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Associé actif et assujettissement au statut social des travailleurs indépendants

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 20 mars 2023, R.G. 2017/AL/74

Mis en ligne le vendredi 9 février 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 20 mars 2023, R.G. 2017/AL/74

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 mars 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que l’associé actif n’est pas visé à l’article 3 de l’arrêté royal n° 38, étant qu’il n’est pas présumé exercer une activité indépendante l’assujettissant au statut social, mais que l’I.N.A.S.T.I. (ou la caisse) a la charge de la preuve de cet assujettissement.

Les faits

Une ouvrière prestant dans une pizzeria (ainsi que deux autres travailleuses) acquiert en août 2013 dix parts (sur cent) d’une société (dont le gérant était la même personne que celui de la pizzeria).

Une convention de rupture d’un commun accord est signée, celle-ci précisant « changement de statut », au motif de l’acquisition de la qualité d’associée active de cette société, qui reprend alors l’exploitation de la pizzeria.

L’intéressée s’affilie, en conséquence, en qualité d’indépendante auprès d’une caisse sociale. Elle continue à prester et perçoit, en qualité d’associée active, un montant de 1.250 euros par mois.

La société, qui s’était engagée à payer les cotisations sociales, reste en défaut de ce faire. La caisse délivre une sommation avant contrainte pour les quatre trimestres de l’année 2014.

L’intéressée s’engage alors à payer les cotisations elle-même. Concomitamment, elle transfère ses parts sociales au gérant (de même qu’une autre travailleuse) et remplit une déclaration de cessation d’activité indépendante.

Le gérant remet la pizzeria à une autre société, qui engage la travailleuse dans le cadre d’un contrat de travail.

Celle-ci, ayant reçu une nouvelle sommation par huissier de justice, conteste alors être redevable des cotisations, exposant avoir été contrainte d’adopter ce statut pour conserver son emploi.

Une contrainte est alors délivrée par la caisse. Dans le cadre d’un échange de correspondance avec le conseil de l’intéressée, la caisse signale que le fait d’être affiliée comme associée active et de percevoir des revenus de travailleur indépendant implique nécessairement l’assujettissement au statut social.

La travailleuse conteste devant le Tribunal du travail de Liège (division Huy).

Dans le cours de la procédure, la caisse réclame des cotisations sociales pour l’année suivante et, par ailleurs, l’administration fiscale procède à une rectification d’office de la déclaration d’impôt.

Les deux autres collègues, confrontées aux mêmes difficultés, introduisent également des procédures devant le tribunal du travail. L’une obtient gain de cause, contrairement à la seconde. La demanderesse originaire dans la présente affaire est, pour sa part, déboutée.

Elle interjette appel.

La position des parties devant la cour du travail

L’appelante demande de dire la contrainte non fondée, au motif qu’elle n’a jamais été travailleuse indépendante. Elle forme une demande à titre subsidiaire, étant l’audition de ses collègues.

La caisse sollicite, pour sa part, la confirmation du jugement.

L’avis du ministère public

Pour le ministère public, il s’agit d’une évidence : l’intéressée n’a jamais eu le statut de travailleuse indépendante.

La décision de la cour

Le cadre légal est brièvement rappelé, étant l’article 3 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967.

La cour en reprend le texte, soulignant certains passages, dont la présomption réfragable d’assujettissement de toute personne qui exerce en Belgique une activité professionnelle susceptible de produire des revenus au sens du Code des impôts sur les revenus 1992 (§ 1er, al 1er).

Elle reprend également la règle concernant les personnes désignées comme mandataires dans une association ou une société de droit ou de fait qui se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ou qui, sans être désignées, exercent un mandat au sein de celle-ci. Pour ces personnes existe également une présomption réfragable d’exercice d’une activité professionnelle en tant que travailleurs indépendants (§ 1er, al 5).

La cour pose ensuite la question de savoir ce qu’il en est des associés actifs. Pour ceux-ci, il n’existe pas de présomption d’assujettissement spécifique. Il appartient dès lors à l’I.N.A.S.T.I. (ou à la caisse) de démontrer que l’associé actif doit être assujetti au statut social, précisément en raison de son rôle actif. La charge de la preuve incombe dès lors à ce dernier ou à la caisse.

