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Soins médicaux programmés à l’étranger : circonstances justifiant l’absence d’autorisation préalable

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 26 avril 2023, R.G. 2022/AU/43

Mis en ligne le mardi 16 avril 2024


C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 26 avril 2023, R.G. 2022/AU/43

Dans un arrêt du 26 avril 2023, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) retient, pour une personne âgée nécessitant des soins en période de COVID, que les circonstances entourant sa situation ainsi que le contexte lié à la pandémie constituent des motifs justifiant l’absence d’autorisation préalable de la mutuelle requise pour recevoir des soins à l’étranger.

Les faits

Une personne âgée de 93 ans a été opérée à Arlon en juillet 2020 suite à une fracture du col du fémur.

En raison de la pandémie COVID – 19 et du manque de place, sa famille l’a transférée au Centre de revalidation de Colpach au Luxembourg (séjour du 20 juillet 2020 au 29 juillet 2020).

Préalablement, une demande de prise en charge de frais de rééducation fonctionnelle avait été introduite.

L’INAMI a refusé la prise en charge au motif notamment que les conditions dans lesquelles un assuré peut se rendre à l’étranger pour une rééducation fonctionnelle sont fixées à l’article 294 § 1er de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 et que les termes « rééducation fonctionnelle » comportent deux volets, étant les prestations prévues dans les conventions conclues avec les divers centres de rééducation et celles figurant dans la nomenclature des prestations de rééducation - le Collège des médecins- directeurs ne pouvant identifier dans la réglementation belge de dispositions relatives à la rééducation fonctionnelle concernée.

Un recours a été introduit devant le tribunal du travail de Liège (division Arlon).

La décision du tribunal

Le tribunal a donné gain de cause à la demanderesse, considérant que celle-ci pouvait bénéficier de la prise en charge des frais liés à son séjour, et ce à hauteur des coûts dus par l’État belge si les soins de santé avaient été dispensés en Belgique.

L’appel

Appel est interjeté en ce que le jugement a limité l’intervention à hauteur des frais que l’État belge aurait normalement dû prendre en charge si les soins avaient été prodigués en Belgique, l’appelante demandant la prise en compte des montants fixés par les dispositions de la loi luxembourgeoise.

Elle se fonde sur l’article 20 du Règlement européen 883/2004 ainsi que sur sa qualité de frontalière.

Elle estime qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation préalable – ce qui a été confirmé par le jugement et qui n’est pas contesté en appel.

L’UNMS et l’INAMI demandent l’application de l’article 294 § 1er, 8°, 13° et 14° de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, qui impliquent le principe de l’intervention à concurrence de la tarification belge. En outre, ils font valoir que pour qu’il y ait remboursement, les soins doivent avoir été prodigués dans une institution publique, ce qui n’est pas le cas, et après autorisation préalable, autorisation que l’intéressé ne possédait pas.

L’avis du ministère public

Le ministère public rappelle les deux systèmes de remboursement de soins à l’étranger. Le Règlement de coordination 883/2004 et son Règlement d’application 987/2009 distinguent les soins programmés et les soins inopinés. Il s’agit en l’espèce de soins programmés. Aussi, il y a lieu d’appliquer l’article 20 du Règlement, qui exige une autorisation préalable (sauf exceptions jurisprudentielles dans des circonstances particulières tenant à l’état de santé ou à la maladie).

Par ailleurs, il est d’avis que la notion d’établissement public doit être interprétée comme visant les établissements (publics ou privés) qui prennent part au système de soins encadrés par l’État membre.

Enfin, la Directive 2011/24 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers prévoit également la possibilité pour les frontaliers de se faire soigner dans un autre État membre, le remboursement n’étant qu’exceptionnellement soumis à une autorisation préalable et celui-ci intervenant à concurrence de ce qui aurait été pris en charge pour les soins médicaux dispensés sur le territoire.

Pour le ministère public, l’appel est dès lors non fondé.

La décision de la cour

La cour reprend les dispositions de droit interne relatives au remboursement des soins de santé à l’étranger, étant l’article 136, § 1er, de la loi coordonnée et l’article 294 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996.

