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Décision de désassujettissement de l’ONSS non contestée par le travailleur et ses conséquences sur son droit aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles (8e chbre), 11 octobre 2023, R.G. 2021/AB/824

Mis en ligne le lundi 15 avril 2024


C. trav. Bruxelles (8e chbre), 11 octobre 2023, R.G. 2021/AB/824

Terra Laboris

Lorsque l’ONSS a pris la décision définitive de supprimer d’office la déclaration des prestations d’un travailleur pour un trimestre ainsi que la déclaration DIMONA pour toute la période déclarée, il appartient au chômeur qui prétend à la prise en compte desdites prestations pour l’admissibilité au bénéfice des allocations de chômage d’établir la réalité de prestations de travail salarié.

Faits de la cause

M. A.Y. a demandé à bénéficier d’allocations de chômage à partir du 5 février 2018.

Le formulaire C4 qu’il a produit à cette occasion renseignait une occupation à temps plein, du 6 novembre 2017 au 4 février 2018 auprès de la SPRL « A.S.H.G. ». Sa demande a été acceptée à partir de cette date.

De nombreux éléments ont toutefois amené l’ONSS à conclure à l’absence de contrat de travail entre cette société et les personnes déclarées pour le quatrième trimestre 2017.

Avant de prendre la décision de supprimer d’office la déclaration des prestations de M. A.Y. pour ce trimestre (aucune déclaration n’ayant été introduite à l’ONSS en sa faveur pour le 1er trimestre 2018) et de supprimer la déclaration DIMONA pour toute la période, l’ONSS a invité M. A.Y. à s’expliquer le 12 février 2018 en l’informant des conséquences possibles sur son droit aux allocations de chômage ; M. A.Y. s’est rendu à cette convocation.

Le 3 août 2020, l’ONSS a informé M. A.Y. de sa décision de suppression d’office, en précisant les modalités de recours contre celle-ci.

Aucun recours n’a été introduit par M. A.Y. dans le délai légal de trois mois.

Par courrier du 17 février 2021, l’ONEm l’a informé que, compte tenu de cette décision, il ne justifiait pas d’un nombre de jours suffisant pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, en sorte que les allocations payées à partir du 5 février 2018 devaient être récupérées. Il l’a invité à exposer sa défense par écrit, ce qu’il a fait en invoquant la réalité de son occupation.

Par courrier du 23 mars 2021, l’ONEm l’a informé de sa décision d’exclusion et de récupération, dont le montant a été fixé à 42.626,64€ par une autre décision du 23 mars 2021.
M. A.Y. a introduit contre ces décisions un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles. Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal a dit la demande recevable mais non fondée.

M. A.Y. a interjeté appel de ce jugement ; l’ONEm a formé pour la première fois devant la cour du travail une demande reconventionnelle aux fins d’obtenir une condamnation au payement des sommes indûment perçues.

L’arrêt commenté

La cour du travail dit l’appel du chômeur recevable de même que la demande reconventionnelle, qui présente un lien factuel évident avec la demande principale.

Sur le fondement de l’appel de M. A.Y., l’arrêt commenté précise tout d’abord que, sans les jours de travail ayant fait l’objet de la décision d’annulation de l’assujettissement à l’ONSS, les journées justifiées ne permettent pas l’admission au bénéfice des allocations de chômage.

La cour du travail retient ensuite que la décision de l’ONSS ne peut plus faire l’objet d’un recours du chômeur. La cour peut toutefois en contrôler la légalité interne et externe de manière incidente et au besoin l’écarter en application de l’article 159 de la Constitution. La charge de la preuve de l’illégalité repose toutefois intégralement sur M. A.Y. et le doute doit être retenu à son détriment.

Elle décide que les éléments invoqués par le chômeur sur la légalité interne de la décision de l’ONSS ne permettent pas de conclure à la réalité des prestations de travail au service de la SPRL « A.S.H.G. » pendant la période litigieuse.

