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AMI : paiement de contribution alimentaire et conditions pour bénéficier du taux de travailleur ayant personne à charge

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 7 avril 2023, R.G. 2022/AL/300

Mis en ligne le mardi 16 avril 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 7 avril 2023, R.G. 2022/AL/300

Dans un arrêt du 7 avril 2023, la Cour du travail de Liège retient que l’obligation alimentaire fixée par jugement ne prend pas fin lorsque l’enfant personne à charge a atteint sa majorité ou l’âge de 25 ans mais qu’elle se termine lorsqu’il a achevé sa formation et que le bénéficiaire d’indemnités d’invalidité qui paie celle-ci peut conserver la qualité de travailleur ayant personne à charge.

Les faits

Un père de quatre enfants et bénéficiaire d’allocations d’invalidité est séparé depuis 1994.

Selon ses explications, le juge de paix a organisé la séparation à l’époque, fixant sa part contributive dans les frais d’entretien et d’éducation des trois premiers enfants (le quatrième n’étant à l’époque pas encore né). Le divorce a été prononcé en 2003 et l’intéressé a vécu seul pendant de longues périodes (1994 à 2008 et 2015 à 2021). Entre 2008 et 2015 et depuis le 5 juillet 2021 le couple a repris une domiciliation commune.

L’intéressé est en incapacité depuis le 27 avril 2015 et a bénéficié d’indemnités d’invalidité au taux charge de famille.

L’ANMC a estimé par décision du 30 décembre 2020 que celui-ci devait bénéficier du seul taux isolé et a réclamé un indu. La motivation de la décision est qu’il aurait continué à verser des pensions alimentaires pour des enfants de plus de 25 ans financièrement autonomes, ce qui n’ouvre pas le droit au taux majoré.

L’intéressé a introduit un recours devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui y a fait droit et a mis à néant la décision administrative.

Appel est interjeté, l’ANMC demandant la réformation de cette décision.

L’avis du ministère public devant la cour

Dans son avis écrit, le ministère public sollicite la production de la décision judiciaire relative aux contributions alimentaires et des explications complémentaires quant à la situation scolaire et professionnelle des enfants pendant la période litigieuse, le demandeur originaire étant tenu d’établir l’obligation dans son chef de poursuivre le paiement de ses contributions alimentaires.

La décision de la cour

La cour rappelle qu’en vertu de la législation, l’exigence d’une décision judiciaire actant l’obligation de payer la pension alimentaire est incontournable. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 31 octobre 2005 (Cass., 31 octobre 2005, S.04.0182 .F), selon lequel le paiement volontaire d’une pension alimentaire à la suite d’une décision du juge de paix ayant réservé à statuer quant à celle-ci ne suffit pas.

Le siège de la matière est l’article 93, al. 5, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, qui fait varier le montant de l’indemnité d’invalidité notamment en fonction de la situation familiale du titulaire. Son arrêté d’exécution du 3 juillet 1996 définit en son article 225, § 1er la notion de travailleur ayant personne à charge.

La cour reprend cette très longue disposition du texte réglementaire, qui énumère les diverses catégories de personnes pouvant être considérées comme travailleurs ayant personne à charge, parmi lesquelles figure celle qui paie une pension alimentaire sur la base d’une décision judiciaire, d’un acte notarié ou encore d’un acte sous seing privé déposé au greffe du tribunal en cas de procédure de divorce ou de séparation de corps et de biens par consentement mutuel.

Elle fait ensuite le rappel de l’article 123 de l’arrêté royal, qui liste les situations dans lesquelles les enfants de moins de 25 ans peuvent avoir la qualité de personne à charge.

Elle en vient alors à la question de la preuve et rappelle un principe en matière de sécurité sociale, étant qu’il appartient à l’assuré social qui réclame l’octroi d’une prestation d’établir qu’il remplit l’ensemble des conditions de celui-ci. Ceci vise également le taux revendiqué (avec renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2005, S.04.0156.F). La question de la charge de la preuve en cas de contestation d’une décision de révision ou de retrait d’une prestation octroyée fait l’objet de discussions en jurisprudence et en doctrine. La cour se rallie à la doctrine de H. MORMONT (H. MORMONT, « La charge de la preuve dans le contentieux judiciaire de la sécurité sociale », R.D.S., 2013/2, page 384), pour qui cette charge de la preuve continue à reposer sur l’assuré social dans l’hypothèse d’une décision de révision ou de retrait. Celui-ci reste en effet le demandeur tant sur le plan procédural qu’au regard du droit subjectif en cause. La cour souligne également le caractère d’ordre public de la matière. En cas de révision, il appartient uniquement à l’institution de sécurité sociale de démontrer qu’elle a un juste motif de revenir sur sa décision antérieure.

La cour aborde ensuite la question de l’obligation alimentaire des parents à l’égard de leurs enfants, vu le texte de l’ancien article 203 du Code civil, qui impose une obligation d’entretien vis-à-vis des enfants, celle-ci ne prenant cependant pas fin lorsque ceux-ci ont atteint la majorité ou l’âge de 25 ans : elle se termine lorsqu’ils ont achevé leur formation. Après la fin de celle-ci, persiste une obligation alimentaire réciproque ascendant/descendant (articles 205 et 207 de l’ancien Code civil), qui répond à d’autres critères, dont l’exigence d’un état de besoin dans le chef de l’enfant.

Lorsque l’enfant a terminé ses études, il n’y a plus d’obligation alimentaire sur pied de l’article 203, la décision judiciaire devenant dès lors caduque. La poursuite du paiement au-delà de la fin de la formation de l’enfant est un acte volontaire (la cour renvoyant à diverses décisions de jurisprudence (dont C. trav. Bruxelles, 12 février 2020, R.G. 2018/AB/356).

