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Chômage temporaire pour force majeure Corona : l’interprétation souple de la notion de force majeure et la suspicion quant aux intentions de l’employeur

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), Chbre 6-A, 6 juin 2023, R.G. 2022/AN/145

Mis en ligne le mardi 6 février 2024


C. trav. Liège (div. Namur), Chbre 6-A, 6 juin 2023, R.G. 2022/AN/145

Dans un arrêt du 26 juin 2023, la cour du travail de Liège (division Namur) revient sur les modifications adoptées dans le courant de l’année 2020 à propos de la réglementation en matière de chômage temporaire, vu les mesures d’urgence prises dans le cadre de la pandémie COVID–19.

Faits de la cause

Mme B. a été engagée sous contrat de travail par M. M. en qualité de cuisinière à temps plein le 27 janvier 2017.
Vu la pandémie liée au Covid-19, son contrat de travail a été suspendu avec effet au 1er avril 2020, M. M. continuant seul l’activité « à emporter ».
Lorsque, à partir du 8 juin 2020, les établissements HORECA ont à nouveau été autorisés à accueillir des clients dans le respect de conditions strictes, M. M. n’a pas d’emblée invité Mme B. à reprendre le travail, continuant à travailler seul, l’activité étant réduite.
Par jugement du 24 septembre 2020, M. M. a été déclaré en faillite et le curateur a mis fin au contrat de travail avec effet au 28 septembre 2020.
Mme B. n’a pas perçu d’allocations pour chômage temporaire, celui-ci ayant été refusé à son employeur au motif qu’il n’avait pas demandé à sa cuisinière de reprendre le travail à partir du 8 juin et semblait déjà avoir décidé de mettre un terme à son activité dès le mois de juillet.
L’ONEm a informé Mme B. de ce refus par un courrier du 17 février 2021 en l’invitant à exposer sa défense.
Mme B. a donné suite par un courrier du 30 mars 2021 dans lequel elle confirme que M. M. a continué à travailler seul dans le restaurant en ne continuant que les plats à emporter. Il a certes invoqué les difficultés de rendre le commerce rentable avec les restrictions mais n’a adopté aucune décision définitive de fermeture à l’époque, ce que le conseil de son employeur confirmera. Ce courrier précise également que le service contrôle de l’ONEm a conclu le 24 juillet que son dossier était en ordre et qu’une décision pour le paiement des indemnités avait été envoyée à son organisme de paiement.
Par courrier du 16 mars 2021, l’ONEm décide d’exclure Mme B. du bénéfice des allocations du 8 juin au 28 septembre au motif qu’ayant fait appel à son syndicat dans le but que son employeur respecte ses engagements contractuels, elle n’était pas privée de rémunération entre ces dates. La feuille de récupération jointe fixe l’indu à 5.684,73€.

La procédure

Mme B. a introduit contre cette décision un recours visant la mise à néant de la décision et l’octroi de dommages et intérêts. L’ONEm a invité le tribunal à dire le recours recevable mais non fondé, à condamner Mme B. à rembourser une somme provisionnelle de 5.684,73€ et à la débouter de sa demande de dommages et intérêts.
Par un jugement du 10 août 2022, le tribunal du travail de Liège, division Namur, 6e chambre, après avoir reçu le recours et la demande reconventionnelle, dit le recours non fondé et confirme la décision de l’ONEm, condamnant Mme B. à rembourser à l’ONEm le montant de 5.684,73€ et la déboutant de sa demande de dommages et intérêts.
D’après la synthèse de la position de Mme B. faite par l’arrêt analysé, on comprend que les premiers juges :

  • ont estimé qu’il ne pouvait être question de force majeure en dehors de la fermeture obligatoire et que la force majeure devait être temporaire et non définitive,
  • ont retenu que Mme B. pouvait prétendre à une rémunération pour la période litigieuse,
  • ont exclu l’application de l’article 17, alinéa 2 de la Charte de l’assuré social, au motif que, l’ONEm n’ayant pas été informé de la situation en temps utile, il n’a pu commettre d’erreur,
  • ont refusé de faire application de l’article 169, dernier alinéa de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 pour réduire l’indu (bonne foi).

