Terralaboris asbl

Motif grave : Agissements en vue d’obtenir des cadeaux de fournisseurs

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 novembre 2012, R.G. 2011/AB/732

Mis en ligne le mardi 23 avril 2013


Cour du travail de Bruxelles, 20 novembre 2012, R.G. n° 2011/AB/732

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 novembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, dans un cas d’espèce, l’obligation pour le travailleur salarié d’être motivé par l’intérêt de l’entreprise et non par son intérêt personnel. Elle considère dès lors comme motif grave le fait d’obtenir, à l’insu de son employeur, des cadeaux de fournisseurs.

Les faits

Un employé, au service d’un grand magasin depuis début 2002, exerce depuis mai 2003 les fonctions de responsable du système interne de gestion des marchandises. Les missions contractuelles relatives à la fonction exercée consistent à assurer le bon fonctionnement technique et opérationnel d’un système interne, ainsi que de réaliser toutes les opérations de gestion de stocks aux fins de permettre la réalisation des résultats du compte d’exploitation conformément aux procédures de la société.

Début 2009, la société nourrit des soupçons quant à divers agissements de l’intéressé, qui achète (essentiellement) des éléments d’électroménager, en passant des commandes pour le magasin auprès de certains fournisseurs. Ceci est effectué à partir de son domicile via l’accès internet privé. Les livraisons ont lieu au domicile et la livraison de la commande s’accompagne d’une livraison de cadeaux. En outre, l’intéressé se fait rembourser par le magasin préalablement et rentre des notes de frais correspondant aux montants en cause.

Un détective privé interroge dès lors l’intéressé, qui est entendu le 9 mars 2009. Il admet avoir agi de la sorte en vue de bénéficier des cadeaux offerts par lesdits fournisseurs à l‘achat de ces fournitures. Il est licencié pour motif grave le lendemain, la lettre de licenciement contenant les griefs à son encontre, détaillant en outre l’ensemble des appareils en question (friteuses, barbecue électrique, etc.).

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles, qui le déboute par jugement du 10 juin 2011.

Appel est dès lors interjeté devant la cour du travail.

Décision de la Cour

La cour constate que l’intéressé demande le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement abusif (limités provisionnellement à 1€).

Elle examine dès lors essentiellement la question du motif grave quant à sa notion et eu égard au délai pour licencier.

Après avoir rappelé que le motif grave est le fait accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer ce caractère (principe repris dans l’arrêt du 20 novembre 2006 de la Cour de cassation (Cass., 20 novembre 2006, R.G. S.05.0117.F), et qu’il y a lieu de procéder à un examen concret, qui tient compte de l’ensemble des faits et du contexte, la cour souligne qu’il y a dans l’appréciation du juge notamment un contrôle de proportionnalité entre la gravité et la sanction.

Sur le délai, elle rappelle qu’il appartient à l’employeur d’en démontrer le respect. En l’occurence, se pose en l’espèce une question dans la mesure où l’employeur a procédé à une audition et que les faits en cause sont situés dans le temps entre septembre 2008 et février 2009.

Pour la cour, qui reprend à ce sujet également la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 14 octobre 1996, RG S.95.0116.F et Cass., 5 novembre 1990, RG 8937), l’audition préalable peut constituer une mesure qui permet à l’employeur d’acquérir la certitude suffisant à sa propre conviction et également à l’égard de l’autre partie et de la justice. Il s’agit ici également de procéder, dans l’appréciation du respect du délai, à l’examen des circonstances de la cause. En l’occurrence, la société établit qu’elle n’a eu une connaissance suffisante des faits qu’à la réception du rapport du détective privé, daté du 9 mars. Dans celui-ci, en effet, l’intéressé a très clairement admis les faits et a déclaré avoir agi ainsi uniquement dans le but de bénéficier de la remise des cadeaux en cause. Il a en outre précisé que les commandes de fournitures étaient faites pour le compte du magasin avec son adresse privée comme adresse de facturation ou de livraison et a également confirmé que le remboursement était intervenu via les notes de frais. La cour relève qu’avant d’avoir reçu ces explications, l’employeur ignorait dans quel but l’intéressé avait procédé de la sorte.

Le respect du délai est ainsi établi et l’est également, pour la cour, le motif grave.

Les déclarations faites par l’intéressé au détective privé constituent un aveu, et les faits en cause, étant l’utilisation d’un tel procédé aux fins de bénéficier personnellement de cadeaux est susceptible de rendre la poursuite de la relation de travail immédiatement et définitivement impossible.

La cour relève encore que figure dans le règlement de travail une mention spécifique relative aux gratifications, commissions, paquets ou avantages quelconques que le personnel serait susceptible de recevoir pour des motifs non justifiés par le service. Le règlement de travail vise ce fait comme faute grave. La cour considère ne pas être liée par cette qualification mais retient que la règle a pour fondement de garantir l’indépendance des membres du personnel par rapport aux fournisseurs, règle primordiale aux membres de celui-ci qui ont certaines responsabilités dans l’entreprise.

La cour retient que sont indifférentes l’ancienneté du travailleur (dont elle précise qu’au contraire elle interviendra dans l’appréciation) ainsi que l’absence de préjudice subi par l’employeur. De même encore, le fait que les notes de frais ont été vérifiées et admises, dans la mesure où ce n’est pas là que réside le fait constitutif du motif grave.

Intérêt de la décision

Dans ce bref arrêt, examinant un cas d’espèce, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’élément fondamental caractéristique du motif grave, étant qu’il pourra être retenu dès lors qu’il implique un manque de loyauté dans la relation de travail. La cour y rappelle également la jurisprudence de la Cour de cassation sur les questions de principe examinés, ainsi que l’absence d’incidence dans l’appréciation du juge de l’inexistence d’un préjudice pour l’employeur. Quant à l’ancienneté, elle peut être un facteur aggravant, puisque l’appréciation se fait dans les circonstances de la cause.


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