Terralaboris asbl

Abaissement de l’âge


C. trav.


Trib. trav.


Documents joints :

C. trav.


  • La question en litige devant le tribunal du travail du Hainaut division de Charleroi était si l’abaissement de l’âge pour demander le bénéfice des allocations d’insertion, passé de 30 ans à 25 ans depuis la modification de l’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 par l’arrêté royal du 30 décembre 2014, ne violait pas l’obligation de standstill consacrée par l’article 23 de la Constitution. Le tribunal, après avoir dit le recours recevable, avait « avant dire droit », ordonné d’office la réouverture des débats afin que le chômeur s’explique sur les formations suivies et/ou les activités exercées entre la date de son inscription au FOREm et celle de sa demande d’allocations ainsi que sur sa situation après la décision de refus. Toutefois, il avait déjà retenu que le recul significatif par rapport à la protection sociale antérieure était justifié par des motifs d’intérêt général.
    L’appel formé par le chômeur est dit recevable par l’arrêt contre ce jugement mixte.
    Sur le fond, l’arrêt décide que la mesure litigieuse viole l’article 23 de la Constitution et, en application de l’article 159 de la Constitution, écarte cette norme nouvelle et applique la norme en vigueur avant son adoption.

  • Les documents produits par l’ONEm, les chiffres et les commentaires qu’il en fait ne répondent pas à la question de savoir en quoi la limitation de l’âge pour solliciter des allocations d’insertion à 25 ans et non plus à 30 ans constituerait une mesure appropriée pour la catégorie de chômeurs à laquelle appartient l’intéressée, au regard de l’objectif d’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi. Les documents produits ne permettent en effet pas de déterminer l’impact de la mesure au regard de l’objectif de remise au travail de cette catégorie de chômeurs et sont par ailleurs contredits par d’autres études. Pour ce qui est de l’objectif budgétaire, l’ONEm fait état de considérations tout à fait générales et stéréotypées. En conclusion, la preuve n’est pas rapportée par l’ONEm que la mesure contrôlée est appropriée et nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général de relance de l’emploi des jeunes et d’économies budgétaires.

  • (Décision commentée)
    La divergence d’opinion entre le Ministère public et la cour du travail reflète un débat actuellement en cours devant les cours du travail francophones sur le contrôle incident des juridictions du travail sur deux mesures régressives prises en matière de chômage, et plus particulièrement des allocations d’insertion, étant d’une part la fin d’un droit auparavant non limité dans le temps et d’autre part l’abaissement de l’âge pour bénéficier des allocations d’insertion.

  • Ayant écarté, en application de l’article 159 de la Constitution, l’article 1, 1°, de l’arrêté royal du 30 décembre 2014, en ce qu’il modifie l’article 36, § 1er, alinéa 1er, 5°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, la cour du travail considère que, si l’ONEm devait estimer que l’assurée sociale ne remplit pas d’autres conditions pour bénéficier des allocations d’insertion, il lui incombe de prendre une nouvelle décision motivée en ce sens et que celle-ci pourra alors contester, dans le cadre d’une nouvelle procédure, le cas échéant en sollicitant des dommages et intérêts. Décider que l’ONEm ne puisse considérer a posteriori que la période d’interruption consécutive à sa décision soit reprochable à l’intéressée est prématuré, dès lors qu’il ne soutient pas concrètement qu’elle ne remplit pas d’autres conditions d’octroi que la condition d’âge.

  • Si la mesure ne vise formellement que les jeunes travailleurs âgés de 25 à 30 ans, elle s’étend en réalité vu la durée du stage d’insertion professionnelle à tous les jeunes qui finissent leurs études après 24 ans et quelques jours. En l’espèce, la mesure est entrée en vigueur alors que l’intéressé se trouvait dans la dernière année de ses études universitaires, sans possibilité réaliste et sérieuse à ce stade de réorientation de ses études, voire de sa carrière, pour ne pas perdre la possibilité de demander les allocations d’insertion au terme de ses études et de l’accomplissement du stage d’attente.