La cour s’attache ensuite à identifier l’associé actif, précisant qu’il n’est pas requis que son activité ait la nature d’une gestion ou d’une direction au sens étroit de ces termes (Cass., 15 septembre 1980, n) 74/347).

Ce qui, pour la cour, est par contre requis est qu’il exerce une activité dans le but de faire fructifier le capital qui lui appartient en partie. La cour renvoie ici à plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 26 janvier 1987, n° 7.663).

La cour ajoute que l’activité doit être professionnelle, c’est-à-dire présenter un caractère habituel et être exercée dans un but de lucre.

En l’espèce, la présomption fiscale de l’article 3, § 1er, al 1er, doit s’appliquer, dans la mesure où les revenus de l’intéressée ont été déclarés comme revenus de travailleur indépendant. La présomption étant réfragable, celle-ci peut apporter la preuve contraire, ce que, pour la cour, elle fait.

L’arrêt reprend l’historique des événements, soulignant que la travailleuse a d’abord presté en qualité de salariée et, ensuite, d’indépendante, pour redevenir salariée à nouveau. Les explications données par elle sont considérées comme probantes et la cour renvoie également au « pedigree impressionnant » du gérant, dont M. l’Avocat général a repris les éléments du dossier, celui-ci étant bien connu des inspections sociales ainsi que des services de police.

En conséquence, l’appelante n’ayant jamais eu la qualité de travailleuse indépendante, la contrainte n’a pas lieu d’être. La cour accueille dès lors l’appel.

Intérêt de la décision

Le recours au statut d’associé actif apparaît, en cette affaire, manifestement contraire à la réalité de l’exécution des prestations de travail, la cour ayant notamment retenu l’exercice de fonctions inchangées sous statut de salariée d’abord, d’indépendante ensuite et de nouveau de salariée.

De manière générale, la question de l’assujettissement au statut social de l’associé actif est examinée en dehors de l’article 3, § 1er, al. 5, de l’arrêté royal n° 38, celui-ci ne concernant que les personnes désignées comme mandataires d’une société ou qui, sans l’être, exercent un mandat.

La cour a souligné la conséquence de l’exclusion de l’associé actif du cadre de la présomption légale, étant qu’il appartient à l’I.N.A.S.T.I. ou à la caisse d’établir que les conditions d’assujettissement sont remplies.

La preuve à apporter, lorsque la caisse d’assurances sociales (ou l’INASTI) se prévaut de la qualité d’associé actif porte non seulement sur la qualité d’associé, mais aussi sur l’exercice d’une activité par celui-ci. Le fait d’être titulaire d’un mandat gratuit ne suffit pas à démontrer l’existence d’une activité professionnelle (en ce sens voir C. trav. Bruxelles, 10 août 2018, R.G. 2017/AB/834).
La jurisprudence est constante à cet égard et l’on peut notamment renvoyer également à un arrêt précédent de la même cour (C. trav. Bruxelles, 9 décembre 2016, R.G. 2015/AB/853 – ce dernier ayant été précédemment commenté) : s’il y a une présomption d’assujettissement sur la base du critère fiscal (critère qui ne pourra pas trouver à s’appliquer en cas d’absence de revenus), ou encore sur la base de l’existence d’un mandat, il n’y a pas de présomption liée à la qualité d’associé actif. C’est dès lors à la caisse d’établir qu’une activité a été exercée, et ce dans le but de faire fructifier le capital. La seule existence du mandat n’est pas la preuve d’une activité habituelle et régulière.
La qualité dans laquelle l’associé actif a presté peut bien évidemment faire l’objet d’une requalification. La Cour du travail de Mons a jugé à cet égard que lorsque, au-delà des contraintes d’organisation exigées en vue du fonctionnement de la société, il apparaît, d’une part, que celle-ci disposait du droit d’imposer aux associés le contenu de leur travail, les heures de prestations, les critères de fixation du prix des services et, d’autre part, que l’activité des associés tendait, non pas à faire fructifier le capital investi par eux, mais bien à justifier une rémunération qui était fonction des seules prestations professionnelles qu’ils fournissaient sous le contrôle permanent de l’administrateur délégué, il faut en conclure que ne sont pas réunies les conditions de l’affectio societatis caractéristique de l’activité de l’associé actif et que ces éléments sont inconciliables avec une collaboration indépendante (C. trav. Mons, 12 janvier 2006, R.G. 17.106).


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