Elle envisage également la discrimination éventuelle, rappelant que le contrôle du respect des principes d’égalité et de non-discrimination, y compris par le juge judiciaire dans son contrôle d’une disposition réglementaire (ou de portée individuelle), se fait en cinq étapes, le juge devant vérifier (i) si les catégories de personnes se trouvent dans des situations comparables, (ii) quel est le but du législateur, (iii) si la différence de traitement présente un caractère objectif et raisonnable, (iv) si la mesure est pertinente par rapport aux objectifs poursuivis et (v) si la mesure n’a pas d’effet disproportionné.

La cour entreprend dès lors l’examen des éléments de l’espèce, constatant en premier lieu que même si le jugement de 1994 n’est pas produit, il ne peut en tout état de cause concerner le quatrième enfant et que les sommes versées en faveur de celui-ci ne peuvent entrer en ligne de compte.

Sur l’argument de la discrimination, avancé par le demandeur originaire, qui estime que la disposition exigeant une décision de justice, un acte notarié ou un acte sous seing privé déposé au greffe discrimine les débiteurs d’aliments qui paient une contribution alimentaire sur la base d’une décision de justice (ou d’un tel acte notarié ou sous-seing-privé) et ceux qui paient sur une base volontaire en fonction d’un accord amiable, la cour considère que la disposition poursuit un objectif légitime, qui est de s’assurer d’un contrôle « judiciaire » de l’obligation au paiement de la contribution alimentaire. L’idée est d’imposer un caractère officiel à cette obligation aux fins d’éviter des arrangements entre les parties au préjudice de la sécurité sociale, ces exigences contribuant à atteindre l’objectif de réduction du risque de mise en œuvre de systèmes fallacieux. La mesure est dès lors pertinente par rapport à l’objectif poursuivi.

En outre, la règle est objective, puisque le critère de distinction est clair. L’exigence de proportionnalité est également satisfaite, puisque les parties peuvent opter pour une mesure alternative à l’introduction d’une procédure judiciaire, l’acte notarié ou l’acte sous seing privé étant également admis.

Il n’y a dès lors pas de caractère discriminatoire à la mesure.

Les montants payés en l’espèce en faveur du quatrième enfant n’ouvrent dès lors pas de droit aux indemnités d’invalidité au taux chef de famille.

Pour ce qui est des trois premiers enfants, la cour estime devoir ordonner une réouverture des débats, dans la mesure où durant la période litigieuse, ceux-ci étaient âgés de plus de 25 ans. Pour la cour, ces circonstances n’empêchent pas ipso facto la reconnaissance de la qualité de travailleur ayant charge de famille, aucune condition d’âge n’étant prévue à l’article 225, § 1er, 5° de l’arrêté royal (en vertu duquel a la qualité de travailleur ayant personne à ce charge le titulaire qui paie une pension alimentaire dans les conditions ci-dessus).

Pour la cour tant que l’intéressé est resté le débiteur d’une pension alimentaire sur la base d’une décision judiciaire prise en exécution de l’article 203 de l’ancien Code civil, il avait droit à la qualification de travailleur ayant charge de famille et cette obligation n’a pris fin pour chacun des enfants que lorsque celui-ci a achevé sa formation, et ce sans considération de la condition d’âge.

Il appartient dès lors au père de démontrer que pendant la période en cause un de ses trois enfants au moins n’avait pas achevé sa formation et n’était pas autonome sur le plan financier, ce qui est l’objet de la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Liège rappelle en des termes très clairs les contours de l’obligation alimentaire et ses effets sur le droit à des prestations de sécurité sociale au taux majoré, la cour faisant le lien entre les dispositions du Code civil (articles 203, 205 et 207) et les dispositions en matière de législation AMI (articles 123 et 225, § 1er, de l’arrêté royal du 3 juillet 1996).

La cour examine l’exigence du caractère objectif de l’obligation alimentaire (fixée par une décision judiciaire, par un acte notarié ou un acte sous seing privé déposé au greffe du tribunal) sous l’angle de la discrimination, question sur laquelle elle procède au test de constitutionnalité, dont les critères sont réunis.

Sur la question de l’âge, l’on notera, avec la cour que l’on ne pourrait davantage faire valoir une différence de traitement entre le bénéficiaire qui paie une pension alimentaire (art. 225, § 1er, 5°) et celui qui cohabite avec enfant à charge (id., § 1er, 3°). Dans les deux cas, aucune condition d’âge n’est prévue. Au contraire, l’article 225, § 1er, 3°, renvoie effectivement à l’article 123 du même texte (qui définit les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de l’assurance soins de santé en tant que personne à charge d’un titulaire du droit et qui prévoit notamment que l’enfant doit être âgé de moins de 25 ans) mais en précisant expressément que ce renvoi intervient « exception faite de la condition d’âge prévue par cette dernière disposition ».

Enfin, l’on notera le renvoi fait par la cour en droit, pour ce qui est de la volonté du législateur d’officialiser l’obligation alimentaire (l’objectif étant de réduire les risques de mise en œuvre de systèmes fallacieux) aux dispositions correspondantes en matière de chômage, étant l’article 110, § 1er, 3°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui contient une disposition similaire. La cour renvoie notamment à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 25 novembre 2010 (C. trav. Mons, 25 novembre 2010, R.G. 21.643 – précédemment commenté). La cour du travail de Mons y a rappelé en outre que, dans l’hypothèse du paiement d’une pension alimentaire, l’état de besoin du créancier d’aliments n’est pas une condition fixée par la réglementation chômage pour que le débiteur bénéficie de la qualité de chef de ménage.


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