  • (Décision commentée)
    La charge de la preuve du respect de l’obligation de standstill incombe à l’autorité législative ou réglementaire qui invoque l’acte en cause. Elle doit démontrer, dès lors que son action est contestée ou au moins dès qu’un recul de protection sociale est établi, qu’elle a agi légalement et dans le respect des normes de niveau supérieur qui s’imposent à elle. Il s’agit d’une règle du contentieux administratif et qui trouve également à s’appliquer devant les juridictions sociales. Est indifférente la circonstance que la question se pose à l’occasion d’un litige en matière de sécurité sociale dans le cadre duquel la charge de la preuve des conditions d’octroi de la prestation repose sur celui qui en demande le bénéfice. Vu cependant l’absence d’obligation de motivation formelle du recul, celle-ci peut être communiquée ultérieurement.

  • (Décision commentée)
    Aux fins de vérifier s’il n’y a pas atteinte au principe de standstill, il faut examiner successivement (i) si l’assuré social a ressenti du fait de la modification de la législation applicable une réduction sensible ou significative de sa protection sociale – examen à faire en l’occurrence au regard de l’article 36 de l’A.R. du 25 novembre 1991 dans sa mouture précédente –, (ii) dans l’affirmative examiner s’il existe pour ce faire des motifs appropriés et nécessaires liés à l’intérêt général et (iii) si de tels motifs existent, vérifier si le recul infligé est proportionné aux motifs d’intérêt général.

  • (Décision commentée)
    L’abaissement de l’âge maximal pour pouvoir remplir la condition d’admissibilité au bénéfice des allocations d’insertion avec effet au 1er janvier 2015 n’est pas accompagné de mesures de transition, non plus que de mesures compensatoires ou de substitution. De manière générale, il s’agit d’un recul de la protection sociale. La possibilité de se tourner vers le C.P.A.S. ne suffit pas à modifier ceci, s’agissant d’un recul dont le caractère est sensible. Vu la question des ressources et d’état de besoin, cet octroi n’est pas garanti à tous.
    Pour ce qui est des motifs d’intérêt général, l’ampleur de l’économie vantée ne paraît pas avoir été évaluée avant l’adoption de la mesure et, actuellement, son efficacité budgétaire concrète n’est toujours pas évoquée. N’a pas non plus été évaluée avant son adoption l’incitation à l’insertion professionnelle.
    Aucune indication n’est enfin donnée de la possibilité d’atteindre les mêmes objectifs (économie et insertion professionnelle) par des mesures ayant un impact moins important. Toute comparaison des effets de la mesure avec la régression imposée est dès lors impossible. Celle-ci n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis.

Trib. trav.


  • L’article 36, § 1er, al. 1er, 5° de l’arrêté royal organique introduit une différence de traitement entre étudiants, qui n’est pas justifiée par un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but visé. La mesure aboutit à réserver la poursuite d’études longues et de spécialisation aux étudiants qui ne craignent pas de se retrouver sans travail à la sortie de leurs études parce qu’ils disposent d’autres moyens de subsistance et peuvent rester à charge de leurs parents, contrairement aux étudiants brillants dépourvus d’assise financière, qui seront amenés à renoncer à la poursuite d’études au-delà de 24 ans. La mesure constitue une discrimination en fonction de l’origine économique ou sociale de l’étudiant.
    Enfin, la justification de la mesure, qui est de favoriser l’insertion des jeunes sur le marché du travail, paraît paradoxale puisqu’elle pourrait conduire à abréger des études alors que les plus diplômés seraient les moins enclins à émarger au chômage. Le tribunal écarte la disposition.

  • L’article 9 de l’arrêté royal du 28 décembre 2011 méconnaît l’obligation de standstill déduite de l’article 23 de la Constitution, la mesure n’étant pas justifiée par des motifs d’intérêt général. Elle ne résiste pas au test de proportionnalité, rien ne permettant de conclure qu’elle est apte à atteindre les objectifs poursuivis, n’étant par ailleurs pas démontré que les jeunes travailleurs se sont mieux insérés sur le marché du travail suite à la suppression de leurs allocations d’insertion et la mesure visant tous les bénéficiaires d’allocations d’insertion de manière indifférenciée, qu’ils fassent ou non des démarches pour s’insérer. La disproportion par rapport aux motifs d’intérêt général invoqués est d’autant plus importante que l’auteur de la norme n’a pas veillé à justifier son action au regard de ce principe.

