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Occupation de travailleurs ‘titres-services’ en-dehors des conditions légales : conséquences pour l’entreprise agréée

Commentaire de C. trav. Mons, 30 juin 2023, R.G. 2021/AM/124

Mis en ligne le jeudi 8 février 2024


C. trav. Mons, 30 juin 2023, R.G. 2021/AM/124

Dans un arrêt du 30 juin 2023, la Cour du travail de Mons condamne une société de titres-services à rembourser les montants perçus correspondant à des titres utilisés par un utilisateur pour des travaux non autorisés au motif qu’elle a bénéficié de l’intervention étatique et du prix d’acquisition des titres services, alors même que la réglementation n’était pas respectée.

Les faits

Un contrôle du service d’inspection de l’ONEm fut effectué le 20 novembre 2012 dans un immeuble abritant des chambres d’hôtes. Ce contrôle fit apparaître qu’une travailleuse « titres – service » était occupée au sein de la partie professionnelle de cet immeuble. Ce contrôle était intervenu suite à la dénonciation d’une autre travailleuse.

Un procès-verbal d’audition fut dressé et d’autres auditions furent enregistrées ultérieurement.

Des infractions furent constatés, à savoir (i) des activités non autorisées (nettoyage de locaux commerciaux), (ii) des titres complétés par les responsables de l’entreprise et (iii) des prestations effectuées au domicile de parents au deuxième degré. Celles-ci furent notifiées à la société.

Le conseil de celle-ci réagit en contestant la valeur probante du procès-verbal de constat et dénonçant des erreurs contenues dans celui-ci.

Le 22 janvier 2015, l’ONEm prit une décision en vue de la récupération du montant total de 1.425 titres services (quote-part utilisateur et intervention fédérale), soit un montant d’ordre de 31 000 €.

La société déposa une requête auprès du tribunal du travail du Hainaut, division de Tournai. Elle paya la somme réclamée, et ce sous réserve. Une mise en demeure fut également adressée à l’ONEm aux fins de restitution de cette somme, majorée des intérêts.

La procédure devant le tribunal du travail

Cette procédure fut renvoyée au rôle, dans l’attente de l’issue de la procédure pénale diligentée par l’auditeur du travail. Il y eut classement sans suite du dossier pénal, ce que l’auditorat porta à la connaissance de la société le 30 mars 2018. De même, le dossier fut classé sur le plan administratif par le Service des amendes administratives.

Le tribunal statua par jugement du 16 octobre 2020.

Il confirma la décision de l’ONEm en son principe, prit acte du remboursement effectué, ainsi que d’une légère diminution du montant réclamé par le FOREm (qui était devenu compétent pour la matière depuis le 1er juillet 2016) et fit droit à la demande du FOREm, le montant versé étant définitivement acquis à concurrence d’une somme légèrement inférieure, le FOREm étant condamné à restituer la différence, soit un montant légèrement supérieur à 2000 €.

Appel est interjeté par la société.

Position des parties devant la cour

Pour la société, appelante, le FOREm a la charge de la preuve de ses prétentions. Ellemaintient son argument relatif à l’absence de force probante du Pro Justitia de constat d’infractions au motif qu’il n’avait pas été transmis à l’auteur présumé de celles-ci dans les 14 jours suivant la constatation des infractions, cette valeur probante particulière ne valant pas dans le cadre d’un litige civil (comme en l’espèce).

La société soutient également que celui-ci comporte des erreurs concernant les infractions mentionnées (au demeurant formellement contestées) ainsi que d’autres mentions erronées. Elle sollicite l’écartement des débats de ce Pro Justitia – ce que le premier juge n’a pas fait.

En conséquence il n’y a aucune infraction à la législation dans son chef.

Enfin, elle conteste le respect de l’obligation de motivation conforme exigée par la loi du 29 juillet 1991.

