d’autorisation de séjour est en cours. Elle prend acte du fait que l’intéressée envisage de solliciter une autorisation en tant que citoyenne européenne, et ce dès qu’elle sera en mesure de se procurer des revenus réguliers.

Pour la cour, l’application de l’article 57 § 2 constituerait dès lors une atteinte disproportionnée à l’intérêt supérieur des enfants ainsi qu’à leur droit fondamental au respect de leur vie familiale.

Le CPAS critiquant également l’octroi d’une aide pour le futur, au motif que le tribunal ne peut pas connaître la situation de l’intimée à l’avenir, la cour rejette cet argument, dans la mesure où le C.P.A.S. a toujours la possibilité d’exercer son pouvoir de révision en cas de modification de la situation.

Elle confirme dès lors le jugement dans toutes ses dispositions.

Intérêt de la décision

La cour aborde dans l’arrêt commenté la question de l’impossibilité absolue de retour dans le chef des étrangers en séjour illégal sur le territoire belge. Le plus souvent, les cas relatifs à une impossibilité absolue de retour sont d’ordre médical, l’impossibilité médicale ayant donné lieu, à ce jour, à une abondante jurisprudence.

L’impossibilité absolue de retour peut cependant exister pour d’autres motifs et l’intérêt supérieur d’un enfant en est un.
Si la jurisprudence est plus rare, elle admet cependant que cet intérêt doit être pris en compte dans l’appréciation de l’application de l’article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976. L’on peut relever, dans la jurisprudence récente, un jugement du tribunal du travail francophone de Bruxelles du 2 juin 2022, qui a admis que dès lors qu’une procédure de reconnaissance de paternité ou une action en établissement de paternité est initiée à l’égard du père belge d’un enfant, ceci est susceptible d’entraîner pour la mère l’impossibilité familiale de retour, car, dans l’hypothèse où elle aboutirait, l’enfant serait considéré comme de nationalité belge depuis sa naissance. En outre, il est fait obligation aux parties, en vertu de l’article 1253ter/2 du Code judiciaire, de comparaître en personne dans les causes concernant des enfants mineurs. Il y a alors impossibilité familiale de retour dans le pays d’origine et la demanderesse possède un droit propre au séjour en Belgique, ce qui implique qu’elle est titulaire d’un droit propre à l’aide sociale « générale » (Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 juin 2022, R.G. 22/651/A – précédemment commenté).

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