  • Il y a un recul significatif de la protection sociale dès lors que, lorsqu’il avait commencé ses études supérieures, un jeune avait la possibilité de solliciter des allocations d’insertion jusque l’âge de trente ans, possibilité qui a disparu lorsqu’il s’est, effectivement, inscrit auprès du FOREm à l’issue de celles-ci. Dans l’examen du test de proportionnalité, le tribunal relève que les motifs d’intérêt général invoqués par l’ONEm pour justifier le recul sensible du niveau de protection du droit des jeunes d’obtenir des allocations d’insertion sont, à défaut d’élément probant, sans rapport de proportionnalité avec la mesure litigieuse. S’agissant de contrôler la légalité d’une norme, le contrôle doit s’opérer in abstracto, le juge n’étant pas tenu d’effectuer une balance des intérêts en présence en fonction des bénéfices et préjudices escomptés de la mesure dès lors que sa démarche n’est pas un contrôle d’opportunité mais de légalité.

  • Même jurisprudence que Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 1er octobre 2021, R.G. 20/434/A – ci-dessous.

  • La position de l’ONEm selon laquelle la mesure de suppression des allocations d’insertion viserait à décourager les « éternels étudiants » aboutit à réserver la poursuite d’études longues et de spécialisation aux étudiants, brillants ou non, qui ne craignent pas de se retrouver sans travail au sortir de leurs études parce qu’ils disposent d’autres moyens de subsistance ou peuvent rester à charge de leurs parents. Un étudiant brillant dépourvu d’assise financière renoncera à poursuivre ses études au-delà de vingt-quatre ans ou à s’orienter vers un domaine peu générateur d’emploi même s’il y excelle, ce qui constitue une discrimination en fonction de l’origine économique ou sociale de l’étudiant. Sera également victime de cette règle l’étudiant qui aura connu des accrocs au cours de sa scolarité.

  • Même jurisprudence que Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 1er octobre 2021, R.G. 20/434/A – ci-dessus.

  • (Décision commentée)
    L’abaissement de l’âge maximal pour bénéficier des allocations d’insertion entraîne un recul significatif de la protection sociale, le tribunal soulignant le dilemme dans lequel se trouvent ceux qui n’ont pas achevé leurs études avant l’âge de vingt-quatre ans : faut-il poursuivre le cursus pour augmenter les chances d’insertion sur le marché du travail mais perdre le droit aux allocations ou faut-il interrompre les études avant d’entamer le stage d’insertion en temps et heure et conserver la possibilité de revendiquer le cas échéant celles-ci ?
    Le tribunal examine les motifs liés à l’intérêt général et leur caractère approprié et nécessaire. Aucun moyen n’étant développé en ce qui concerne la proportionnalité entre le recul de la protection sociale et ces motifs d’intérêt général, la disposition est écartée.

  • Dans le cadre de l’examen du respect du principe de standstill, le contrôle judiciaire implique une mise en balance des intérêts et, en définitive, un contrôle de proportionnalité. Il ne peut en effet suffire qu’une régression importante soit justifiée par des motifs d’intérêt général pour que la disposition soit conforme à l’obligation de standstill et à l’article 23 de la Constitution. Il faut que le recul opéré n’emporte pas des conséquences disproportionnées pour l’assuré social. Le tribunal écarte en l’occurrence l’article 36, § 1er, alinéa 1er, 5°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage tel qu’il résulte de sa modification par l’arrêté royal du 30 décembre 2014 (condition d’âge de 25 ans).

  • (Décision commentée)
    L’arrêté royal du 30 décembre 2014, qui a modifié notamment l’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, ramenant à 25 ans l’âge limite permettant de bénéficier des allocations d’insertion, porte atteinte à la protection sociale. La nouvelle disposition ne peut dès lors être appliquée.

  • (Décision commentée)
    L’article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, tel que modifié par l’arrêté royal du 30 décembre 2014 doit être écarté. Le préambule de l’arrêté royal a fait valoir l’urgence aux fins de bénéficier de la procédure dérogatoire des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat (article 84, § 1er, alinéa 1, 5°). L’avis en urgence donné par la section législation du Conseil d’Etat s’est dès lors limité à la vérification du fondement légal et à la compétence matérielle de l’auteur. Or, l’importance des nombreuses modifications introduites par cet arrêté royal aurait justifié un examen en profondeur, d’autant que l’urgence est née de l’ultimatum que le Gouvernement s’est fixé à lui-même, étant qu’il fallait des objectifs budgétaires visibles très rapidement.
    Vu le non-respect de la procédure formelle, ce texte doit être écarté en application de l’article 159 de la Constitution.


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