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Inaptitude physique définitive pour raison médicale : conséquences du non-respect de la procédure fixée par l’arrêté royal du 28 mai 2003

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 26 juin 2012, R.G. 11/4.318/A

Mis en ligne le mardi 28 août 2012


Tribunal du travail de Bruxelles, 26 juin 2012, R.G. n° 11/4.318/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 26 juin 2012, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle l’ensemble des principes à appliquer, en cas d’inaptitude physique définitive pour raison médicale : celle-ci est organisée, dans le cadre de la surveillance de la santé des travailleurs, par l’arrêté royal du 28 mai 2003, qui impose le respect d’une procédure délicate.

Les faits

Après une période d’incapacité de travail de quatre mois, un travailleur reprend ses fonctions. Lorsqu’il se représente au travail, une évaluation de santé est effectuée par le conseiller en prévention-médecin du travail, qui conclut à une inaptitude physique définitive. L’ouvrier communique la conclusion du conseiller en prévention-médecin du travail à son employeur et celui-ci lui délivre le jour même un document C4 intitulé ‘force majeure, raison médicale, inaptitude définitive constatée par le médecin du travail’.

L’intéressé ne se représente plus au travail et la décision du conseiller en prévention-médecin du travail lui est adressée par voie recommandée cinq jours plus tard, avec l’extrait de l’arrêté royal du 28 mai 2003 concernant la surveillance de la santé des travailleurs (articles 59 à 70) relatifs à la procédure de recours.

Une semaine plus tard, la société notifie par voie recommandée une lettre de rupture du contrat pour force majeure, au motif de l’absence d’appel interjeté contre la décision du conseiller en prévention-médecin du travail.

L’intéressé continue à être reconnu en incapacité de travail pendant cinq mois par le médecin conseil de la mutuelle.

Ayant été élu lors des élections sociales de 2008 (suppléant CPPT), il adresse, par la voie de son avocat, un courrier contestant la rupture du contrat. La société n’ayant pas réservé de suite à celui-ci, il introduit, dès lors, une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles, demandant condamnation de celle-ci à l’indemnité de protection.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal rappelle très longuement les principes régissant la rupture du contrat de travail pour force majeure. Celle-ci, admise par l’article 32 LCT, implique l’impossibilité de poursuivre le contrat, condition qui n’est pas remplie dès lors que cette exécution est devenue plus difficile ou plus lourde. Le tribunal poursuit, dans le développement des principes dégagés par la Cour de cassation relatifs aux critères de la force majeure, en droit commun, rappelant encore que ce mode de rupture ne peut se confondre avec un licenciement.

La théorie générale a été appliquée au contrat de travail, en cas d’inaptitude définitive par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 janvier 1981 (Cass., 5 janvier 1981, R.W. 1980-81, 2401) et il a été précisé, dans sa jurisprudence (Cass., 2 octobre 2000, R.W.W., 2000-2001, 1457) que l’impossibilité de fournir du travail doit viser le travail convenu. L’employeur ne doit dès lors pas prouver qu’il lui est impossible de confier à l’ouvrier d’autres tâches.

L’arrêté royal du 28 mai 2003, relatif à la surveillance de la santé des travailleurs, prévoit la procédure applicable en cas de force majeure définitive pour raison médicale et ce texte précise que la force majeure peut être constatée s’il n’est pas techniquement ou objectivement possible de reclasser le travailleur ou si ceci ne peut être raisonnablement exigé pour des motifs dûment justifiés.

Avant de constater la rupture du contrat pour force majeure, l’employeur doit cependant être sûr qu’il y a incapacité de travail définitive. Si appel a été interjeté des recommandations du conseiller en prévention-médecin du travail, l’incapacité de travail n’est pas prouvée tant qu’une décision définitive n’a pas été prise.

Le tribunal précise en outre que l’inaptitude définitive peut également ressortir de l’avis d’un autre médecin que le conseiller en prévention-médecin du travail, et ce en dehors du cadre de la surveillance de la santé des travailleurs, ainsi, l’avis du médecin traitant du travailleur, du médecin contrôle, du médecin conseil de la mutuelle ou encore d’un expert judiciaire. C’est le juge du fond qui décide de manière souveraine de la force probante des attestations médicales et qui peut déterminer si, en fait, le travailleur est définitivement inapte ou non et s’il y a force majeure ou non (le tribunal renvoyant ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 2 février 2009 (Cass., 2 février 2009, R.G. n° S.08.0127.N).

Appliquant ces principes en l’espèce, le tribunal constate en l’occurrence qu’il n’est pas contesté que l’intéressé était affecté à un poste de sécurité au sens de l’article 2 de l’arrêté royal du 28 mai 2003, l’entreprise s’occupant du traitement de matériaux de construction. S’agissant d’un poste de sécurité, de vigilance ou d’une activité à risque défini ou encore d’une activité liée aux denrées alimentaires, l’arrêté royal prévoit en son article 35 qu’après une absence de quatre semaines au moins pour raison médicale, il y a examen de reprise du travail obligatoire. C’est donc à celui-ci que l’intéressé fut convié lors de sa reprise du travail.

Dans le cadre de cet examen, les articles 35 et suivants prévoient la procédure à respecter par le conseiller en prévention-médecin du travail, dont l’obligation d’examiner le poste de travail du travailleur dans les meilleurs délais afin de pouvoir envisager les possibilités d’aménagement de celui-ci (article 36bis, § 5). Le texte prévoit en outre des mesures à prendre avant toute décision (que ce soit une mutation temporaire ou définitive ou encore une décision d’inaptitude) et celles-ci sont minutieusement décrites dans l’arrêté royal, l’article 58 précisant notamment l’obligation pour le conseiller en prévention-médecin du travail d’informer le travailleur de son droit à bénéficier des procédures de concertation et de recours visées.

Le tribunal constate le non-respect en l’espèce des obligations imposées par le texte (obligation de procéder aux examens complémentaires appropriés, de s’enquérir de la situation sociale du travailleur, de renouveler l’analyse des risques, d’examiner sur place les mesures et les aménagements susceptibles de maintenir à son poste de travail ou à son activité le travailleur compte tenu de ses possibilités…).

Il n’a pas non plus été recouru à la concertation préalable entre l’employeur, le conseiller en prévention-médecin du travail, le travailleur et un représentant syndical (à défaut de délégué du personnel au CPPT) en vue d’examiner les possibilités de nouvelle affectation et les mesures d’aménagement des postes de travail.

Pour le tribunal, la procédure n’a dès lors pas été régulièrement suivie, de telle sorte que la décision du conseiller en prévention-médecin du travail n’est pas valable, et ce même si l’intéressé n’a pas introduit la procédure de recours. Le tribunal relève encore la délivrance du formulaire C4 le jour même de l’examen de reprise du travail, suite à la communication des recommandations et souligne, surabondamment, que l’employeur ne démontre pas qu’il n’y avait pas d’autres postes pouvant être occupés par le travailleur dans l’entreprise.

En conséquence, il fait droit à la demande d’indemnisation, étant l’indemnité de protection légale.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Bruxelles rappelle une nouvelle fois l’importance de respecter la procédure de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs et, particulièrement, les obligations du conseiller en prévention-médecin du travail dans les mesures à prendre en vue d’une mutation ou d’une déclaration d’inaptitude physique définitive.


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