L’arrêt de la cour du travail

La cour du travail rappelle que selon l’article 26 de la loi du 03 juillet 1978 relative aux contrats de travail les événements de force majeure n’entraînent pas la rupture du contrat lorsqu’ils ne font que suspendre momentanément l’exécution du contrat.
Elle reprend deux articles de doctrine.
Le premier est celui de A. MECHELYNCK et J.-F. NEVEN (A. MECHELYNCK et J.-F. NEVEN, « Un renforcement du chômage temporaire pour tous les travailleurs ? Certains travailleurs atypiques privés à la fois de travail et du chômage temporaire », J.T.T., 2020, pp. 158-159), qui ont relevé qu’avec la montée en puissance des mesures de confinement, l’accès au chômage temporaire, tant au chômage économique qu’au chômage pour force majeure, a été largement facilité.
Ces auteurs ont rappelé les trois étapes du processus, étant que dans un premier temps, est intervenue la convention collective de travail n° 147 du 18 mars 2020, devant permettre aux entreprises qui ne sont pas liées par une convention collective ou un plan d’entreprise de mettre en œuvre un régime de chômage économique pour leurs employés. Cette première mesure a permis de pallier l’absence de régime résiduaire applicable aux employés en l’absence de convention collective ou de plan d’entreprise spécifiques (pour les ouvriers, aucune initiative n’a été prise puisque la loi précise le régime résiduaire applicable en l’absence d’arrêté royal spécifique).
Ensuite, des instructions administratives en matière de chômage pour force majeure sont intervenues, l’ONEm ayant, selon les termes repris par ces auteurs, largement ouvert les portes du chômage pour force majeure dès le premier arrêté du ministre de l’Intérieur organisant le confinement. Le chômage pour force majeure — en soi, largement plus simple sur le plan administratif — a pris le pas sur le chômage économique.
Enfin, un arrêté royal du 30 mars 2020 a donné une base réglementaire à différentes mesures dérogatoires, dont les adaptations des procédures et les améliorations de l’indemnisation.
Le recours au chômage temporaire a ainsi permis de soutenir l’économie en maintenant (partiellement) le revenu des travailleurs et donc, leur capacité à consommer, tout en permettant aux entreprises de reprendre plus facilement leurs activités une fois la crise passée, puisque les contrats de travail qui les liaient aux travailleurs ont « survécu » à la crise.
La cour renvoie ensuite à F. DACHOUFFE (F. DACHOUFFE, « Le chômage temporaire pour force majeure et pour causes économiques en période de pandémie de Covid -19 », J.L.M.B., 2022/19, p. 855), sur l’interprétation extrêmement souple de la notion de force majeure, qui a permis à un certain nombre d’entreprises qui ne subissaient qu’un ralentissement de leurs activités et qui n’étaient donc pas totalement à l’arrêt de mettre leurs salariés en chômage temporaire pour force majeure plutôt qu’en chômage économique, lequel était pourtant légalement plus pertinent. Ce chevauchement des régimes était par ailleurs accentué par une possibilité de conversion simplifiée, par simple déclaration à l’ONEm.
L’arrêt relève également que selon la feuille info E1 de l’ONEm, pour le chômage temporaire lié au Coronavirus il est sans incidence qu’il soit possible de travailler certains jours et que, pour les secteurs et entreprises particulièrement touchés, dont l’HORECA, cette application souple pouvait être invoquée jusqu’au 31.12.2020 (arrêté ministériel du 10 septembre 2020).
En l’espèce, l’argumentation de l’ONEm que la suspension de l’exécution du contrat au-delà du 08 juin 2020 (date à laquelle les restaurants ont été autorisés à rouvrir moyennant le respect de mesures strictes) résulterait d’une décision de l’employeur de mettre un terme à son activité - en sorte qu’il ne pouvait être question d’un cas de force majeure temporaire - n’est susceptible de trouver appui que dans un SMS de l’employeur qui ne suffit pas à l’établir.
Il existait à l’époque une grande incertitude sur la possibilité pour les restaurants de tenir financièrement le cap compte tenu de l’obligation de respecter de lourdes contraintes. Aucune pièce du dossier ne permet de conclure que M. M. aurait sciemment provoqué sa faillite bien au contraire.
La cour du travail conclut donc que c’est la réduction des activités due à la crise du Covid qui a mené M. M. à la faillite. Jusqu’à cette déclaration de faillite, Mme B. restait donc potentiellement éligible à un chômage temporaire Covid et ne pouvait être exclue du bénéfice de celui-ci pour le motif que son chômage ne rentrait pas dans la notion de force majeure Corona.
La cour s’interroge alors sur la question si Mme B. était privée de rémunération compte tenu de l’intervention du Fonds de fermeture des entreprises. Elle ordonne à cet égard la réouverture des débats, qui doit aussi être mise à profit par les parties pour s’expliquer sur la demande de dommages et intérêts formée par Mme B.

Intérêt de la décision commentée

La décision contient un rappel utile des règles relatives au chômage temporaire Corona et de la situation particulière de certains secteurs dont l’HORECA, reproduisant des extraits de la doctrine et d’une feuille info de l’ONEm.
Pour ce qui est de la Charte de l’assuré social, rappelons que
* le service contrôle de l’ONEm a décidé le 24 juillet 2020 ‘après examen de la situation’ de payer les indemnités de chômage temporaire à Mme B., ce qui implique que les conditions de ce type de chômage temporaire pour force majeure Covid étaient réunies,
*la décision de l’ONEm du 16 mars 2021 soumise à la censure des juridictions du travail exclut Mme B. du droit aux allocations en se fondant sur un fait nouveau au sens de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, à savoir qu’elle aurait droit à des rémunérations de son employeur,
*devant les juridictions du travail l’ONEm justifie essentiellement la récupération de l’indu par un autre motif, étant l’absence de force majeure qui, conditionnant le droit aux allocations pour chômage temporaire Covid, avait fait l’objet de l’examen initial du dossier, ce que confirment les pièces du dossier reproduites par l’arrêt analysé.
Le tribunal du travail de Liège, division Namur, avait refusé de faire application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social, qui interdit à l’institution de sécurité sociale de procéder à une révision d’une décision avec effet rétroactif en défaveur de l’assuré social lorsque l’indu résulte d’une erreur de cette institution.
L’arrêt analysé ayant conclu que Mme B. ne pouvait être exclue du droit aux allocations en raison du fait que l’employeur aurait pris la décision de procéder à la fermeture définitive du restaurant dès le début de la période litigieuse sous la réserve de la condition de privation de rémunération, la question de l’application de cet article 17, alinéa 2, à la cause de révision - étant l’absence de force majeure - ne se posait plus.


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