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Conditions de cumul entre une pension de retraite et des revenus perçus suite à une activité professionnelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 7 avril 2023, R.G. 2021/AL/189

Mis en ligne le vendredi 9 février 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 7 avril 2023, R.G. 2021/AL/189

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 avril 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) confirme la légalité de l’article 64, § 4, de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, en ce qu’il établit une distinction entre les travailleurs âgés de moins de soixante-cinq ans et ceux ayant atteint cet âge, les premiers ne pouvant cumuler sans limite les revenus d’une activité professionnelle avec une pension de retraite, contrairement aux seconds.

Les faits

Un travailleur, ayant une carrière mixte (travailleur salarié d’abord et indépendant ensuite), forme une demande de pension de travailleur salarié auprès du S.F.P. en 2013. Celle-ci lui est octroyée à partir du 1er avril.

De même, l’I.N.A.S.T.I. lui octroie un droit de pension dans le régime indépendant à partir de la même date.

L’intéressé ayant adressé sa déclaration d’activité, étant son engagement à n’exercer une activité professionnelle que dans les limites autorisées par la réglementation, les deux organismes lui notifient l’octroi d’une pension à partir du 1er janvier 2014.

Ultérieurement, en 2017, l’I.N.A.S.T.I. suspend le paiement de la pension en totalité pour l’année 2015 et à concurrence de 6% pour l’année 2016, au motif qu’il ressort des données communiquées par le fisc que l’intéressé avait bénéficié de revenus professionnels excédant la limite autorisée.

Une première discussion survient alors avec le S.F.P., à propos de l’année 1969, qui n’avait pas été reprise dans la carrière alors que l’intéressé assure avoir travaillé deux-cent-quatre-vingt jours pendant celle-ci.

Par ailleurs, un indu de l’ordre de 15.000 euros est réclamé. Il conteste les deux décisions qui interviennent alors, l’une de l’I.N.A.S.T.I. et l’autre du S.F.P.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal du travail fait droit à la demande de l’intéressé, après avoir joint les causes.

Les deux organismes interjettent appel.

La décision de la cour

La cour constate être saisie uniquement de l’appel du S.F.P. contre le jugement du tribunal du travail dans le volet « pension dans le régime des travailleurs salariés ».

Elle examine dès lors les conditions fixées à l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés concernant le cumul de la pension avec le produit d’une activité professionnelle. L’article 64, §§ 2 et 4, permet le cumul sans limite avec de tels revenus si le pensionné est âgé de soixante-cinq ans ou plus ou, s’il est plus jeune, s’il prouve une carrière d’au moins quarante-cinq années à la date de prise de cours de la première pension de retraite.

N’ayant pas atteint l’âge de soixante-cinq ans lors de la prise de cours de la pension, l’intéressé doit dès lors, pour la cour, établir une carrière d’au moins quarante-cinq années s’il entend cumuler de manière illimitée sa pension et ses revenus professionnels.

Elle examine dès lors le fondement du recours originaire du demandeur, rappelant en premier lieu, sur la légalité de la décision litigieuse, que, conformément à l’article 8.4 du Code civil, il appartient à l’assuré social qui réclame le bénéfice d’une prestation sociale d’établir qu’il remplit l’ensemble des conditions d’octroi de cette prestation. La cour renvoie ici à la doctrine de H. MORMONT (H. MORMONT, « La charge de la preuve dans le contentieux judiciaire de la sécurité sociale », R.D.S., 2013/2, p. 381).

En matière d’occupation donnant ouverture du droit à la pension de retraite, la preuve peut être administrée par tous documents attestant que les cotisations de pension ont été retenues. En l’espèce, aucune cotisation de sécurité sociale de pension ne figure sur le relevé de carrière officiel pour l’année 1969.

L’intéressé dépose des attestations de deux collègues, selon lesquelles il a effectué des prestations de travail, comme eux, pour le même employeur (concessionnaire Opel).