Elle souligne que cette dernière disposition exécute notamment la Directive 2011/24 du 9 mars 2011, dont l’article 7.4 dispose que les coûts des soins de santé transfrontaliers sont remboursés ou payés directement par l’État membre d’affiliation à hauteur des coûts qu’il aurait pris en charge si ces soins de santé avaient été dispensés sur son territoire, sans que le remboursement excède les coûts des soins de santé reçus. L’État d’affiliation peut néanmoins décider de rembourser l’intégralité du coût mais la cour constate que la Belgique n’a pas fait ce choix.

Elle en vient ensuite aux dispositions du Règlement lui-même, étant le texte de son article 20, relatif aux déplacements aux fins de bénéficier de prestations en nature et à l’autorisation de recevoir un traitement adapté en dehors de l’État membre de résidence. Elle expose la procédure imposée par cette disposition, étant que l’autorisation préalable prend la forme d’un formulaire S2 avec respect, pour le remboursement, des dispositions de la législation de l’État de traitement des soins.

Elle relève qu’il y a dès lors deux situations visées (outre les situations d’urgence), étant le cas de la personne frontalière au sens de la directive et celui de la personne qui ne peut recevoir les soins sur le territoire national de son État d’affiliation dans un délai acceptable sur le plan médical compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie.

Dans cette seconde hypothèse, deux conditions sont à remplir, la première étant que les soins figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État de résidence et que, compte tenu de l’état de santé actuel de l’assuré et de l’évolution de sa maladie, ceux-ci ne peuvent lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire. La deuxième condition est, comme l’a jugé la Cour de Justice (C.J.U.E., 29 octobre 2020, C–243/19, § 29), une question d’appréciation de fait, qui intervient in concreto, en tenant compte de l’ensemble des circonstances, (situation médicale au moment de la demande, degré des douleurs, nature du handicap et antécédents).

Sur la question de l’autorisation préalable, elle rappelle, toujours avec la Cour de Justice (C.J.U.E., 17 mars 2011, C–157/99), que le but est de garantir une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité sur le territoire de l’État concerné et par ailleurs d’assurer une maîtrise des coûts et d’éviter un gaspillage de ressources financières.

La cour passe ensuite en revue d’autres arrêts de la Cour de Justice, qui invite le juge national à se baser sur les éléments concrets du cas d’espèce. Elle renvoie encore à cet égard à un arrêt du 16 mai 2006 (C.J.U.E., 16 mai 2006, C–372/04) à propos de délais découlant de listes d’attente, qui ne peuvent constituer un motif de refus.

Elle souligne encore que l’article 20 admet que l’autorisation peut ne pas être demandée compte tenu des circonstances particulières liées à l’état de santé ou à la nécessité de recevoir des soins en urgence (notamment si l’intéressé n’a pas pu attendre la décision de l’institution compétente).

Il découle de ce corps de règles que l’intéressée peut prétendre à deux systèmes de remboursement de soins de santé dispensés à l’étranger.

Le premier remboursement peut s’opérer sur la base de son statut de frontalière, celle-ci pouvant bénéficier sans demande d’autorisation de l’article 294, 9° précité. Celui-ci est réservé à certaines prestations de soins de santé, dont l’hospitalisation. Le remboursement se fait ici à concurrence du montant correspondant à des soins de santé dispensés en Belgique. La cour pose cependant la question de savoir si la revalidation peut être assimilée à une hospitalisation. Aucun appel incident n’ayant été interjeté sur la question par l’INAMI ni l’UNMS, la cour décrète cette question sans intérêt.

Par ailleurs, pour ce qui est du remboursement sur la base de l’article 20 du Règlement 883/2004, elle relève que l’intéressée devait ici cependant obtenir l’autorisation préalable de la mutuelle (sauf circonstances particulières), étant toutefois entendu que deux conditions doivent être remplies, étant que les soins ne doivent pas pouvoir être dispensés en Belgique dans un délai normalement nécessaire pour en obtenir le traitement et qu’ils figurent dans la législation belge. Ces deux conditions sont en l’espèce remplies.