Le FOREm plaide que l’objet de l’appel est d’obtenir la réformation de la décision administrative et non de contester le Pro Justitia. En outre, il déclare ne pas fonder sa décision de récupération sur celui-ci mais sur les infractions constatées lors du contrôle et mentionnées dans le rapport du contrôle. À supposer, pour lui, que le Pro Justitia soit dénué de force probante – quod non –, cette situation serait sans influence sur la décision administrative elle-même.

Il conteste également l’absence de motivation adéquate et postule la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour aborde en premier lieu la question de la force probante du Pro Justitia. La demande d’écartement est, comme elle le précise d’emblée, dépourvue de tout fondement. La décision administrative notifiée à la société constitue en effet l’aboutissement d’une enquête du service d’inspection de l’ONEm, qu’il a pu prendre après la constatation de la matérialité des infractions et suite à l’audition de la travailleuse et de tiers ainsi qu’à un rapport d’enquête diligentée à la suite des constatations faites.

Le résultat de l’ensemble de ces investigations a été consigné dans un procès-verbal de constat d’infraction communiqué le 28 juillet 2014. La société a été invitée à développer ses moyens de défense avant communication à l’auditorat. Elle le fit le 28 novembre 2014. Ceux-ci n’ont pas convaincu l’ONEm, qui a alors pris la décision administrative du 22 janvier 2015.

Pour la cour, débattre de la valeur probante du Pro Justitia de constat alors que le litige présente un caractère exclusivement civil manque de pertinence. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 7 mars 2016, S.14.0102.N), cette question se posant concernant la valeur probante des procès-verbaux des fonctionnaires de l’ONEm (ou plus généralement de ceux chargés d’assurer le respect de la législation sociale), dans le cadre pénal, s’agissant de l’intérêt de l’action publique et de l’action en réparation du dommage causé par les infractions qui y sont constatés.

L’autorité particulière que confère à celle-ci la loi du 16 novembre 1972 en son article 9 ne vaut pas dans un litige porté devant le tribunal du travail, qui doit examiner le fondement d’une décision administrative s’appuyant sur des dispositions réglementaires et statuer sur l’étendue des droits subjectifs de son destinataire. Dans une telle procédure, la valeur probante est celle d’une présomption de l’homme. La cour du travail renvoie ici à un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass., 28 avril 1997, S.96.0192.N).

La cour souligne encore qu’elle est autorisée dans son examen à s’appuyer sur l’ensemble du rapport d’enquête et rejette dès lors le premier point de l’argumentation de la société.

Elle en vient ainsi à celui relatif à l’absence de motivation adéquate et reprend à cet égard des éléments de théorie sur la question. Pour ce qui est des décisions prises par l’ONEm dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle rappelle que l’obligation de motivation apparaît d’autant plus fondamentale qu’elle participe de l’idée d’un procès équitable.

En l’espèce, les mentions de droit et de fait figurant dans la décision sont jugées suffisantes et la cour souligne encore que la contestation ne présente aucun intérêt concret dans la mesure où, si l’annulation devait intervenir, il lui appartiendrait de se substituer à l’administration et de statuer sur le litige.

En matière de titres services se pose, concrètement, la question de savoir si le FOREm dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans sa mission ou d’une compétence liée lui imposant de procéder à la récupération de l’intervention litigieuse lorsque les conditions d’octroi ne sont pas respectées. Ceci amène la cour à rappeler la distinction entre la compétence liée et le pouvoir discrétionnaire de l’administration.

L’arrêté royal du 12 décembre 2001 mentionne que l’ONEm « peut » récupérer. Pour la cour le recours au verbe « pouvoir » à l’article 10 bis, § 5, ne constitue pas un élément décisif et ne permet pas de conclure à l’existence d’un pouvoir discrétionnaire. Elle se tourne dès lors vers la solution de droit commun de l’article 157 de l’arrêté royal du 17 juillet 1991 portant coordination des lois sur la comptabilité de l’État, qui soumet tout allocataire à l’obligation de principe de rembourser sans délai une subvention si les conditions d’octroi n’ont pas été respectées ou si celle-ci n’a pas été utilisée aux fins pour lesquelles elle avait été accordée. Il s’agit ici d’une véritable obligation imposée au FOREm de procéder à la récupération totale de l’intervention. Cet organisme n’a dès lors aucune latitude dans la décision de récupération.