La cour relève qu’aucun document n’est déposé démontrant que les cotisations de pension ont été retenues et que, de ce fait, le travailleur était occupé dans les liens d’un contrat de travail. Elle ajoute qu’à l’époque, l’intéressé était âgé de seize ans et que, s’il a travaillé en 1968 (avec mention dans le relevé de carrière de trente-cinq jours), il était alors très jeune. Il est possible qu’il ait presté quelques jours comme salarié avant d’entamer un apprentissage et qu’il ait suivi celui-ci pendant l’année 1969 (l’apprentissage n’engendrant pas de retenues de cotisations sociales de pension) et qu’ensuite il été engagé comme salarié à partir de l’année suivante.

Elle rappelle que le S.F.P. calcule les pensions à partir des données figurant sur le compte individuel de l’assuré social et que c’est l’O.N.S.S. qui est chargé de percevoir les cotisations et qui est responsable de l’exactitude des données qui y figurent. Il ne peut dès lors être reproché au S.F.P. de ne pas avoir conservé l’ensemble des données relatives à la carrière professionnelle.

La preuve de quarante-cinq années de carrière au jour de la prise de cours de la première pension de retraite n’est dès lors pas apportée.

Le travailleur invoquant, à titre subsidiaire, une discrimination entre les travailleurs âgés de moins de soixante-cinq ans qui démontrent quarante-cinq années de carrière et ceux qui ne démontrent pas celles-ci, la cour examine l’existence de la discrimination vantée.

Elle procède en premier lieu au rappel des étapes du contrôle judiciaire de la constitutionnalité d’une disposition réglementaire ou de portée individuelle (article 159 de la Constitution), étant (i) le critère de comparabilité, (ii) le critère téléologique, (iii) le critère d’objectivité, (iv) le critère de pertinence et (v) le critère de proportionnalité.

Elle reprend, pour ce, le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 20 janvier 2015 modifiant l’article 64 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, dont elle cite un très large extrait. La mesure a en effet été prévue pour les personnes âgées d’au moins soixante-cinq ans car l’objectif est qu’elle participe, avec d’autres mesures, au maintien en activité des plus âgés et permet aux pensionnés de compléter une pension le cas échéant plus faible. Par contre, pour les pensionnés qui n’ont pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, il ne convient pas pour ceux qui n’ont pas une carrière suffisante de leur permettre cette possibilité de cumul illimité. La prise de la pension anticipée ne peut pas être encouragée : il est préférable que ceux-ci reportent le moment de leur départ à la pension anticipée, de sorte qu’ils complètent encore leur carrière.

Pour la cour il y a une justification objective et raisonnable à la distinction en cause, par rapport au but poursuivi et aux effets de la mesure.

Elle relève encore que le critère, lié à la longueur de la carrière, existait déjà dans le régime antérieur, qui permettait le cumul illimité entre une pension de retraite et des revenus professionnels pour les seuls pensionnés de plus de soixante-cinq ans qui justifiaient d’une carrière professionnelle d’au moins quarante-deux années à dater de la prise de cours de la pension et que, dans ce cadre légal, il a été conclu en jurisprudence à une absence de violation des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination (la cour du travail renvoyant à C. trav. Bruxelles, 22 juin 2017, R.G. 2016/AB/63).

La cour conclut au fondement de l’appel du S.F.P. et réforme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège aborde, dans l’arrêt commenté, la délicate question de la discrimination dans les possibilités offertes aux travailleurs pensionnés d’exercer une activité professionnelle cumulable avec la pension de retraite. Comme la cour le relève, il a été conclu, dans le système antérieur à l’arrêté royal du 20 janvier 2015, à l’absence de violation des normes constitutionnelles, s’agissant de mesures prises en fonction d’un critère objectif (l’âge). Dans son arrêt du 7 avril 2023, la cour du travail a examiné la question dans le cadre de la réglementation actuelle, étant l’article 64 tel que modifié par l’arrêté royal du 20 janvier 2015 (entré en vigueur le 1er janvier 2015).

C’est le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal qui justifie, pour la cour, le fondement de la mesure. Elle fait suite à l’accord de Gouvernement du 9 octobre 2014, prévoyant d’une part la possibilité de cumul illimité pour certains pensionnés (à deux conditions, étant soit l’âge de soixante-cinq ans, soit une carrière d’au moins quarante-cinq années) et d’autre part l’adaptation de la sanction en cas de dépassement des plafonds en raison du cumul.

La décision de la cour du travail s’inscrit donc dans la continuité de la jurisprudence en la matière.


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