Reste à déterminer, pour la cour, sur ce point, si les soins de rééducation fonctionnelle peuvent être assimilés à des soins hospitaliers. Vu les termes de la demande de prise en charge, elle considère qu’il ne s’agissait pas d’une rééducation fonctionnelle au sens de l’article 136, § 1er, 8° mais d’une demande d’autorisation de prise en charge de revalidation en milieu hospitalier. Elle réforme dès lors le jugement à cet égard.

La cour rejette ensuite l’argument tiré du fait que le centre en cause n’est pas un hôpital et qu’il est en outre un établissement privé, et ce au motif que l’établissement dispose du statut d’établissement hospitalier spécialisé attribué par le ministre de la santé grand-ducal. Celui-ci respecte dès lors les conditions de l’État de traitement et la cour n’y voit aucune contrariété aux conditions posées par l’article 20. Elle admet dès lors qu’il s’agissait de soins hospitaliers.

Ceci la conduit à examiner la question de l’autorisation préalable. Reprenant la chronologie des faits, elle souligne qu’il faut se replacer dans les conditions de la pandémie de l’époque et qu’il n’était pas facile d’obtenir les contacts et informations concrètes dans des délais raisonnables, l’hôpital d’Arlon ayant notamment fermé son service de revalidation et ne voulant plus assurer les soins à l’intéressée. La cour constate encore l’absence de place dans les hôpitaux voisins, plaçant la famille dans l’obligation d’accepter le transfert au Luxembourg sans attendre la décision de la mutuelle, qui n’est intervenue qu’au mois de septembre. Ceci constitue des circonstances justifiant que la famille n’a pas attendu la décision de la mutuelle.

En conséquence, la cour réforme le jugement en ce qu’il a limité les remboursements au montant de ceux admis par la législation belge et admet la prise en charge des frais de séjour conformément à la législation luxembourgeoise. Elle charge l’organisme assureur de prendre contact avec l’institution compétente luxembourgeoise à cette fin.

Intérêt de la décision

La particularité de l’espèce tranchée par la cour est l’application combinée du Règlement 883/2004 et de la Directive 2011/24.

La jurisprudence de la Cour de Justice indique que les juridictions nationales sont régulièrement confrontées à des difficultés d’interprétation des règles relatives à l’autorisation préalable. La cour du travail a repris, dans son arrêt, diverses décisions rendues. Nous avons, plus récemment, commenté d’autres arrêts, qui ont encore précisé le contour des obligations figurant dans le Règlement 883/2004 et dans la Directive 2011/24.
Ainsi, la Cour a jugé qu’une réglementation nationale qui exclut le remboursement par l’institution compétente des frais relatifs aux soins hospitaliers ou non hospitaliers lourds reçus dans un autre Etat membre en l’absence d’autorisation préalable, et ce y compris dans les situations particulières où la personne assurée a été empêchée de solliciter une telle autorisation ou n’a pu attendre la décision, pour des raisons liées à son état de santé ou à la nécessité de recevoir de tels soins en urgence (quand bien même les conditions d’une telle prise en charge seraient réunies par ailleurs), est disproportionnée à la libre prestation des services figurant à l’article 56 T.F.U.E. et méconnaît l’article 8, § 1er, de la Directive n° 2011/24 (avec renvoi à l’arrêt ELCHINOV). (C.J.U.E., 23 septembre 2020, Aff. n° C-777/18 (WO c/ VAS MEGYEI KORMÁNYHIVATAL), EU:C:2020:745).
Sur l’article 20 du Règlement 883/2004, elle enseigne, par ailleurs, que celui-ci ne comporte aucune exigence expresse quant à la présentation d’un rapport médical, mais requiert une évaluation de l’état de santé de la personne assurée, de l’évolution probable de sa maladie, des traitements médicaux adaptés à son état et de la disponibilité de ces traitements dans le système de sécurité sociale de l’Etat membre de résidence ainsi que des délais dans lesquels ils peuvent y être prodigués (C.J.U.E., 6 octobre 2021, Aff. n° C-538/19 (TS e.a. c/ C.N.A.S. et C.A.S.C.), EU:C:2021:809)


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