En outre la disposition en cause ne peut s’analyser comme ayant une nature pénale, dans la mesure où elle concerne uniquement les conditions d’octroi. En conséquence, les juridictions du travail ne pourraient dans une telle situation accorder une mesure de suspension du prononcé de la condamnation, ne s’agissant pas de sanction pénale.
La cour conclut sur ce point que, dans la mesure où la décision administrative n’est pas annulée, le second moyen de la société est non fondé.

Elle en vient ainsi à l’examen de la matérialité des infractions reprochées à la société. Reprenant le détail des déclarations faites lors des auditions ainsi que les constatations de la contrôleuse sociale, elle conclut que ces éléments constituent autant de présomptions graves, précises et concordantes et qui sont « entièrement superposables entre elles » que l’ouvrière a été occupée pour l’entretien des chambres d’hôtes exploitées au sein de la résidence en cause, soit la partie commerciale et non privée de l’utilisatrice.

La cour constate également la substitution de titres services.

La société tentant par ailleurs de s’exonérer de toute responsabilité en prétendant que les activités irrégulières s’inscrivaient dans une démarche volontaire initiée par les utilisateurs et étrangère à toute autorisation de sa part, la cour retient que la société ne peut soutenir que sa responsabilité n’est pas engagée. En effet, elle a bénéficié de l’intervention étatique et du prix d’acquisition des titres services, alors même que la réglementation n’était pas respectée. L’intervention est indue et ce constat ouvre le droit à la récupération.

Elle en vient, alors, au montant à récupérer, constatant ici que, pour les prestations effectuées avant le 16 novembre 2011, seule l’intervention fédérale pouvait être récupérée, en vertu du texte de l’article 10, § 5, de l’arrêté royal du 12 décembre 2001 avant sa modification par celui du 25 octobre 2011 (entré en vigueur le 16 novembre 2011).

Les parties s’opposant sur le nombre de titres services concernés, la cour retient, aux termes d’une analyse fouillée, le montant retenu par le FOREm.

Enfin, la société ayant fait une demande de capitalisation des intérêts, qu’elle fixe à 7 %, conformément à l’article 2, § 3, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, la cour corrige ce calcul, appliquant les taux de l’article 2, § 1, de cette même loi, soit l’intérêt en matière civile et commerciale.

Intérêt de la décision

Des infractions à la réglementation en matière de titres services sont régulièrement sanctionnées par les juridictions du travail. Cet arrêt, qui ordonne le remboursement des montants perçus par la société alors qu’aucune suite n’était intervenue sur le plan pénal ou sur celui des amendes administratives, rappelle que si le Ministère public a estimé qu’aucune suite ne devait intervenir, ceci n’empêche pas qu’un remboursement puisse être exigé. Le but de la sanction ou de l’amende administrative est en effet de punir le contrevenant pour une infraction commise et qui peut être qualifiée d’infraction de nature sociale. Le remboursement, en revanche, est une pure mesure de rétablissement : celui qui a reçu à tort une indemnité ou un subside doit le restituer. L’on peut, sur la question, renvoyer à Cour du travail de Bruxelles, 29 avril 2022, R.G. 2020/AB/477 (précédemment commenté).

L’arrêt, rendu à propos de faits anciens, rappelle également l’autorité particulière des procès-verbaux de constat que leur confère la loi du 16 novembre 1972 et souligne que celle-ci ne vaut pas dans un litige porté devant le tribunal du travail. La juridiction civile doit examiner le fondement de la décision administrative, s’appuyant sur des dispositions réglementaires et statuer sur des droits subjectifs. Dans une telle procédure, la valeur probante de ces procès-verbaux est celle d’une présomption de l’homme.


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