Les documents sociaux n’établissent en effet pas la réalité des prestations et sont en outre suspects : le contrat de travail contient des erreurs grossières, les fiches de paie indiquent une autre fonction que le contrat, les quittances produites ne correspondent pas à la notion de quittance de paiement, aucun document n’est déposé pour établir la réalité des paiements et dans ces quittances le nom de la gérante est écrit différemment que dans le C4. En outre, le paiement intervenu de la main à la main est, depuis le 1er octobre 2016, exceptionnel et soumis à certaines conditions.

Par ailleurs, les deux attestations produites sont imprécises, ne remplissent aucune des conditions de forme de l’article 961/2 du Code judiciaire et émanent de travailleurs également concernés par la décision de désassujettissement.

Enfin, le fait que des revenus ont été déclarés fiscalement ne permet pas dans ce contexte d’établir la réalité des prestations.

L’arrêt analysé examine ensuite le moyen de l’appelant selon lequel la décision de l’ONSS ne respecterait pas la loi sur la publicité des actes administratifs du 11 avril 1994 ni celle sur la motivation formelle des actes administratifs du 29 juillet 1991.

Outre le manque de précision sur les dispositions violées et en quoi elles le seraient, la cour du travail observe que la décision de l’ONSS a été adressée individuellement au chômeur avec les précisions nécessaires sur son objet et le recours possible. Il a été entendu par cet organisme, a pu communiquer des documents et a été informé des conséquences pratiques de celle-ci sur ses allocations de chômage, notamment.

M. A.Y. ne précise pas sur quelle base l’ONSS aurait dû l’informer plus précisément des dites conséquences, la cour du travail rappelant (note 23) que cette décision ne tombe pas dans le champ d’application de la loi du 11 avril 1995 instituant « la charte » de l’assuré social, se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 25 mars 2021, n°49/2021.

L’arrêt analysé conclut qu’il n’y a pas de raisons de remettre en cause la décision de l’ONSS et, partant, celle de l’ONEm, déboutant M. A.Y. de son appel et accueillant la demande reconventionnelle sous la seule précision qu’il n’y a pas lieu de qualifier ce montant de provisionnel.

Quant aux dépens à charge de l’ONEm, l’arrêt retient que l’indemnité de procédure à sa charge doit être indexée d’office, citant notamment (n°28) Cass., 13 janvier 2023, J.T., 2023/10 pp. 175 à 176.

Intérêt de la décision commentée

Ce litige entre le chômeur et l’ONEm permet rappeler les effets de la décision de désassujettissement prise par l’ONSS en relation avec le droit du chômeur aux allocations de chômage.

On peut tout d’abord relever que l’ONSS a pris soin de prévenir le travailleur de ses intentions, lui a permis d’être entendu et l’a informé de la possibilité de contester sa décision ainsi que des conséquences possibles dans le domaine du chômage.

Ces précautions nous paraissent essentielles dès lors que l’assujettissement frauduleux ne suppose pas la constatation d’une infraction dans le chef du travailleur non plus que sa participation en connaissance de cause à la fraude (cfr Cass., 16 décembre 2019 S.18.0068.F consultable avec un commentaire sur www.terralaboris et publié sur Juportal avec les conclusions du ministère public) et que le délai dont dispose l’ONSS pour agir était, avant la loi programme du 26 décembre 2022, de 7 ans et est actuellement de 10 ans (article 51 de cette loi, entré en vigueur le 1er janvier 2023).
Pour le travailleur, la conséquence de la décision de l’ONSS est qu’il ne peut se prévaloir des documents frauduleux, en sorte qu’il doit prouver les éléments constitutifs du contrat de travail, étant l’existence d’un travail, d’une rémunération et d’un lien de subordination (voir en ce sens CT Liège division Namur 23 novembre 2021, R.G. 2020/AN/142, consultable sur www.terralaboris .


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